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marlow rider - Page 2

  • CHRONIQUES DE POURPRE 600: KR'TNT 600 : SUBWAY COWBOYS / BRIAN JONES / TODD RUNDGREN / SYDNEY JOE QUALLS / GENE CLARK / MARLOW RIDER / RED EYED CULT / GERALD WITTOCK / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 600

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    11 / 05 / 2023

      

    SUBWAY COWBOYS / BRIAN JONES

    TODD RUNDGREN / SYDNEY JOE QUALLS

    GENE CLARK / MARLOW RIDER

    RED EYED CULT / GERALD WITTOCK   

    ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 600

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

      

    L’avenir du rock

    - Cowboys movie

     

             L’avenir du rock a fini par en avoir marre des montages du Colorado. Il ne pouvait plus faire un pas sans tomber sur Jeremiah Johnson. Ne nous méprenons pas : l’avenir du rock n’a rien contre Jeremiah Johnson qui est un chic type, par contre, il hait profondément la routine. Donc, il chevauche vers le Sud, en chantonnant I’m a poor lonesome cowboy. Il traverse plusieurs frontières sans encombre, et un beau matin, il croise une fine équipe.

             — Oh ça par exemple !

             L’avenir du rock n’en croit pas ses yeux : Croz, Young Billy, Eli et Fat Albert !

             — Comme je suis content de te croiser, Croz ! If I Could Only Remember My Name n’en finit plus de m’en boucher un coin.

             — On peut te le déboucher, avenir du rock...

             — Et ton «Cowboy Movie» me move le groove. Je l’ai d’ailleurs recommandé à Jeremiah Johnson. 

             — Merci du renvoi d’ascenseur, avenir du rock.

             Croz se gratte le menton. Il a rarement vu un mec aussi con que l’avenir du rock.

             — Bon, c’est pas tout ça, avenir du rock, mais on a ces démons de Pinkerton aux trousses. La poussière que tu vois là-bas au fond de la vallée, c’est celle de leurs chevaux. On vient de piller un train et on file rejoindre notre planque dans la montagne.   

             — Oh je connais la chanson ! Avant de mourir, vous pourriez peut-être me renseigner ?

             — Magne-toi !

             — J’envisage d’aller enquêter pour le compte du blog de mon ami Damie Chad sur les préjudices causés aux ouvriers noirs dans les champs de coton et dans les champs de canne à sucre, des préjudices qui sont, comme vous le savez tous les quatre, d’ordre à la fois physique et mental, ils recouvrent toute la biosphère médicale et psychiatrique, ça va des plaies aux mains jusqu’au mal de dos, en passant par les traumatismes liberticides, les conséquences des relations sexuelles non consenties, les entorses aux réglementations prud’homales, le non-paiement des heures supplémentaires, et le pire, ces bols de haricots qu’on leur distribue une fois par jour en leur faisant croire que ce sont des points de retraite, tu te rends compte, Croz ? Ces champs de coton du Deep South constituent un domaine d’études unique au monde, un vivier scientifique d’une dimension pharaonique ! Alors peut-être pourriez-vous m’aider en m’indiquant la direction de la case de l’Honk Tom...

             — Honky qui ?

     

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             Laissons l’avenir du rock se dépatouiller avec Croz et son équipe de féroces desperados, et allons en retrouver une autre, celle des Subway Cowboys, les princes de l’honky-tonk. Ils pourraient très bien sortir eux aussi du «Cowboy Movie» de Croz. Bien qu’ils soient français, ils ont assez fière allure. Le chanteur Will a d’ailleurs des faux airs de Young Billy. Plutôt que d’avoir la gâchette facile et l’index psychotique, disons qu’il a une belle présence scénique et un gratté de poux orthodoxe.

             C’est en 2018 qu’on a chopé les Subway Cowboys sur scène pour la première fois, en première partie de Tony Marlow. Leur set estomaqua tous les macaques ! Une sorte de révélation. On les croyait américains ! Ils reviennent cinq ans plus tard estomaquer le maquis normand, en première partie de Pokey LaFarge. Si tu aimes bien te faire estomaquer, c’est le moment ou jamais. Wow, il faut voir ces mecs tailler leur route sur scène ! Ils t’honky-tonkent l’honkologie d’entrée de jeu.

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    Même si t’es pas fan d’honky-tonk, tu tombes sous le charme du grand cowboy tout sec qui chante et qui gratte ses poux orthodoxes. Sous son chapeau de cowboy gothique, il trimballe des faux airs de Rufus. Sa salopette et sa chemise à carreau renforcent cette impression de maigreur puritaine, car il semble sortir tout droit d’une photo de colons texans du XIXe siècle. Country ? Nashville ? Non pas vraiment. Son truc, c’est plutôt l’honky-tonk. Il évoque souvent la Louisiane. La disposition scénique des Subway Cowboys a évolué.

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    La section rythmique d’antan a disparu. Un kid absolument brillant claque le beignet du bop à la stand-up. Et de l’autre côté, un mec t’enkode l’honky-tonk à grands coups de pedal steel. Le soliste qui jouait au centre la dernière fois est maintenant sur le côté, mais toujours aussi prodigue de fulgurances.

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    Il devrait s’appeler Jo l’éclair, pas Fabien. Il bat James Burton à la course. Toutes ses incursions sont fatidiques. Il entre chaque fois à point nommé et ne vit que pour le cisaillé de gamme intra-communautaire. Il biseaute ses solos pour les rendre plus agressifs. Et Rufus enfile les cuts comme des perles, impassible sous le porch de son vaste Stetson, il déroule sa prestigieuse Americana avec un aplomb qui fait autorité. Il pousse le côté colon assez loin car il émane de lui une réelle austérité, ce n’est pas dans sa nature ni de rigoler ni de se rouler par terre, mais quand il annonce ses deux reprises d’Hank III, alors on se prosterne jusqu’à terre, car celui-là, il faut aller le chercher. Apparemment, le petit fils d’Hank Williams se serait retiré du circuit, en proie à une sévère dépression. On est ravi, car Rufus nous donne des nouvelles fraîches. Ils tapent une autre cover de choix, le «Get Rhythm» du Cash, ils le tiennent par la barbichette du tacatac des Memphis Three. Ils tapent aussi en début de set l’«I’m Movin’ On» rendu célèbre par un autre cowboy gothique, Johnny Horton.

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    Et ce n’est pas fini : au beau milieu du set, Rufus demande à Dédé de monter sur scène pour bopper une cover de «Lonesome Train» à la stand-up. Pur moment de rockab ! Tu nages en plein rêve. Les wild cats sont de sortie.  

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             Leur premier album date de 2015 et s’appelle comme par hasard Honk Tonk Time. Cet album de reprises grouille de bonnes surprises, à commencer par l’«Honky Tonk Blues» d’Hank Williams. Will le prend au chant d’éplorée, c’est criant de véracité. Le «Big River» du Cash ouvre la bal des Cowboys. Ils y affichent une réelle volonté de clairette, donc solo de Tele clair comme de l’eau de roche. Ils tapent aussi dans David Allen Coe avec «Take This Job And Shove It», ils en font une cover heavy as hell, nappée de béton. Ces mecs tapent dans l’éclat des légendes mirifiques. Tiens, voilà le «Get Rhythm» qu’ils jouent sur scène. Version bien sèche à la Rufus. Ils la tamponnent dans le coquillard. Autre cover de choix : le «Walking The Floor Over You» d’Ernest Tubb. Ils la cavalent ventre à terre, avec dans la course un solo de Tele stellaire. Ils adorent s’illuminer au paradis de la country de fête foraine. Tournez manèges ! Ils sont en plein dedans, avec des violons qui te graissent la patte. Ces mecs ont forcément une belle collection de disks. Encore de l’Hank avec «Ramblin’ Man». Will lui tord le cou et yodelle sa valse à trois temps. C’est très impressionnant. Ils font aussi de la grosse country palpitante avec le «Tonight The Bottle Let Me Down» du beau Merle. Nouveau coup de Jarnac avec leur vison du «White Lightnin’», cut chouchou de Gene Vincent. Les Cowboys s’aventurent dans le Lightnin’ avec leur petit gusto de derrière les fagots, c’est gratté sec à la française mais chanté avec esprit. Et comme il n’est de bonne compagnie qui ne se quitte, Fabien se tape la part du lion sur le «Rawhide» de fin de bal.

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             Drôle d’album que ce Possum’s Good For You. Pochette détestable mais contenu adorable. Pourquoi ont-ils été chercher cette photo dégueulasse ? On y voit deux gros porcs en blouses tachées posant fièrement sous un étalage de gros rats crevés. Les rats sont en fait des opossums, que les Américains appellent des possums. L’idéal aurait été que cet album sorte sur Fat Possum. Et le morceau titre de l’album est à l’image de la pochette : raté. Mais le reste de l’album est génial. Ils attaquent avec un fantastique «Goin’ My Way» propulsé par la stand-up. Stupéfiante tenue de route, le Will te chante ça au downhome de derrière les fagots du bush, et ça te donne un brouet demented infesté d’incursions intestines du fabulous Fab. Il faut le voir touiller le heavy mud ! On trouve plus loin un autre classique rockab, «I Tell It Like It Is». Encore plus demented are go. C’est d’une rare puissance. Le Will te chante ça à la folie Méricourt, il chevauche le wild craze, et le slap te ravale la façade. L’autre coup de génie de l’album s’appelle «Back In The Wind». Ils le tapent au power blast, dans l’esprit d’un supra-wild «Please Don’t Touch», fabulous Fab le gave d’une cisaille gravissime et ce démon de Will la chante à la pleureuse de Millet. Ils font aussi de la fast country de cowboys avec «Time To Take A Break», ils sont terrifics, gorgés de véracité, avec du violon de saloon et un beurre de baratte de rêve. Le Will est encore plus crédible sur «Blind Man», assis au bord du fleuve, il observe les libellules. Tous les cuts sont extrêmement bien produits, ils ont du gros son et le Will est all over. Il sait asseoir son autorité. Tu as parfois l’impression d’entendre chanter une superstar, ce qu’il est en réalité. Il sait poser sa voix, comme le font Dorsey Burnette ou David Allen Coe. Les Cowboys embarquent le soft rockab «Sixteen Tons» sous le boisseau. Extraordinaire qualité du boisseau ! En prime, tu as un solo de jazz. C’est assez extravagant de distinction. Fabulous Fab y va au wild as fuck sur «Guitar Boogie», c’est un cake, alors pas de problème. Et voilà la cerise sur le gâtö : «Got Into A Fight Last Night». le Will devient fou. Il fait l’Hasil Adkins. Il te démolit tout, la légende, les colonnes du temple, tout !  Merveilleux coup de chapeau d’un géant à un autre géant.   

    Signé : Cazengler, gros conboy

    Subway Cowboys. Le 106. Rouen (76). 28 avril 2023

    Subway Cowboys. Honk Tonk Time. L’Autre Studio 2015

    Subway Cowboys. Possum’s Good For You. Celebration Days Records 2017

     

     

    Il faut sauver le soldat Brian

    (Part Three)

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             Le sauveur du soldat Brian s’appelle Paul Trynka. Dans un book en tous points remarquable, Sympathy For The Devil - The Birth Of The Rolling Stones And The Death Of Brian Jones, Trynka célèbre le génie de cet homme, d’une façon éblouissante, comme s’il développait une loi mathématique censée établir une vérité qui crève pourtant les yeux. Zorro Trynka surgit hors de la nuit des books, court vers l’aventure au galop et vole au secours du pauvre Brian Jones, humilié et détruit méthodiquement par ceux qu’il appelait ses brothers, les Stones. Le Trynka book est un book qu’il faut mettre dans les pattes de tous les fans des Stones, pour commencer, mais aussi dans les pattes de tous les fans de (bon) rock, et bien sûr, dans celles de tous les fans de tragédie. Car quelle tragédie ! L’histoire est épouvantable. On n’aimait pas trop le Jag auparavant, mais là, sous la plume de Zorro Trynka, il devient encore pire que ce qu’on pouvait imaginer.

             Tu as deux façons de lire le Trynka book : soit tu t’effares du génie de Brian Jones, tel que le matérialise Trynka, soit tu te tortilles les mains de chagrin à suivre toutes les étapes du démantèlement de Brian Jones. Le coup de grâce fut l’embauche de Mick Taylor. Quelle abomination !

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             C’est d’une certaine façon le portrait d’un gentil géant que brosse Trynka, alors qu’il titre son book Sympathy For The Devil. On croit lire le portrait d’un diable, mais le diable, ce n’est pas lui, ce sont les autres. Trynka tripote les zones d’ombre avec une certaine habileté, oh bien sûr, Brian Jones n’est pas un saint, mais à plusieurs reprises, dans sa vie, il se fait jeter, et ce sera son talon d’Achille. En 1960, les lycéens et les lycéennes de Cheltenham lui tournent le dos. En décembre de la même année, il se fait virer de chez lui par ses parents qui partent en vacances de Noël et qui laissent sa valise sur le perron. Le voilà devenu outcast. Dans un premier temps, il va réussir à en faire une force. Mais le coup de grâce sera le fameux épisode de Marrakech, quand Jag, Keef et Anita se barrent en douce, l’abandonnant à l’hôtel sans un rond.   

             Attaquons le versant ensoleillé du mythe : tout au long des 350 pages de son mighty book, Trynka rétablit l’écrasante suprématie de Brian Jones. On en sort conforté, car ça correspond exactement à ce qu’on pensait de lui en 1965, quand on le voyait sur les pochettes d’albums et dans les pages des magazines. On ne voyait que lui. Les autres n’existaient pas. Le génie de Trynka est d’avoir su rétablir cette fameuse vérité qui crève les yeux. Dans ces conversations nocturnes que nous avions avec Jean-Yves, il disait souvent : «J’aime bien Brian Jones.» C’était en quelque sorte notre point de ralliement.

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             Dès qu’il s’installe à Londres en 1961, Brian s’impose. Paul Jones qui le fréquente dit qu’il ne connaissait personne qui jouait aussi bien que lui - No one, not Alexis for that matter - Trynka pense que Brian Jones, qui se faisait alors appeler Elmo Lewis, fut un pionnier - Perhaps the very first British musician to pick up on the potency of Johnson’s myth and music - Eh oui, Dylan parle lui aussi de Robert Johnson dans Chronicles, comme d’une influence de base, et Trynka se marre bien quand il dit qu’à la même époque «Mick Jagger was enchanting mums in the front rooms of Dartfod singing songs by Buddy Holly.» Trynka amène alors son premier postulat : «Brian Jones n’était pas seulement responsable de l’inspiration musicale des Rolling Stones, mais aussi de leur dark magic. He was the Stone with something of the dark about him.» La formule est magnifique. Trynka est un auteur littéraire. Un Zola dont le Dreyfus serait Brian Jones. Littérature toujours : en 1961, Brian Jones lisait déjà le Marquis de Sade, qui se vendait encore sous le comptoir. Sade et Robert Johnson ? Merveilleux point de départ. Dark magic. Bientôt sex & drugs & rock’n’roll. Brian Jones en sera la plus parfaite incarnation.

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             C’est en mars 1962, à Ealing, que le Jag, Keef et Dick Taylor voient Brian Jones sur scène pour la première fois. Brian est sur scène avec Paul Jones qui s’appelle encore P.P. Pond. Ça ne s’invente pas. Brian est déjà très en avance sur son temps, il a étudié Robert Johnson, Elmore James et Muddy Waters - Powerful and arcane knowledge in the spring of 1962 - Un knowledge que les Stones vont continuer d’exploiter pendant soixante ans. Qu’est-ce qu’on dit, les Stones ? Merci Brian Jones ! Mais ils sont tellement jaloux de Brian Jones qu’ils ne le remercieront jamais. Au contraire. Ils vont lui mettre la tête sous l’eau. Façon de parler. Marianne Faithfull dit dans son autobio que la mort de Brian a permis à Keef «de devenir Brian». Dick Taylor rappelle de son côté que le fameux Open G tuning vient de Brian Jones - Keef le regardait jouer en Open tuning et donc il savait. Je ne sais pas pourquoi il raconte qu’il tient ça de Ry Cooder. It’s strange.    

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             Bon, c’est bien Brian Jones qui monte les Stones et qui recrute les quatre autres. Ce n’est pas le Père Noël, comme le croient certains. Pour monter son groupe, Brian commence par embaucher le Jag, mais il ne veut pas des deux Dartford boys dans son groupe. Alexis Korner qui a pris Brian Jones sous son aile lui dit de ne pas prendre les deux. Prémonition ? Non simple logique : Alexis sait que Brian va perdre le contrôle dans son groupe s’il prend les deux. Mais le Jag pose sa petite condition à la mormoille : si Keef ne vient pas, alors il ne vient pas non plus. Bon d’accord, Brian est gentil, il prend les deux. Puis il recrute Dick Taylor et le batteur Tony Chapman, en passant une annonce dans le Melody Maker. Donc les Stones, C’EST Brian Jones. Il a une vision. Il ne définit pas que le son, il définit aussi ce que Trynka appelle the vibe, l’esprit. Dick Taylor sait que Brian Jones voit clair - He was more worldly-wise than us, most definitely - Le groupe s’appelle encore the Brian Jones Blues Band, puis Brian leur propose d’appeler le groupe The Rolling Stones, un nom qu’il tire comme chacun sait du «Mannish Boy» de Muddy. Premier gig en 1962, et Trynka y va fort : «It marked the beginning of an irrevocable change in popular culture.» Cleo Sylvestre ajoute que c’était «very exciting and very raw.»

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             Brian et Keef bossent alors constamment ensemble, working up their sound. Ils sont aussi les deux premiers à renoncer à la vie normale : ni études, ni day job. Ils s’installent au 102 Edith Grove, à Chelsea. Ils ont quelques albums sous la main, un Robert Johnson, Muddy At Newport, le fameux Best Of Muddy Waters, Chuck Berry et Jimmy Reed - That was the basic diet, grommelle Keef.

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             Andrew Loog Oldham bosse déjà avec les Stones quand ils enregistrent «I Wanna Be Your Man». Mais il ne participe pas à la session et c’est Brian qui supervise, qui double la voix du Jag et qui envoie des rasades de «slashing electric slide all over the track» - Wanna Be Your Man is a mess but touched by genius - Oldham est encore absent quand une nuit Brian vient rebosser sur les cuts du premier album - Brian brancha sa nouvelle Gretsch vert pâle dans son AC30, ready to make it sound better, just a bit funkier, just a bit dirtier - Brian remplaçait une piste jouée par Keef, puis une piste de basse. Trynka ne rentre pas plus dans les détails, c’est dommage, mais on garde l’image de Brian avec sa Gretsch vert pâle - His concentration was intense - Apparemment Brian n’était jamais content - Brian invented the Stones, hot-wired their music, out of this sense of dissatisfaction - Can’t get no satisfaction ?      

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             Brian nous dit Trynka se shampouine les cheveux tous les jours, il soigne son perfect golden halo et l’associe à un white polo neck. On voulait tous des cols roulés blancs à l’époque, à cause de Brian Jones. Trynka en profite pour rappeler que Brian est devenu le modèle de centaines de garage bands across the USA. Lors du TAMI show, il invente un autre concept visuel : il joue en tournant le dos au public. Toni Basil flashe sur lui : «This blond hair, bright red sideburns, those green eyes and he dressed flamboyantly. And wow, he was really a knockout.» Oui, on le sait bien qu’il est un knockout, mais on aime bien l’entendre dire. Lors d’une interview pour le TV show Shindig!, Jimmy O’Neill interviewe le Jag et soudain Brian intervient pour dire qu’il est temps de la fermer car Howlin’ Wolf arrive sur scène. Brian qualifie Wolf de hero et va s’asseoir à ses pieds pendant qu’il chante - Si un épisode incarne the life work of Brian Jones, c’est celui-ci, dans toute sa pureté et son côté sexy - Un autre personnage de légende est invité à l’émission, mais Brian ne le connaît pas. Alors il approche de son manager Dick Waterman et lui demande qui est ce venerable gentleman. Quand il entend prononcer le nom de Son House, Brian s’extasie : «Ah the man who knew Robert Johsnon and Charley Patton.» Cette anecdote situe bien le niveau de Brian Jones à l’époque, il navigue au même niveau de John Fahey et Al Wilson qui eux aussi étaient fascinés par les vieux crabes du blues.

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    ( Brian + Stash )

             Trynka n’en finit plus de dire à quel point Brian Jones est spécial - The protoype of a sixties rock star : languide, softly spoken, presque efféminé, a charming blond choirboy with something  of the night about him - C’est extrêmement bien écrit et d’une infinie justesse. Presque trop beau pour être vrai. Trynka va encore plus loin dans l’approche psychologique. Plutôt que de le voir associé à Satan, il préfère le voir associé à une divinité plus subtile, le dieu Pan, dieu de la fertilité, mi-homme mi-chèvre - The rock’n’roll spirit comes from Pan, affirme Stash, le fils de Balthus et proche/très proche de Brian Jones - Pan fut diabolisé par le christianisme, mais en réalité, c’était un dieu bienveillant. C’est l’une des clés du mythe de Brian Jones. Il est victime d’une grave erreur d’appréciation. Sade et Oscar Wilde furent aussi diabolisés de leur vivant, alors qu’à leur façon, ils étaient aussi des «divinités» bienveillantes. «Ce sont les passions et les obsessions de Brian Jones qui vont définir les Rolling Stones», affirme Trynka. «Sa fascination pour le chaos, les forces des ténèbres et la lascivité allait imprégner l’image et la musique du groupe. Mick and Keith allaient suivre son exemple. Dancing with the devil would come at high cost.» Encore faut-il savoir danser avec le diable.

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             En 1966, Brian devient la tête de gondole des Stones - a new figurehead - Il devient the peacock at the cutting edge of dressing and drugging, the two major innovations of 1966 - C’est vrai qu’on ne voit plus que lui. Et quand la psychedelia arrive, le Jag est complètement out of place. Brian teste toutes les drogues, il vit dans son époque, alors que Jag en a la trouille, nous dit Marianne Faithfull, écroulée de rire : «Mick wasn’t the rebel». Elle n’ose pas dire comme le fera Keef un peu plus tard qu’il est une petite bite, mais ça revient au même. Quand les Beatles enregistrent Revolver, c’est Brian qu’ils invitent aux sessions, certainement pas les autres. Gene Clark s’entend lui aussi très avec Brian. Ils bricolent ensemble une première mouture d’«Eight Miles High», en 1965. McGuinn osera dire après la mort de Gene Clark qu’il est le véritable auteur de ce cut. Non mais franchement ! Des fois les gens exagèrent ! C’est Brian qui transforme «Under My Thumb» en cut magique, en ajoutant tout simplement le marimba, sous l’œil éberlué de Jack Nitzsche, lorsque les Stones enregistrent Aftermath au studio RCA de Los Angeles. Eddie Kramer n’en finit plus de s’extasier sur le génie de Brian Jones : «I always considered Brian the most gifted of the Stones, musically speaking.» Bill Wyman en rigole encore : «Well, sans le marimba, ce n’est pas une chanson, pas vrai ?» Et puis il y a le dulcimer sur «Lady Jane». Encore un coup de génie. On se souvient plus des ambiances de ces deux hits que du chant médiocre du Jag. C’est Brian qui compose la mélodie de «Paint It Black». Brian ne joue plus de guitare et fait de la magie.

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             Trynka lève un autre lièvre : la recherche obsessionnelle du plaisir charnel. Chez Brian elle est de nature «divine» - C’était un être indomptable qui ne pouvait pas devenir, comme Mick (Jagger) un carriériste conventionnel - Anita et Brian forment le nouveau centre de gravité des Stones. Apparemment, c’est Anita qui le pousse à s’habiller de façon de plus en plus flamboyante, alors Brian qui est bien sûr narcissique se prête au jeu - The Arabian pashas, the nazi uniforms - oui, on a toutes ces images-là en mémoire. Brian ne s’arrête pas aux drogues psychédéliques, «it was velvet and William Morris prints, and frilly shirts.» Tara Brown, héritier de l’empire Guinness, participe aux acid sessions de Brian et Anita. Quand Dylan vient donner son show historique à l’Albert Hall, Brian et Stash vont le retrouver au Mayfair Hotel. Ils sont choqués nous dit Trynka de voir autant de gens se shooter à l’héro en public. Et là, Stash lâche l’info du siècle : «Aucun doute, Dylan fut pendant un certain temps obsédé par le fondateur des Stones. Comme le disait aussi Nico qui avait couché avec les deux hommes, ‘Dylan voulait être Brian Jones, pas un folk singer.’» Les souvenirs de virées nocturnes sont légion dans ce book grouillant de vie, par exemple celle qui nous fait monter dans la petite auto de Dana Gillepsie en compagnie de Brian, Anita et Stash qui vont finir la nuit chez Christopher Gibbs, un Gibbs qui les accueille en leur offrant un verre : «drink this» - I think it was liquid mescaline - Ou encore cette nuit surnaturelle à Paris, avec Stash, Anita, Françoise Hardy, Zouzou dont on trouve le détail dans la très belle bio d’Anita, She’s a Rainbow: The Extraordinary Life Of Anita Pallenberg, un bio qui fut saluée bien bas ici-même en 2021.

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             Arrivé à ce stade, on frise l’overdose. Mais on continue, car l’étoile de Brian Jones brille de plus en plus ardemment. Trynka revient bien sûr sur l’amitié qui liait Brian à Jimi Hendrix. Puis on attaque le chapitre Courtfield Road - one of london’s most legendary rock star pads, overlooking, précise l’auteur, Gloucester Road tube station - Et pour la tournée anglaise, Brian se pointe sur scène en veste de velours, avec une Gibson Firebird, la guitare qui va tous nous faire rêver, au moins autant que la Gretsch orange d’Eddie Cochran.

             Quand en 1967, Anita va en Allemagne tourner Mord und Totschlag pour Volker Schlöndorff, Brian l’accompagne. Il demande à Schlöndorff s’il peut composer la B.O. du film. Schlöndorff lui dit qu’il aimerait bien, mais il n’a pas de budget. Alors Brian lui propose de le faire gratuitement - Well I’ll do it for free - Schlöndorff est fasciné par Brian - Amazing. He was a Shelley-style character, a dandy - et il ajoute qu’il était l’incarnation de la créativité. Un dieu Pan ? Eh oui, la créativité, c’est exactement la même chose que la fertilité.

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             Le temps passe et nous voilà rendus au fameux trip vers le Maroc, à bord de la Blue Lena, la Bentley de Keef conduite par Tom Keylock. Brian et Anita voyagent en compagnie de Keef. Un Keef toujours un peu jaloux de Brian qui reste l’âme du groupe. Un Keef qui vit depuis le début dans l’ombre de Brian Jones. Un Brian Jones qui reste meilleur en tout. Trynka propose un nouvel exemple de cette supériorité : l’enregistrement de «We Love You». C’est Brian qui joue du Mellotron, nous dit George Chkiantz, l’ingé-son d’Olympic. Il rappelle que les Beatles l’ont utilisé sur «Strawberry Fields Forever» et que le Mellotron d’Olympic était très primitif, très compliqué à manier - Playing it took a special kind of genius - Et voilà ! C’est pas Trynka qui le dit, c’est Chkiantz ! Et c’est bien que Trynka cite Chkiantz. On a l’impression qu’ils réparent une grave injustice. Trynka évoque encore un bel épisode : Brian marchant dans les rues de Greenwich Village, New York, avec à son bras Nedra Talley des Ronettes, et affrontant les injures racistes - He’d laugh, give them the finger and keep walking, unconcerned - Il n’y a pas que les racistes, nous dit Trynka, qui vont haïr Brian Jones : les pires seront les stups anglais et les tabloids. Les Stups vont essayer de le coincer 7 fois. Pourquoi cette haine viscérale ? Jeff Dexter a la réponse : «He was a dandy». On se souvient de ce qui est arrivé à Oscar Wilde.

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    ( Brian + Eric Burdon )

             Quand McCartney l’invite à Abbey Road pour une session d’enregistrement, Brian se pointe avec un saxo et joue sur «You Know My Name (Look Up The Number)», cut expérimental qu’on trouve en B-side de «Let It Be». Puis Brian s’envole pour San Francisco. Il voyage sous acide en compagnie d’Eric Burdon, et arrivé sur place, il retrouve Nico, his old femme fatale. Keith Altham : «He was happy, walking around in lace frills and finery, a long flowing robe like he was Queen Boudicca of the pop festival. Considerably out of it, making dreamy little comments... he was good at dreamy little comments.» Merveilleuse description. Comme s’il décrivait un ange. C’est Brian qui présente son ami Jimi sur scène au festival de Monterey. Une séquence historique de plus. Trynka ajoute : «And Jimi was like Brian - he would try anything.» Jimi restera l’un des plus fidèles amis de Brian, c’est important de le souligner. À San Francisco, Brian rencontre aussi le mandrax. Stash : «That was a disaster».

             Brian retourne au Maroc avec Glyn Jones pour enregistrer la transe des Gwana à Marrahech. Son idée est d’emmener ensuite les bandes à New-York pour overdubber des musiciens de r’n’b - It was a visionary concept - Mais Brian est trop défoncé et Glyn Johns se barre. On retrouve ensuite Brian dans le clip de «Jumping Jack Flash» - Sporting bug-eye alien specs, silver lipstick and an ice blue Telecaster, Brian dominated the visuals - Eh oui, Trynka a raison, la messe est dite ! Quand on voit les autres Stones, on rigole, car ils sont ridicules. Et puis Godard et One + One, Brian the fugitive ghost, isolé dans son box, avec une acou qu’on n’entend même pas.

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             Retour au Maroc, cette fois Brian se met en quête des Pipes of Pan from Joujouka. Il fait équipe avec Hamri, Brion Gysin et George Chkiantz. Il s’agit là de l’épisode le plus fascinant de la vie de Brian Jones. Ils vont assister au Bou Jeloud ceremony, «the most potent example of the harnessing of ancient forces.» Ils quittent Tanger à bord de deux bagnoles. La première personne qui écoutera les bandes enregistrées à Joujouka sera William Burroughs qui vénérait lui aussi la musique des Ahl Serif musicians. Elektra se montrera intéressé par le Joujouka album, mais Allen Klein qui supervise le biz des Stones bloque le projet. Brian voulait rajouter des guitars on top et faire chanter Cleo Sylvestre. Ça ne sortira qu’en 1971, soit deux ans après sa disparition.

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             D’autres gens rendent hommage à Brian Jones : Taj Mahal («My favourite sound of the Stones was when Brian had his hand on the tiller»), ou encore Ginger Baker («Brian Jones was the main man in the Stones, Jagger got everything from him»). Et Trynka en remet une couche : «He formed the band, he named the band, he taught Keith Richards Open G tuning, and he taught Mick Jagger how to bring a girl to orgasm.» Et vers la fin, ils sort sa botte de Nevers : il indique que la disparition de Brian Jones est perturbante, puisqu’elle a initié des théories sulfureuses, «mais aussi un révisionnisme initié par Mick Jagger, Keith Richards, Andrew Loog Oldham et d’autres, visant à réduire considérablement l’importance de l’un des musiciens les plus révolutionnaires du XXe siècle.»

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             Le mot révisionnisme est un euphémisme dans le cas de Brian Jones. Trynka n’en finit plus de rappeler à quel point les Stones ont été odieux avec le pauvre soldat Brian. Comme l’observe Jack Nitzsche, «peace and love were in short supply in the Stones camp.» Pas de pitié pour les canards boiteux, sauf que Brian Jones n’est ni un canard, ni un boiteux. Il est l’âme des Stones et les autres en crèvent de jalousie. Sauf peut-être Bill, lui aussi victime de malveillance, comme le rappelle Trynka. Et là on attaque la face cachée de la lune. Très tôt, Trynka positionne le Jag comme un rival de Brian Jones. Il en fait une histoire de mâles dominants. C’est très anglais comme approche. The top-dog syndrome. Jagger commence par baiser Pat Andrews, la poule de Brian, qui est absent. Puis Jag développe un goût prononcé pour la ruse. Keith Altham explique que Brian n’était vraiment pas doué pour la ruse - Brian wasn’t good at being bad. Mick was - Et voilà, le décor est planté. Le top-dog sera le Jag. Brian va s’écrouler comme un château de cartes. Avant de se débarrasser de Brian, le Jag va se débarrasser d’Andrew Loog Oldham. Comment ? En lui réclamant un tiers du gâteau Immediate et Oldham lui répond : «You’re fucking joking?». Oldham commet l’erreur de sa vie, dit Tony Calder, son associé. Un Oldham qui est aussi membre actif du démembrement de Brian Ravaillac. Comme le rappelle Trynka, Oldham dégrade systématiquement Brian dans ses trois volumes de mémoires. Oldham n’a qu’une seule stratégie managériale : pousser le Jag, il n’a donc pas besoin de Brian Jones. Il faut le virer. Mais il faut commencer par virer Giorgio Gomelski, le premier à s’occuper des Stones, puis Eric Easton, premier associé d’Oldham. C’est une épouvantable série d’éliminations. On se croirait dans la mafia. Oldham et Brian Jones ont pourtant plusieurs points commun, l’ambition et le narcissisme, plus une certaine fascination pour les gangsters. Puis il faut se débarrasser de Stu, le pianiste. Pas de look - Stu was one Stone too many, with a face that didn’t fit - Oldham vend du sexe avec les Stones et Stu n’a pas la gueule de l’emploi. Trynka utilise une jolie formule pour décrire l’épisode : «Avec le sacking of Ian Stewart, c’était la troisième fois que le serpent entrait dans the Rolling Stones’ little Garden of Eden, mais cette fois, le sacking était plus violent que ceux de Gomelsky et Glyn Johns.» Oldham est un génie du marketing : le but de la manœuvre est de mettre en place le team Jagger/Richards pour rivaliser avec le team Lennon/McCartney.

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    ( Brian + Andrew Loog Holdham)

             La première crevasse au sein du gang que forment les Stones à l’origine apparaît avec les 5 livres en plus que Brian reçoit de la part d’Eric Easton, comme une sorte de bonus. Five pounds. Eric Easton a pris Brian à la bonne. Oldham va retourner cette affaire ridicule à son avantage. Trynka indique que le déclin de Brian Jones commence avec ce pauvre billet de cinq livres. Les autres Stones le regardent désormais de travers. Fin du friendship des origines. Brian va devoir affronter la Jagger/Oldham/Richards troika. Après Edith Grove, la troïka s’installe à Mapesbury Road. Sans Brian, bien sûr qu’Oldham surnomme ‘the cunt in the barrio’. La haine s’installe, la pire : la viscérale.

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             C’est Phil May qui raconte la première attaque que lance la troïka contre Brian. Les Stones enregistrent «Red Little Rooster» et quand Brian arrive au studio, les autres sont déjà partis, laissant une note : «enregistre ci et ça». Brian est consterné. Phil May est choqué par la malveillance du Jag et la brutalité d’Oldham. Comment ont-ils pu faire une chose pareille ? Dawn Mollow assiste à des shootes : quand Keef s’énerve, il balance des objets et ça peut faire très mal. Phil May : «Loogie for me was a bastard. Very good for them but a real bastard. Brutal. Jagger and Oldham were the absolute masters of the ruthless approach.» Jagger et Richards arrivent au pouvoir en 1965 avec «The Last Time». Tony Calder indique qu’il existe des acetates de compos de Brian et quand il en fait écouter un à Oldham, celui-ci répond : «Fuck off !» - And of course Mick wasn’t interested in singing it. They were cruel. Cruel fuckers - Les compos de Brian sont donc systématiquement rejetées. On met pour l’instant cette haine sur le compte du billet de cinq livres. Phil May dit aussi que la troïka a tout fait pour démembrer Bill Wyman, mais Bill a su faire le dos rond et fermer sa gueule. La pression est terrible. Lors d’une tournée américaine, Brian choisit tout simplement de disparaître. Le mec qui l’héberge à New York connaît bien les Stones. Il sait que Brian n’a aucune chance. Ross dit en outre qu’Andrew a empoisonné la relation de Brian avec Mick & Keef et qu’il n’y a aucune chance de réconciliation. Phil May voit bien que Brian vit en dehors des Stones - There was the band, the Stones, and there was Brian on the outside - Les Stones sont devenus un affreux panier de crabes. Le Jag a longuement étudié Brian pour pouvoir se passer de lui, puis il a étudié Oldham et appris à annoncer des décisions avec brutalité. Capital encore le témoignage de Marianne Faithfull qui a vu le Jag diaboliser Brian, puis Oldham, et elle est ensuite passée à la casserole.

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             Oldham n’a d’yeux que pour le Jag et son suprême talent, nous dit Trynka, est de savoir le manipuler. C’est la tendance, à l’époque, rappelle encore Trynka, il prend l’exemple des Animals qui ont connu le même genre de bordel, rivalités internes, une mort mystérieuse et des sommes énormes volatilisées. Il précise toutefois que the Stones story is bigger, «sans doute à cause de ce manager qui voulait contrôler toute la scène anglaise, pas seulement un groupe et dont le génie consistait à savoir arnaquer un arnaqueur.» C’est Oldham qui fait entrer le loup Allen Klein dans la bergerie. Les décisions se prennent à quatre (Klein/ Oldham/ Jagger/ Richards), on informe les autres après coup, et accessoirement on vire Eric Easton qui du coup ne sert plus à rien. Lors de la quatrième tournée américaine des Stones, Brian préfère passer son temps en compagnie de Dylan plutôt qu’avec les autres Stones. Au moins, comme ça, les choses sont claires. Sur la côte Ouest, Brian passe son temps en petit comité avec Jack Nitzsche, Toni Basil et d’autres membres de la jet set californienne, ce qui ne fait qu’envenimer les choses au sein des Stones. En 1965, le personnage hip des Stones, c’est toujours Brian. C’est lui qui prend les drogues - Brian inhaled, the others didn’t. They were tourists - Jack Nitzsche adore Brian - He’s the real Rolling Stone. (...) The adventurer - C’est pendant les sessions d’Aftermath que Jack Nitzsche découvre à quel point Brian est maltraité par les autres - Comme Phil May, Chris Hutchins et Dave Thompson avant lui, la brutalité au sein des Stones le choquait - En studio, ils font refaire plusieurs fois une piste d’harmonica à Brian, il finit par avoir du sang sur les lèvres, à force de souffler, et ils n’ont même pas lancé l’enregistrement, dit Denny Bruce, l’ingé-son. Bien sûr, Brian aurait dû quitter les Stones. En choisissant de rester, il s’exposait, nous dit Trynka, à de cruels sévices, mais de ce combat, il tirait une musique of quite extraordinary sweetness.

             Leur jeu favori consiste à faire venir Brian en studio pour lui dire au bout de cinq heures qu’ils n’ont pas besoin de lui. Alors Brian les supplie de le laisser jouer, «n’importe quoi, même des bongos». Marianne assiste à cette boucherie : «this was a man being destroyed and humiliated.» Dawn Mollow se souvient que Keef s’en prenait à Brian en permanence - It was often plain, bloody nasty - Marianne, Sam Cutler et Jack Nitzsche ne font que le répéter : ils agissaient de sang froid : «totally, utterly cold.» Jack Nitzsche : «They could be real nasty.» Brian paye pour un billet de cinq livres et les 12 gigs qu’il a manqués sur un total de 930. En 1967, nous dit encore Trynka, Brian ne se plaint à personne, ni en public ni en privé.

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             Ce ne sont pas les Stones qui auront la peau de Brian Jones : ce sont les stups qui vont le harceler. Au moment où les procès font de Keef un héros, les mêmes procès brisent la résistance du pauvre soldat Brian. Quand au moment des procès, Oldham va se planquer en Californie, Klein prend le contrôle des Stones. Quand Brian plaide coupable à son premier procès, Keef et le Jag se mettent à le haïr encore plus, comme si c’était possible. L’apothéose de cette haine sera l’abandon de Brian à Marrakech et pour bien enfoncer le clou, Keef lui barbote Anita. Brian est complètement détruit par cette trahison. Il ne pensait pas que des gens qu’il considérait comme des brothers iraient jusqu’à le traiter ainsi. Cette histoire est épouvantable. Même Shakespeare ne serait pas descendu aussi bas dans l’abjection et le dark - Abandonné. No money. Just stuck in a hotel, on his own, dit Stash. Pour Trynka, ce geste est the embodiment of their nastiness, il parle bien sûr de la mauvaiseté du Jag et de Keef. Pire encore : le Jag et Keef sentent qu’ils doivent évoluer et Brian Jones les empêche d’avancer. Ils commencent par le considérer comme nul et non avenu, comme s’il n’existait pas - You don’t exist - À la fin de la session de «Sister Morphine», le Jag va trouver Brian qui est écroulé dans un coin et lui dit : «Just go home Brian.» Puis ils enregistrent «Honky Tonk Woman» avec Mick Taylor, et le 8 juin 1969, ils vont trouver Brian chez lui à Cotchford Farm pour lui annoncer qu’il est viré. Trynka précise qu’ils emmènent Charlie Watts avec eux, au cas où il y aurait du grabuge. D’après Trynka, Brian se sent enfin soulagé. Mais quelqu’un dit ailleurs qu’après leur départ, Brian s’est mis à chialer. Alexis Korner et sa femme Bobbie viendront ensuite à Cotchford Farm tenter de le réconforter, en l’aidant à monter un nouveau projet. Trynka fait d’Alexis Korner un prodigieux personnage, un ange de miséricorde à la Wenders. Encore une bonne raison de lire ce book. Il y a aussi du Alexandre Dumas chez Trynka : de grands personnages apparaissent à point nommé.

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    ( Phil May )

             Brian Jones a vécu ses cinq années de Rolling Stone entouré comme on l’a vu des personnalités les plus fascinantes de son époque, Jimi Hendrix, Phil May (Brian vit un temps à Chester Street, chez les Pretties, un groupe qu’Oldham haïssait, car il les voyait comme des concurrents), Jack Nitzsche (lui aussi protecteur de Brian), Brion Gysin, Alexis Korner, et puis Paul Jones, auquel Brian enseigne le secret du ‘cross-harp’ à l’harmonica - a fifth up from its nominal key - Brian, nous dit Trynka, partage volontiers ses secrets, et Paul Jones ajoute : «It was like he’s opened doors to an unseen kingdom.» Et puis Chris Barber qui avait accompagné Muddy en 1959, un Barber qui tente le coup du blues électrique avec Alexis Korner, l’ange protecteur de Brian, un Korner qui a découvert le blues grâce à Leadbelly. Korner est le premier à prendre Brian au sérieux - Alexis realized that Brian was utterly devoted to the cause, dit John Keen - C’est l’époque magique d’Elmo Lewis à laquelle on revient toujours, et en 1962, les gens s’extasiaient de voir jouer le jeune Brian - How the hell did he get to be so good ? - Elmo Williams, premier spécialiste britannique de Robert Johnson, Trynka ressort l’histoire du pacte avec le diable, une histoire qui ne pouvait que plaire au jeune Brian, et puis il en profite pour tracer un parallèle, avec le coup de la short existence, eh oui, ni Brian ni son père spirituel Robert Johnson n’ont fait de vieux os. Dark Magic. On pourrait délirer à l’infini sur ce thème, alors que la réalité doit être beaucoup plus prosaïque. Mais bien sûr, on préfère nettement la version délirante des choses. Fuck the reality !

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             Et puis Nico, plus haute que Brian, et qui lui dit qu’elle adore se faire enculer - I like it the Turkish way: my father was Turkish - Elle s’entend bien avec Brian qu’elle trouve décadent et lui aussi bien versé in the dark sexual arts, un Brian qui présente Nico à Andy Warhol, c’est la fameuse photo mythique en noir et blanc qu’on voyait à l’expo Velvet à la Villette, Nico au bras de Brian Jones, une image qui revient comme un leitmotiv. Tu compares cette image à la pochette de Black & Blue et tu vois tout de suite où est le problème : les Stones n’ont plus d’image. Elle est partie avec Nico à la Villette. Ce jour-là, Nico donne comme carte de visite à Andy Warhol silver screen son single enregistré sur Immediate, et ce sera son ticket d’entrée dans le Velvet. Nico n’en finira plus de chanter les louanges de Brian Jones : «He gave the best sex. Better than Jim Morrison.» Ah les femmes ! Elles nous rendront marteau, chantaient l’Au Bonheur des Dames. Trynka nous les présente toutes : en 1958, Brian a 16 ans et fait un gosse à Hope, gosse adopté évidemment, puis en 1959, il engrosse sa copine Valerie Corbett à laquelle il est attaché, son fils Barry David est lui aussi adopté, puis une femme mariée lui donne une fille, Belinda, et c’est Pat Andrews qui lui donne un quatrième enfant, Julian Mark Anthony, il va ensuite collectionner les conquêtes, Linda Lawrence qui a 16 ans et qui met au monde en 1964 son cinquième enfant, Julian, puis Dawn Molloy qui met au monde son sixième enfant et qui le fait adopter, puis Zouzou Salut les Copains qui vient vivre à Londres chez le zazou Brian au 7 Elm Park Lane, puis c’est Anita qu’il rencontre comme dit plus haut lors d’une nuit magique à Paris, puis Suki Potier, qui ressemble étrangement à Anita, et la dernière «officielle» sera Anna Wohlin avec laquelle Brian semblait heureux à Cotchford Farm. Trynka évoque aussi les deux putes berbères tatouées de Marrakesh avec lesquelles il prévoyait de faire une partie carrée avec Anita, mais Anita ne voulait pas.

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             Trynka referme le chapitre Brian Jones avec l’histoire de la piscine macabre : trente pages de témoignages, les proches, les pas proches, les flicards, les suspects, un vrai bordel, et bien sûr la mort du fondateur des Rolling Stones n’a jamais été élucidée. Au fond, tout le monde s’en fout. Sauf Marianne Faithfull qui, apprenant la funeste nouvelle, a avalé un flacon entier de barbituriques pour se foutre en l’air. Bon, il faut savoir que les suicides ne marchent pas à tous les coups. Et plus on essaye, moins ça marche. Le suicide est sans aucun doute réservé aux professionnels.

    Signé : Cazengler, pas brillant

    Paul Trynka. Symapathy For The Devil. The Birth Of The Rolling Stones And The Death Of Brian Jones. Bantam Press 2014

     

     

    Todd of the pop

    - Part Two

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             Difficile d’accepter l’idée que nos chouchous vieillissent. Eh oui, Todd Rundgren A Wizard A True Star atteint l’âge canonique de 71 ans. Comme Dylan et quelques autres, Todd Rundgren laisse derrière lui ce qu’on appelle a body of work, c’est-à-dire une œuvre gigantesque. Attention, aller zigzaguer dans cette œuvre peut donner le vertige. L’ami Todd ne fait jamais les choses à moitié.

             Il part du bon pied puisqu’ado, il tombe sous le charme des Beatles. Ce n’est pas seulement le son qui le fascine, c’est surtout le phénomène de groupe que les Beatles incarnent : trouver deux ou trois mecs dans les parages, bricoler quelques chansons et démarrer un groupe. Il adore aussi le Paul Butterfield Blues Band, puis passe à Burt Bacharach et à Laura Nyro. Lois Wilson rappelle que Laura Nyro voulait Todd comme band leader, mais celui-ci ne se sentait pas prêt à endosser une telle responsabilité. Il était en outre tenu par ses engagements envers ses collègues de Nazz.

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    Puis Rundgren attaque le sujet central du contexte Wizardien : les drogues. Il explique tout simplement qu’elles faisaient partie de son processus créatif. Il prend du ritalin pour Something/Anything. Ça lui donne de l’énergie pour passer la journée entière au studio et rentrer chez lui pour continuer à composer - The songs were coming quickly - Avec A Wizard A True Star, it got psychedelic. Il prend de la mescaline. C’est là qu’il décide de construire son studio pour expérimenter en toute liberté, seul et sans aucune contrainte de temps.

             En fait, Rundgren ne se soucie pas trop de sa carrière solo, il vit bien de son job de producteur. Il est même très demandé, à partir du moment où Albert Grossman s’occupe de lui. Il sauve le Straight Up de Badfinger menacé de naufrage après que Geoff Emerick et George Harrison aient jeté l’éponge. Puis il devient très riche grâce à Meat Loaf et entre dans la légende avec le premier album des New York Dolls. Pas question de leur donner des consignes, ils ne savent jouer que d’une seule manière. Il voit que Johansen se prend pour Jagger et Johnny Thunders pour Keef. Il va aussi produire le fameux War Babies de Hall & Oates.

             Quand on veut le comparer à Bowie, Rundgren s’en défend. Selon lui, Bowie conçoit la musique comme l’univers sonore d’un personnage imaginaire, il en fait une sorte de concept artistique. Rundgren utilise la musique comme un facteur d’introspection. Self-discovery.    

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             Il monte Nazz («The Nazz Are Blue», hommage aux Yardbirds) en 1968 avec trois autres playboys, Carson Van Olson on bass, Thom Mooney en drums et le plus charmant, Stewkey Antoni on keys. Ils enregistrent un premier album sobrement titré Nazz. L’album sort sur Screen Gem Columbia, une filiale d’Atlantic. Tout ce qu’on peut en dire, c’est wow. Alors Wow ! «Open My Eyes» fait partie des hits qui ont survécu depuis 1968. Eh oui, Todd est déjà dans la modernité du son avec ce shoot de Nazz, son rock entre dans les annales comme dans du beurre, il balance de l’écho et des clap-hands et revitalise toute l’industrie américaine. Avec ses réflexes à la Brian Wilson, on voit qu’il sait tempérer. Voilà un hit gorgé de magie sucrée et de prestance, claqué des mains, Todd croise Dancing In The Streets avec The Beat Goes On et le Rain des Beatles. Il enchaîne avec un «Back Of Your Mind» tout aussi énorme, joué dans les règles de l’art du son d’alors. Todd part même en solo de gras double et sonne toutes les cloches à la volée. Il est précoce et affreusement doué, il place un killer solo flash sur les accords de la menace. En 1968, c’est inédit. Il revient au sommet du lard fumant avec «Hello It’s Me», une pop d’antho à Toto, la pop du Todd des origines. The Todd of the pop. Une pop dont on s’approche les mains tremblantes. Une pop envahissante, incroyablement puissante. C’est un phénomène inespéré pour l’époque. Il boucle l’A avec «Wilwood Blues», un heavy boogie prévisible, mais Todd décide de le saccager, alors il taille sa route à la machette dans la jungle. Il devient stupéfiant de polyvalence et nous fait le coup du big Todd. Il repart de plus belle en B avec «If That’s The Way You Feel», un cut de pop prog très ambitieux à la Brian Wilson, très évolutif et plutôt inattendu sur un early Nazz. On y entend des chœurs de miel. Et puis voilà le coup de génie : «When I Get My Plane». On le sentait venir. Nazz sonne ici comme un énorme concept, Todd se sert du Plane pour lancer ses idées révolutionnaires. Il ne veut pas de petits hits au hit-parade, il veut du big heavy Todd. Alors il sonne comme les Beatles. Il pousse la magie des chœurs d’artichauts loin devant, c’est pulsé à l’énergie d’un collectif beatlemaniaque. Du coup, l’album sonne comme une aventure extravagante. S’ensuit un «Lemming Song» assez déterminé à vaincre. Aucun obstacle, le drive de basse emmène la charge. Todd s’octroie déjà toutes les fantaisies. Quel album ! Si jeune, il est déjà pourvoyeur d’excellence.

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             L’année suivante, ils récidivent avec Nazz Nazz. L’histoire de l’album est intéressante. Rundgren venait de découvrir Eli And The Thirteenth Confession de Laura Nyro et voulait aller sur ce genre de son plus travaillé, alors que Stewkey et Thom Mooney voulaient rester dans la veine Beatles/Yardbirds du premier album. Rundgren voulait faire un double album et les autres un album simple. Tension et dissension. Atlantic se range dans le camp de Stewkey et de Thom Mooney, et sort le Nazz Nazz qu’on connaît. Mais quel album ! On est frappé dès «Forget All About It», une belle pop traversée par une descente de chant vertigineuse. Descente aux enfers du paradis. On sent déjà le virtuose des coups tordus. Rundgren est un chaud lapin beatlemaniaque. Il passe en plus un solo bien décalqué dans la trame du speed dating. Quelle énergie et quel éclat ! Avec son admirable brouet de heavy rumble et de fructification d’harmonies vocales astronomiques, «Rain Rider» renvoie directement à Rubber Soul. Plus loin ce démon de Rundgren pousse encore la pop dans ses retranchements avec «Under The Ice». Puissant et épais, chanté à l’éclat de voix, d’une extraordinaire modernité. Des milliers de groupes ont par la suite cherché à sonner comme Nazz sans jamais y parvenir. Ajoutons que Nazz est certainement le seul groupe américain capable de rivaliser avec les Beatles. Ils attaquent la B avec le powerfull «Hang On Paul», pur jus de beatlemania new-yorkaise, en plein dans les fourches caudines de Drive My Car. Quel souffle ! Ils travaillent l’art suprême de la précipitation excessive et du chat perché up-tempique, et Rundgren passe un killer solo flash. «Kiddie Boy» reste dans la même veine, c’est le boogie nazzy de prédilection - Kiddie boy/ Kiddie boy/ Don’t kid around with me - Même sens du boogie supérieur que Chicken Shack. Encore une belle énormité avec «A Beautiful Song», un cut bourré de dynamiques, de shuffle d’orgue et de panache guitaristique. Sur une red Sanctuary parue en 2006, on trouve des bonus et quels bonus ! «Sydney Lunchbox» sonne comme un hit des Small Faces et ils tapent «Magic Me» au heavy Nazz. Ils taillent la route avec un côté Blue Cheer et ça sonne comme une admirable décharge de la brigade légère. Ils amènent «Kicks» au Magic Carpet Ride. «Not Wrong Long» sonne bien les cloches - I’m not wrong long ! - c’est de la pop explosive qui saute par paliers en fonction du régime. Ça se termine avec une version heavy d’«Under The Ice», c’est battu à la diable et projeté de plein fouet dans le mur du son. On croit entendre les Beatles des enfers.

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             Il faut éviter le Nazz III édité l’année suivante par Atlantic sans le consentement du groupe, enfin de ce qu’il en restait, car Rundgren et Van Olson avaient quitté Nazz au moment où paraissait l’album. Selon des sources bien informées, on a viré la voix de Rundgren sur les vieilles bandes pour la remplacer par celle de Stewkey.

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     Si on veut entendre la voix de Rundgren, il faut rapatrier The Fungo Bat Sessions rééditées en 2006. Après tous les cuts de Nazz III privés de Rundgren («Kicks», Magic Me», «Losen Up» monté sur le riff de «Tighten Up», «Christopher Columbus» rocké à la force du poignet et «You Are My Window», véritable énormité que chante Rundgren), on passe aux bonus Fungo avec encore un «Magic Me» indomptable et une guitare qui roule sous la peau du beat. Rundgren joue comme Jimi Hendrix, à l’incidence. Tous les cuts sont à tomber de sa chaise, «No Wrong Long» et «Meridian Leeward», un groove des Caraïbes. Rundgren chante «Letters Don’t Count» et tout redevient de la magie pure : «Only One Winner», c’est tout simplement the Todd of the pop, puis voilà le renversant«It’s Not That Easy» et ce coup de génie terminal qu’est «Forget All About It».

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             Pour éviter tous les problèmes rencontrés dans Nazz, Rundgren décide se simplifier la vie et de naviguer en solitaire. Il se lance dans une carrière solo. Il construit un studio secret qui va devenir un mythe et attaque en 1970 l’enregistrement d’albums qui vont forger sa légende. Le premier s’appelle Runt. Il attaque cet album extrêmement sous-estimé avec un «Broke Down & Busted» monté sur le riff du «Cowboy Movie» de Croz. Il l’équipe de ponts plus pop et imagine un développement plus rebondi, ce qui ne l’empêche pas de replonger dans l’épaisseur du groove. Il peut même aller chercher l’hendrixité des choses lorsqu’il se prête au vieux rituel soloïque. On retrouvera ce riff un peu plus tard dans «Number One Common Lowest Denominator». Avec Nazz, Rundgren montrait qu’il savait déjà travailler la lumière. Ça se confirme avec «We Gotta Get You A Woman». Il allume son cut tant au chant qu’aux arrangements. Il fabrique de la vraie pop américaine, comme Jimmy Webb et Brian Wilson. Retour au pur Nazz Sound avec «Who’s That Man». Rundgren pulse littéralement le beat par dessus les toits, il propose ici une pop rutilante et nerveuse. Il se livre à un fantastique exercice de contre-chant. Il règne sur son empire à coups de who’s that man ! Nouveau coup de Jarnac rundgrenien avec «Devil’s Bite». Il chante ça à la désaille beatlemaniaque. Il fait dérailler sa voix en plein Bite. Il dispose réellement de tout l’arsenal : le génie vocal, la talent de compositeur, le jeu de guitare et le look de rock star. Il n’a donc besoin de personne en Harley Davidson. Il se livre en B à l’un de ses futurs dadas, le medley, avec «Babby Let’s Swing/The Last Thing You Said/Don’t Tie My Hands». Il en fait une confiture magique. Les trois cuts sonnent comme du Rundgren pur, délicats et fruités, mélodiques et de grande amplitude. Rundgren fait ce qu’ont fait les Beatles en Angleterre : il sublime la pop. Il termine avec un beau carnage : «Birthday Carol», un instro ultra-tonique et il solote ça avec une niaque épouvantable, il semble jouer contre vents et marées, c’est un voltigeur de première ligne. Il s’arrête soudain et repart en mode mélopif douceâtre. Quel album !

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             Encore un coup d’avorton (runt) avec Runt - The Ballad Of Todd Rundgren paru l’année suivante. Sur la pochette, Rundgren joue assis à son piano avec la corde au cou. C’est ici qu’on fait connaissance avec deux autres personnages à dimension mythique, Hunt & Tony Sales, qu’on retrouvera plus tard dans Tin Machine. Le point fort de l’album se trouve au bout de la B et s’appelle «Parole». Back to the big heavy rock - Put down that phone and listen/ Baby how can you be so unkind - Les frères Sales jouent leurs asses off, comme on dit là-bas - Put down that gun/ And listen/ If you shoot/ It would be such a waste - Que ce violence dans cette essence ! Dès «Long Following Robe», on sent une énergie pop extraordinaire. On sent le mec prêt à conquérir le monde. Il casse encore la baraque avec sa guitare vrilleuse dans «Bleeding». Et puis on sent monter l’influence de Laura Nyro dans des cuts plus tranquilles comme «A Long Time A Long Way To Go» ou «Hope I’m Around». «Boat On The Charles» groove bien le Runt. Globalement  Rundgren propose une pop très ambitieuse qui ne cherche pas à vendre son cul. 

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             En 1972, Rundgren passe aux choses très sérieuses avec Something Anything. Ce double album propose pas moins de trois coups de génie, à commencer par «I Saw The Light». Ça ne te rappelle rien ? Mais oui, les jours heureux, only you, only you/ And a feeling hit me oh so strong about you et cet enfoiré s’envole avec cause I saw the light in your eyes. C’est tout simplement l’expression lumineuse et chaude du génie de Todd Rundgren. Le deuxième moment fort se trouve en C et s’appelle «Couldn’t I Just Tell You». Il attaque ça au guttural beatlemaniaque. Belle harmonie entre sa niaque new-yorkaise et cette voix de sucre anglais. Wow, ce hear me out/ Why don’t you lend me an ear et cette façon de remonter les bretelles de son I wanna talk to you. Comme Brian Wilson, Todd Rundgren nous emmène au paradis. Et puis comment ne pas tomber de sa chaise à l’écoute de «Little Red Lights» ? Il surjoue sa heavyness couche sur couche au fondu de voix d’electro-sonic trash, et soudain, il écrase le champignon, alors les little red lights filent de partout. C’est hendrixien dans l’âme, digne de «Crosstown Traffic». Il rend aussi un hommage extatique à Wolfman Jack avec le titre du même nom - Hey baby you’re on a subliminal trip to nowhere/ You better set your trip together before you step here with us - Il fait un hit de r’n’b sixties mixé au drive - I may miss your loving while on my back/ But you can’t escape from Wolfman Jack - Il finit l’A avec deux merveilles de pop épique ultra-orchestrée, «It Takes Two To Tango» et «Sweeter Memories», cette pop extraordinairement ambitieuse dont il va nous sevrer dans les années à venir - Keep the goog leave the bad/ Take a few of theses sewwrter memories - Assez pur, dans le genre océanique. En B, «Saving Grace» sonne comme un hit - I think I’m gonna love it - et il revient au heavy mood en C avec «Black Maria». Il ramène les power chords et tout le pathos. Sa voix coule comme du miel, c’est une merveille d’osmose de la comatose. Il nous fait les harmonies vocales du «Swlabr» de Cream. En D, «Hello It’s Me» sonne comme un hit, mais on va plus sur «Some Folks Is Even Whiter Than Me», un solide groove de pop rock visité par un sax free. Ce diable de Rundgren va chercher le guttural des cavernes. Il termine avec «Slut», un heavy rock de see that girl, doté de chœurs fantastiques - She may be a slut/ But she looks good to me ! - Diable, comme on a pu adorer cet album à sa parution.

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             Et plus encore le suivant, A Wizard A True Star, paru un an plus tard et annoncé par Creem comme le messie. Album culte dont on a dit dans un Part One tout le bien qu’il fallait en penser. Dans l’étagère, tu ranges A Wizard A True Star à côté de Pet Sounds, d’Electric Ladyland, d’L.A. Woman, du White Album, de Blonde On Blonde, de Forever Changes et de Gene Clark With Ths Gosdin Brothers.

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             En 1974, Todd revient à la une de l’actu avec un nouveau double album sobrement titré Todd. Pour lustrer plus encore le blason de sa légende, il s’est teint les cheveux de toutes les couleurs. Quelle pochette ! Quelle gueule de rock star ! Il propose toujours une pop ambitieuse très orchestrée («I Think You Know») et très fantaisiste, pour ne pas dire très libre («Drunken Blue Rooster»), ce qui, à l’époque, dérouta tous les moutons de Panurge. Pour rester dans le filon du Zen Archer, il proposait «The Last Ride», une pop océanique qui s’étend jusqu’à l’horizon et qui ne se connaît pas de limite. Mais c’est avec «Everybody’s Going To Heaven» qu’il crée l’événement. Il replonge une fois encore dans la heavyness hendrixifiée et les vapeurs mauves du Crosstown Traffic. En C, il inscrit «No.1 Lowest Common Denominator» dans les tables de la loi, comme s’il réinventait la heavyness. C’est un chef-d’œuvre de coulage de bronze - I wanna be your No.1 lowest common denominator - Il sort des sons très crosstown, une fois de plus. Il reste dans le meilleur heavy blast de forty second street avec «Heavy Metal Kids». Il part en solo de fulgure et bat tous les records d’admirabilité des choses. Franchement, les clameurs extrêmes n’ont aucun secret pour lui.

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             Quel album bizarre, cet Initiation qui date de 1975. Bizarre car coupé en deux : la B est du pur prog d’Utopia, alors laisse tomber, et l’A, du pur Rundgren, alors laisse surtout pas tomber, au moins pour ces trois cuts que sont «Real Man», «The Death Of Rock And Roll» et le morceau titre. «Real Man», c’est de la pop de Todd et même de Wizard, même ampleur, même élan, même distinction. Pour «The Death Of Rock And Roll», il ressort les mêmes ficelles de caleçon, il sait se fâcher et jouer le heavy rock US mieux que personne. Quant au morceau titre, il nous récompense d’avoir chopé l’album, car c’est the Todd of the pop, du génie de bon cœur, il fonce dans le tas, avec un son exaltant, très fourni. Du pur Rundgren.

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             On considère aussi Faithfull comme l’un des grands classiques rundgreniens. Il y propose une A bourrée de covers et une B à lui. Son choix de covers le ramène au sources du mythe rundgrenien : Yardbirds, Beatles, Beach Boys, Dylan et... Hendrix, bien sûr, surtout Hendrix avec une version monumentale d’«If Six Was Nine». Il le prend d’ailleurs d’un peu haut, comme s’il voulait y shooter un peu de violence new-yorkaise. On le sent fasciné par Hendrix, il va chercher l’hendrixité des choses dans son monde, il joue des figures de style aériennes, il revient inlassablement flotter dans des vents d’écho. Résultat stupéfiant. Il paye son écot à Dylan avec «Most Likely You Go Your Way» et aux Beatles avec «Rain» qu’il agrémente de chœurs doux à la volée. Sa version de «Good Vibrations» est du pur copy cat. Comment pourrait-il en être autrement ? Il n’amène rien de plus que ce qui existe déjà dans la version originale. Il se montre juste l’égal de son dieu. Pour saluer les Yardbirds, il plonge dans un bain d’«Happening Ten Years Ago» avec des guitares qui gently weep. Admirable clin d’œil d’un kid américain au psyché de l’âge d’or britannique. Et quand il part en solo, il part en solo. Rundgren joue toujours pour de vrai. En fait, avec cette A, il tape dans les pires intouchables de l’histoire du rock, et «Strawberry Fields Forever» en fait partie. À part Todd Rundgren, personne n’a jamais osé s’attaquer à ça, ni à «Good Vibrations». Mais sa version est très américaine, il manque forcément le doigté de John Lennon. Il démarre sa B avec «Black And White», un heavy rock psyché - Guess you can believe anything - C’est énorme, chargé du meilleur son qui se puisse espérer ici bas. Non, franchement, on se saurait espérer mieux dans le genre. Avec «Love Of The Common Man», il propose son habituel mix de heavyness et de pop lumineuse. Comme les Beatles sur le White Album, Rundgren se livre à quelques exercices de style du type «When I Pray», assez africain d’esprit. D’ailleurs la pochette de Faithfull est aussi blanche que celle du White Album. Il faut aussi se souvenir que ces quelques excentricités pouvaient à l’époque ruiner un album. Cette face ne pouvait évidemment pas marcher à l’époque. Trop poppy, «The Verb To Love» ne passait pas. Il termine sa B sur un épisode assez glammy, «Boogie (Hamburger Hell)». Il sait tout faire, même glammer comme un gang de droogs.

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             Retour de la rock star sur la pochette de Hermit Of Mink Hollow paru en 1978. Le stand-out cut se l’album se trouve en fin de B et s’appelle «Out Of Control». Il porte bien son nom, hot damn ! C’est monté sur un big heavy riff. Rundgren l’a déjà montré : il sait allumer un cut au riffing et aux descentes de chant qui vont se fondre dans le chorus de guitare. Oh, il faut le voir partir en maraude de solo gras. Admirable corker ! Il emmène son hot shit au bout du bout et s’en vient lui hurler dessus. Il appelle l’A the easy side et la B the difficult side. Côté easy, on trouve «All The Children Sing», une pop très symphonique bâtie autour de ponts complexes qu’il jette par-dessus des vallées de synthèse. Tout reste très allégorique, chez Rundgren, il ne lâche jamais la grappe de sa vigne. Il s’adresse ici à tous les mecs de la terre, the Chinaman, wise and old, the Eskimo, brave and cold, the Jew in the holy hand, the Arab in his caravan, the African, strong ans proud, the Redneck, good and loud. Bravo ! Ce sont des paroles qu’on a presque envie d’apprendre par cœur. Il reste avec «Can We Still Be Friends» dans cette pop dont il a le secret, une pop connue de lui seul, très libre, très ouvragée, un monde en soi. Il rappelle aussi sur la pochette intérieure qu’il joue tous les instruments. Avec «Hurting For You», il explore de nouvelles contrées lysergiques et pianote dans l’ouate des chœurs. Il reste dans la pop élancée en B avec «You Cried Wolf». À force de crier au loup, comme on dit !

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             Healing paraît l’année de l’élection de François Miterrand. Il commence à expérimenter avec ses keys et ses boxes, comme il va le faire avec Utopia. Disons que l’album ne fonctionne pas. On s’y ennuie, et c’est la première fois qu’une telle chose se produit.

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             Sur The Ever Popular Tortured Artist Effect paru l’année suivante, Rundgren rend hommage aux Small Faces avec une version exemplaire de «Tin Soldier». Il monte sur ses grands chevaux pour imiter la bravado de Stevie Marriott. Il est mille fois dessus, il va même chercher le chat perché du vieux Stevie. Les autres bouts de viande se trouvent en A, à commencer par «Hideaway», belle pop avantageuse chargée de toute l’ambition rundgrenienne. Il revient inlassablement à cette pop énergétique pleine d’allant et tendue vers un avenir certain. On pourrait dire la même chose d’«Influenza», pop radieuse et clavecinée derrière les oreilles, jouée au mieux des possibilités du genre. Il fait des re-re sur sa voix, c’est un artiste complet - I can feel my will slip away/ Under your influenza - Quelle musicalité ! Puis avec «There Goes Your Baybay», il n’en revient pas de voir sa baby partir - Now I can’t believe it’s happened to me ! - En B, il tape «Drive» au son des Byrds, il est capable de ce genre de coup d’éclat. D’ailleurs, les Byrds étaient étrangement absents de Faithfull. Défaut réparé.

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             Encore un fascinant album : A Capella, paru en 1985. Rundgren tape dans le gospel avec «Hodja». On le sait depuis le début, s’il est bien un mec qui n’a besoin de personne en Harley Davidson, c’est bien Todd Rundgren. Le voilà lancé dans le jump de doo-wop, il fait son Blind Boy Of Alabama aux clap-hands, Hodja make me spin/ I want to dance ‘til I forget who I am - Puis il sort de sa manche une Beautiful Song intitulée «Lost Horizon». Il s’accompagne à la basse et swingue sa pop dans les altitudes - Maybe someday/ I’ll sing with you - Admirable, Todd Rundgren montre qu’il sait encore faire des miracles. Il monte son «Blue Orpheus» d’ouverture de bal sur un beat electro, mais ça captive. Curieux mélange de pop épique et de beat electro primitif. Il chante «Pretenders To Care» a capella, sur ses propres chœurs et son doom de doo-wop. Ce mec est très complet, trop diraient même certains. Il mélange les gens dans sa pop d’adolescent attardé. En B, il revient au pop world avec «Something Fall Back On Me», cut épique et lumineux dans la meilleure veine de Something Anything. Il règne sans partage sur son empire des sens. Avec «Miracle In The Bazaar», il fait le muezzin dans la medina et avec «Lockjaw», il fait l’ogre qui rôde dans la forêt noire. Il chante le magnifique «Honest Work» a capella - My family is lost to me/ They could not bear the hurt/ To see the state their boy is in/ For lack of honest work - C’est très poignant. Il termine avec «Mighty Love», un doo-wop en solitaire avec un boom boom derrière son chant étoffé de chœurs. Très bel album.

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             Encore un coup d’éclat avec Nearly Human paru quatre ans plus tard. Bobby Womack vient duetter avec Todd sur «The Want Of A Nail». Du coup ça prend une fantastique allure de white Soul à la Womack. Rundgren mêle sa bave de Philly Soul à celle du petit Bobby. Quelle belle paire, the white dandy and the black dandy together, c’est quelque chose ! Autre invité de marque : Prairie Prince, qu’on entend en B battre le beurre sur «Feel It». On a là une atmosphère à la Marvin, violonnée et travaillée au groove incertain. Rundgren mène bien sa barque de white Soul somptueuse et charnue. Retour à la grande puissance pop avec «I Love The Life», chœurs énormes avec un Todd on fire sur sa guitare. Les chœurs sonnent comme des bouquets d’excellence, il finit en apothéose de gospel batch. Stupéfiant ! C’est encore une fois un album exceptionnel. Rundgren revient à sa blue-eyed Soul avec «The Waiting Game», il tarabiscote à la Laura Nyro, c’est forcément bien vu et fantastiquement soutenu aux backing vocals. S’il fallait définir Rundgren en seul mot, ça pourrait bien être le mot éther. Avec «Unloved Children», il revient à ses chers solos incendiaires. Il faut le voir se glisser dans le heavy groove. Il nous gratifie aussi avec «Can’t Stop Running» d’un final explosif, tout y est, les chœurs, le solo, la folie douce. Il reprend son bâton de pèlerin avec «Fidelity» pour aller prêcher la blue-eyed Soul. Admirable sens du déroulé paradisiaque. Cet album s’inscrit dans la lignée des grands albums rundgreniens d’antan. Et puis voilà qu’avec «Hawking», il rejoint l’infini océanique du Zen Archer. Que peut-on espérer de mieux ?

             Suite des aventures du Wizard dans un Part Three.

    Signé : Cazengler, Todd Rengaine

    Nazz. Nazz. SGC 1968

    Nazz. Nazz Nazz. SGC 1969

    Nazz. III Including The Fungo Beat Sessions. Sanctuary Records 2006

    Todd Rundgren. Runt. Bearsville Records 1970

    Todd Rundgren. Runt. The Ballad Of Todd Rundgren. Bearsville Records 1971 

    Todd Rundgren. Something Anything. Bearsville Records 1972

    Todd Rundgren. A Wizard A True Star. Bearsville Records 1973

    Todd Rundgren. Todd. Bearsville Records 1974

    Todd Rundgren. Initiation. Bearsville Records 1975

    Todd Rundgren. Faithfull. Bearsville Records 1976

    Todd Rundgren. Hermit Of Mink Hollow. Bearsville Records 1978

    Todd Rundgren. Healing. Bearsville Records 1981

    Todd Rundgren. The Ever Popular Tortured Artist Effect. Bearsville Records 1982

    Todd Rundgren. A Capella. Warner Bros Records 1985

    Todd Rundgren. Nearly Human. Warner Bros Records 1989

    Lois Wilson : Drugs worked for me. Record Collector # 491 - April 2019

     

     

    Inside the goldmine

    - Qualls qu’il fasse

     

             On l’appelait OPQ parce qu’il se situait entre le KLM(N) de sa KTM et le RST de son air resté. Resté où ? Là-bas. Ne cherchez pas à comprendre. OPQ avait du cul, c’est-à-dire de la chance. Il pouvait barboter n’importe quoi sans jamais se faire poirer. Il comptait même en faire un métier, mais il était aussi père de famille, alors il dût accepter l’idée de prendre un job. Comme tout le monde, il devait payer son loyer et ses impôts. Mais dès qu’il avait un moment de libre, il donnait libre cours à sa cleptomanie. Comme on bossait ensemble, on y allait ensemble. Il repérait une boutique. Le jeu consistait à sortir deux objets identiques, les plus gros possibles. Le voir à l’œuvre était un spectacle hallucinant. Il sortait une main blanche de la poche de son imperméable et vif comme l’éclair, il subtilisait l’objet convoité. Il agissait sans jamais se retourner, comme s’il avait un œil à l’arrière du crâne. Il suffisait de l’observer et d’agir au même moment pour comprendre qu’on ne risquait rien. OPQ fonctionnait à l’instinct animal. Il savait exactement quand il fallait agir, au dixième de seconde près. Sa cleptomanie était un don, au même titre que l’oreille musicale pour un instrumentiste. Il analysait rapidement les ambiances, il ignorait les risques. C’est même une notion qui le faisait bien rire. Le risque ? Mais ça n’existe pas ! Ça n’existe que dans ta tête ! Il s’intéressait aux objets coûteux, objets de déco chez les designers, objets anciens chez les antiquaires, bouteilles de parfum chez les grands parfumeurs, et bien sûr grands crus chez les cavistes. Pas de bijoux, à cause des caméras. La condition était que ces objets fussent en double. Et puis bien sûr les disques. OPQ en avait rempli une armoire normande et se vantait de n’en avoir acheté aucun. Ça illustrait bien le rendement de la petite industrie. Sa femme sentait bon, sa maison était joliment décorée, ses enfants jouaient avec des jouets anciens qui valaient une petite fortune et il arrosait chaque repas d’un grand cru sélectionné avec un soin maniaque. Il y avait quelque chose de princier dans la voyoucratie d’OPQ. On aurait pu le surnommer Arsène Lupin.

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             Il existe un autre Arsène Lupin, mais c’est un Arsène Lupin de la Soul : Sidney Joe Qualls. C’est grâce à Sam Dees qu’on a fait sa connaissance : il figure sur la compile Ace One In A Million (The Songs Of Sam Dees). Un Sidney qui s’écrit aussi Sydney, ça dépend des labels. En plus de la connexion Sam Dees, tu as la connexion Carl Davis, le boss de Brunswick et de Dakar à Chicago, l’un des producteurs les plus brillants des années 70.

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           C’est d’ailleurs sur Dakar qu’est paru en 1974 le premier album de Sidney Joe Qualls, I Enjoy Loving You. Mise en bouche avec le groove du morceau titre, un groove de charme excédentaire. Qualls chante comme un dieu noir, il est le Marvin de Chicago. Il épouse parfaitement les formes du groove de Carl Davis. C’est sur cet album qu’on trouves les compos de Sam Dees, «Shut Your Mouth» (r’n’b classique chanté au doux du ton) et «Run To Me» en B, attaqué à la Marvin. Qualls le crack est dans de bonnes mains avec Sam Dees. Il groove l’une des meilleures sources de Soul du monde. Il tape aussi dans Gamble & Huff avec «If You Don’t Know Me By Now». Qualls tape là dans le nec plus ultraïque de l’upper state. Il tape plus loin dans une groove signé Carl Davis, «The Next Time I Fall In Love». C’est d’une magnanimité sans nom, une magnitude digne d’Anna Magnani. Il érige l’édifice d’une ineffable Soul sophistiquée. Il faut le voir feuler l’«I’m Being Held Hostage». Les blacks sont souvent des chanteurs de chèvre chaud. Et puis voilà le coup de génie de l’album : «When The Lilies Grow». Qualls fait danser ses hautes notes dans les tourbillons du bonheur, au yeah-ehh-ehh. Il boucle son balda avec l’excellent «Can’t Get Enough Of  Your Love», il reste pour ça dans le mood de groove urbain, Qualls a le doux gai de Marvin Gaye et le pied ailé de Leroy Hutson.

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             Un deuxième album paraît en 1978, le goûteux So Sexy. Dès le morceau titre d’ouverture de balda, le génie Soul de Qualls te saute au kiki, c’est-à-dire à la gorge, sur un heavy diskö beat ! Le cat Qualls chante comme un crack. Mais attention, ce n’est pas un album diskö, car avec «Let The Woman Know», Qualls passe à la Soul dansante très haut de gamme, les trois blackettes qui font les chœurs derrière Qualls sont superbes. Et puis il faut voir les violons de Marvin saluer «I Don’t Do This», ce mec Qualls est bon, il se prélasse dans l’oooh baby you’re so sweet. Comme c’est supervisé par Carl Davis, on a un chef d’œuvre de Soul moderne, dans l’esprit de Freddie Scott. En B, Qualls tape dans le funk avec «Good Ol’ Funky Music». On se croirait chez Parliament, babbehhh ! - I like funky music ehh ehh - il groove ça au big Qualls kick. Il fait du Richie Havens avec «Bad Risk», c’est puissant et mâtiné de violons, bien porté par le chant, les arrangements battent tous les records d’élégance. On trouve encore des grands éclats de Soul moderne dans «Where Have You Been», ça nous renvoie aux grands albums que Freda Payne enregistra avec Lamont Dozier et les frères Holland. Qualls finit ce bel album avec «I Could Be So Good For You», en mode Soul d’élégance suprême. Il groove son pré carré et monte au chat perché pour l’éclairer. Encore un album dont on espère ne jamais voir la fin. 

    Signé : Cazengler, Sidney crochu

    Sidney Joe Qualls. I Enjoy Loving You. Daker Records 1974 

    Sidney Joe Qualls. So Sexy. 20th Century Fox Records 1978 

     

     

    Wizards & True Stars

    - Last train to Clark’s ville (Part One)

     

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             Avec les Byrds, c’est un peu comme avec les Beatles, tu as tes chouchous. Sans doute George et John d’un côté, Croz et Gene Clark de l’autre. Chacun des quatre est une true star à part entière, et en même temps, ils ne sont rien les uns sans les autres. Pas de Byrds sans Gene Clark ni Croz. Bon d’accord, tu as les autres derrière, Jim McGuinn qui se rebaptise Roger, va-t-en savoir pourquoi, et puis la section rythmique Michael Clarke/Chris Hillman, mais on voit bien qu’après les départs de Gene Clark et de Croz, les Byrds sont retombés comme un soufflé, ce qui veut bien dire ce que ça veut dire.

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             Si les quatre chouchous sont réunis ici, ce n’est pas un hasard, Balthazar. Ils sont tous les quatre des musiciens et des compositeurs exceptionnels. Tape dans les albums solo de Lennon et de Croz, et tu verras qu’il n’y a quasiment rien à jeter. Chez George, c’est du pareil au même : All Things Must Pass est un joyau de la couronne d’Angleterre, l’un de ces albums parfaits que savaient enregistrer les grands artistes des années 70. Et puis tu as Gene Clark, dans un style post-Byrds beaucoup plus austère, mais tellement fascinant. Plus tu l’écoutes, plus tu comprends que les Byrds, c’est Gene Clark, sans vouloir manquer de respect à Croz. Gene Clark composait énormément et les autres Byrds le jalousaient un peu, car c’est lui qui empochait le gros des royalties.

             Il existe cinq façons d’entrer sur le continent Clark pour l’explorer : un, via les trois premiers albums des Byrds + Preflyte. Deux : via la bio de John Einarson, Mr. Tambourine Man - The Life And Legacy Of The Byrds’ Gene Clark. Trois : via les big bio des Byrds qui fait référence, celle de Johnny Rogan, Byrds - Requiem for the Timeless en deux volumes. Quatre : via la carrière solo de Gene Clark. Et cinq, via une compile Ace qui vient de paraître : You Showed Me - The Songs Of Gene Clark. Cette compile est la façon la plus légère d’entrer sur le continent Clark. Bizarrement, ce n’est pas John Einarson qui mène le bal du booklet, comme il le fait dans quasiment toutes les rééditions de Gene Clark, mais Kris Needs.

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             Égal à lui-même, Needs écrit avec une passion d’écolier transi. Il a déjà réussi à convaincre tous ses lecteurs de ramasser l’intégralité des albums de Sun Ra et de Funkadelic. Le voilà qui récidive avec Gene Clark qui pour lui est «one of the last century greatest voices, charismatic performers and supernaturally talented songwriters.» On le sait depuis longtemps, Needs ne lésine pas sur l’emphase et tant qu’il s’agit de très grands artistes, ça nous convient parfaitement. Qu’il en rajoute un peu, c’est normal, puisque c’est dans sa nature. Il s’excite tout seul en écrivant et il a raison. L’enthousiasme est toujours le bienvenu, même si on retrouve ici et là sa fâcheuse tendance à se placer au centre du récit. On aurait presque envie d’être un esclave debout près de lui sur le char qui traverse la ville pour lui murmurer à l’oreille : «N’oublie pas Needs que tu n’es pas Clark.» Comme beaucoup de gens passionnés de rock, il semble vouloir se grandir à travers ses dévotions. C’est un phénomène courant. C’est un peu la même chose que de dire au Professor avant d’entrer dans le studio du radio show : «Souviens-toi que tu n’es pas là pour parler de toi, mais des Cramps.» Bien sûr, il ne pourra pas s’empêcher de parler de lui. La dévotion passe parfois par le nombril.

             Il n’empêche que Needs s’y prend habilement pour bricoler sa compile : il fait un choix osé de covers et d’interprètes pas trop connus, ce qui occasionne quelques belles surprises, notamment le «Some Misunderstanding» de l’electronic gospel duo Soulsavers featuring Mark Lanegan. On avait cru bon de faire l’économie de cet album. Grave erreur car Lanegan + Gene Clark, ça donne un cocktail explosif. Needs parle de «towering emotional devastation» qui atteint un pic de no-retour avec «We all need a fix», en écho avec l’ineffable autobio de Lanegan, Sing Backwards And Weep. Needs en profite pour faire l’apologie de l’album Broken, dont est tiré le so spectral «Some Misunderstanding», spectral, oh yeah, avec un Lanegan blanc comme un cierge tapi au fond du spectre, et ça monte à l’éclate, ça se transforme en une aubaine pour le genre humain. On a là une sorte de conjonction inespérée : Lanegan + Gene Clark. Rien de tel qu’un interprète surnaturel pour mettre en valeur la grandeur élégiaque d’une compo. L’histoire du rock fourmille d’exemples de conjonctions inespérées : Totor/Righteous Brothers, Jerry Ragovoy/Dusty chérie, Burt/Dionne la lionne, HDH/Marvin Gaye, Isaac & Porter/Sam & Dave, et la liste continue. Cette liste constitue l’une des dimensions magiques de l’histoire du rock.

             Autre conjonction inespérée : Death In Vegas/Paul Weller avec une cover de «So You Say You Lost Your Baby», tiré du premier album solo de Gene Clark avec les Gosdin Brothers. C’est toujours très carré avec l’electro beat de Death In Vegas, mais cette fois ils tapent dans la compo du diable. Weller chante. What a mélange ! Ce fabuleux rock californien décolle comme un gros vaisseau spatial. C’est là que le compositeur Clark devient immense. À travers ce choix, Needs nous dit que Gene Clark traverse toutes les époques - It’s a mark of the eternel resonance of Gene songwriting - On connaît le faible de Needs pour l’electronic dance music. Dans son autobio, il nous soûlait avec ça. Alors il récidive et entre dans le détail de Death In Vegas, revient sur les fameuses Continuo Sessions, featuring Iggy et Baby Gillespie, puis sur Scorpio Rising, featuring Liam Gallag, Hope Sandoval et Weller, d’où est tiré ce véritable coup de génie qu’est la cover de «So You Say You Lost Your Baby».

             Tu sens nettement qu’une grosse énergie sous-tend tous les cuts de cette compile. Tiens on va prendre l’exemple des power pop kings Velvet Crush de Rhode Island. Ils tapent une fabuleuse cover d’«Elevator Opratator», chef d’œuvre lui aussi tiré de Gene Clark With The Gosdin Brothers. Nec de nec. Pas de choix plus juste que celui-ci. À travers ses choix, Needs revisite l’envol du Byrd solo. Alors bien sûr, on n’échappe pas aux Groovies qui ramènent leur fraise avec «She Don’t Care About Time», un cut qui aurait dû figurer sur Turn Turn Turn, le deuxième album des Byrds. Needs : «Perhaps my favorite Gene Clark song.» Mais la cover des Groovies n’est pas terrible, un peu confuse. Ils se prennent les pieds dans le tapis volant. On ne voit pas bien l’intérêt. On a d’ailleurs eu le même problème avec les Barracudas qui s’’épuisaient en vain à vouloir sonner comme les Byrds. Mais qui avait besoin de nouveaux Byrds à Londres ? Il valait mieux écouter les trois premiers albums des Byrds parus sur Columbia. Needs en profite pour rappeler que les Groovies «took their homaging of 60s Byrds, Beatles and Stones to nuclear levels at the height of ‘77 punk, in smart suits.» Cyril Jordan qui fréquentait les Byrds à leurs débuts n’en démord pas : pour lui, c’était de la magie, et c’est pourquoi il reprenait leurs cuts. Needs raconte aussi l’histoire des fameuses Gold Star Tapes : l’un des rêves de Cyril Jordan était d’enregistrer avec Totor et quand le projet est arrivé sur le bureau de Seymour Stein, il a préféré envoyer les Ramones chez Totor. C’est Marc Zermati qui a repris le projet au Gold Star et qui a proposé de le financer. Mais il n’avait pas de blé. Il est rentré en France avec un acétate et a réussi à sortir ses Gold Star Tapes. C’est bien que Needs salue Marc.

             «Eight Miles High» fut la seule compo de Gene Clark sur Fifth Dimension, le troisième album des Byrds. Curieusement, Needs a choisi la cover de Roxy Music. Weird choice car c’est une version diskö-funk, alors qu’«Eight Miles High» est avec «Arnold Layne» l’un des hymnes de la psychedelia. Le son est très anglais, on voit tout de suite la surface de vente et ce m’as-tu-vu de Ferry fait du glam de Byrds, c’est atrocement détourné, complètement pourri. Là, Needs se vautre en beauté. En même temps, c’est bien de savoir que des gens aussi en vue que Roxy peuvent faire n’importe quoi.

             Retour aux choses sérieuses avec «Echoes», un autre hit intemporel tiré lui aussi de Gene Clark With The Gosdin Brothers. «Echoes» est l’un des hits les plus faramineux de cet immense artiste. Needs s’étend d’ailleurs longuement sur cet album qui vaut largement les trois premiers Byrds, il rappelle tout de même que Tonton Leon, Glen Campbell, Jerry Cole, Van Dyke Parks et Clarence White sont dans le studio. Avec en plus Doug Dillard qui fera équipe avec Gene Clark aussitôt après, et dans les backing, tu as bien sûr Vern et Rex Gosdin dont les albums sont chaudement recommandés. C’est à Starry Eyed And Laughing que revient l’honneur de taper l’«Echoes» et miraculeusement, ils parviennent à restituer la magie de l’original. Needs qualifie ce groupe anglais des seventies de Byrds maniacs. Il rappelle aussi que le nom du groupe sort de «Chimes Of Freedom» et que Pete Frame, le boss de Needs chez Zigzag, les manageait. Et pour couronner le tout, le chanteur Terry Poole gratte une douze Rickenbacker.

             L’autre bonne pioche du compileur Needs, c’est The Rose Garden avec l’énorme «Till Today». N’oublions pas qu’il existe un EP inédit, The Rose Garden EP, qu’on trouve sur Gene Clark Sings For You, une red Omnivore de 2018. Ils font avec «Till Today» une belle descente de heavy country avec un fabuleux sens de l’entre-deux. Après celles des Groovies, de Roxy Music et de Juice Newton, c’est la première cover sérieuse de la compile.  

             Needs rappelle aussi que The Fantastic Expedition Of Dillard & Clark enregistré à l’époque où il fréquente The Rose Garden est un timeless triumph, «crystallising burgeonning country-rock and planting bluging seeds for Americana with its folk-rock-bluegrass-country amalgam.» Hélas, en 1968, le bluegrass ne se vend pas. Les Flying Burritos Brothers feront aussi les frais de ce constat. Ils sont là, les Burritos, avec «Tried So Hard», merveilleux shoot de country volante et bien sûr, on pense à Jean-Yves qui, dès 1969, vénérait déjà The Gilded Palace Of Sin.

             Pour Needs, le cut le plus fascinating de la compile est «Train Leaves Here This Morning» par Kai Clark, le fils de Gene, tiré d’un tribute album inaccessible. Kai ramène en effet la heavy country de son père. Par contre, on croise pas mal de plantards : Juice Newton («I Feel A Whole Lot Better» trop glacé), Thin White Rope («I Knew I’d Want You», si loin du compte), Linda Ronstadt (elle non, jamais de la vie, pauvre femme atroce et vulgaire), Pure Prairie League («Kansas City Spouthern», petit bivouac sur le cadavre de Gene Clark, aucune considération, fuck it), The Mother Hips («Why Not You Baby», encore une bande de m’as-tu-vu qui se croient tout permis) et puis tu as la reformation des Byrds et un «Full Circle» forcément énorme. Avec Gene Clark c’est tout l’un ou tout l’autre. En fait tout dépend des interprètes. Il est vraiment très spécial.

    Signé : Cazengler, tête à clarques

    You Showed Me. The Songs Of Gene Clark. Ace Records 2022

     

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         - La livraison 599 est parue avec trois jours d’avance, because j’étais en déplacement sur la route 6…

    • On the road 66 et tu ne nous as pas emmenés avec toi, Damie tu mérites soixante-six fois la mort !
    • Pas d’affolement les gars, je n’étais pas sur la soixante -six mais sur la 6…
    • Sur la 666, celle de la bête crowleyenne, invité par Jimmy Page au manoir Boleskine, Damie nous te maudissons jusqu’à la six-cent-soixante-sixième génération !
    • Doucement les gars, y a longtemps que Jimmy a tourné la page Boleskine, de toutes les façons je n’ai emprunté ni la 66, ni la 666, mais la 606 !
    • La 606, on ne connaît pas, une route pour les blaireaux comme toi, tu sais où tu peux te la mettre ta 606…
    • Bon puisque ça ne vous intéresse pas, je ne vous raconterai pas qui j’ai vu, y avait plein de rockers, une super nana, un concert de rock et…
    • Damie, arrête de nous faire languir, nous sommes tout ouïe pour ce truc inouï !
    • La route 606, comme vous l’ignorez, ne passe pas très loin de Provins et mène à Sens, donc je l’emprunte, au bout d’une quarantaine de kilomètres je sors de la route 606 et trois cents mètres plus loin je m’arrête pile sur la route 606.
    • Damie tu affabules si tu sors de la route 606 comment peux-tu t’arrêter sur la route 606.
    • C’est qu’il y a route 606 et route 606, la première est une route tout ce qu’il y a de plus route, pour ceux qui veulent tout savoir, il y a même une route 606 A et une route 606 B, mais moi je ne m’arrête ni sur la A ni sur la B, mais sur la route 606.
    • Damie, tu n’es pas un peu fatigué, tu devrais surtout arrêter le moonshine !
    • Essayez de comprendre, la Route 606 est bien une route, mais Route 606 est le nom d’un restaurant qui ne se trouve pas sur la Route 606 !

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    Route 606, vous ne pouvez pas ne pas le voir, c’est écrit en gros sur la façade noire. Un diner est-il spécifié. Pas besoin de s’inquiéter pour stationner. Dans dix ans ce sera autre chose. Nous sommes à la sortie de Sens, sur une zone d’activité en construction. Le resto en pointe et sur sa gauche une large rue toute droite sur laquelle s’alignent des locaux d’entreprises tout neuf. Aujourd’hui un désert. Demain une fourmilière. Ainsi va le monde. Mal.

    En tout cas ça sent la barbaque et le rocker. Normal, des flibustiers en perfecto s’activent autour d’un barbecue, tout de suite l’on se sent comme chez soi. Un bar et une grande salle à manger et boire durant le concert. Au mur la décoration appropriée au lieu, motos, fifty, rock’n’roll. Je ne m’attarde pas, juste une exception pour le coin de l’estrade à musicos. Une tapisserie de couvertures de livres dont une qui me fait chaud au cœur, la couverture de René Leys de Victor Segalen. Un de mes héros. Poëte, romancier, essayiste, médecin, marin, explorateur, sinologue, éditeur, peintre… Bretagne, Tahiti, Chine, né en 1878, mort en 1919, l’exote par excellence qui a exploré le monde pour mieux se retrouver en lui-même. Etranger qui passait.

    Cerise sur le gâteau, je retrouve Duduche, Franck et Christophe, la fine équipe du 3 B ! Le cheval de Troyes !

    MARLOW RIDER

    ROUTE 606

    ( Sens - 22 / 04 / 2023 )

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    ( Dessin : Patrick Cazengler )

    Si tu ne vas pas à Marlow, Marlow ira à toi. Un trio rock, tout comme tout triangle, possède trois angles. Ce soir l’angle de tête est relégué dans l’encoignure occupée par Fred Kolinski, un peu fiévreux mais toujours cette pose hiératique de roi du monde, aux cheveux transparents de sagesse imperturbable, qui sur ses tambours orchestre la mécanique des fluides qui relient les hommes entre eux, et les coups de semonce du destin qui les écrasent sur les vitres de leurs existences toujours trop brèves. 

    Un autre roi, Amine Leroy, si Fred est le monarque de la clarté ponctuante, Amine nonobstant sa chemise colorée est celui de l’ombre, yeux noirs, chevelure sombre, contrebasse fuligineuse que les autocollants colorés ne parviennent pas à égayer, Amine joue depuis l’intérieur de lui-même, l’est en dialogue constant avec sa big mama, entendez par là qu’elle parle pour lui, tout ce qu’il a à dire il le tait, elle est son medium, son interface, c’est elle qui s’exprime, parfois tous deux restent pratiquement immobiles, seuls les doigts d’Amine s’animent, souvent un vent de folie semble l’animaliser, la big mama reste stable tel l’axe incliné du monde qui ne bouge pas mais Amine se lance dans de courtes danses, son corps se détend en de brusques mouvements, se change en karatéka portant ses coups de pieds à des ennemis invisibles, dans ces moments son instrument émet des grondements intumescents qui déferlent sur le monde en onde sonores, en noirs serpents étrangleurs qui pénètrent et s’enroulent au plus profond de votre cœur.  

    Marlow le marlou, l’Argow, le pirate dont la guitare parle un argot électrique, de ce trio alchimique il est malgré son costume noir la pointe de feu, l’étamine rouge de l’incandescence. Dès le deuxième morceau, Sunshine of your love, traduisons par soleil rouge de lave, de Cream et crime, le diapason, le diapoison de la soirée est donné, joueront principalement les titres de First Ride mais aussi pratiquement la totalité de Cryptogenèse sorti depuis seulement deux jours au moment où j’écris ces lignes. Autrement dit un régal sonore, un défi car comment un trio de rockabilly peut-il subvenir au volume de cette musique psychédélique qui joue sur l’ampleur auditive. Cela nécessite maîtrise et débordement, chacune de toutes les notes doivent être comme des gemmes ciselées, mais l’ensemble doit se transmuer en tonnerre flamboyant. Le bruit subsume mais ne doit jamais couvrir la fureur de l’attaque instrumentale. Marlow a deux guitares, tout comme Zeus détenait la foudre et l’éclair, l’impact et la beauté. Notamment celle du geste, cette élégance qui fait qu’un grand guitariste est aussi un danseur, que si ses doigts s’affairent – ils semblent rivés sur les cordes dont il essaie sans cesse de se désengluer de l’attirance quasi-maléfique qu’elles exercent sur ses phalanges - de se son corps il dessine des courbes et glisse dans l’espace. Et puis la voix, la septième corde de la guitare, tour à tour la colombe qui prend son envol mais le plus souvent l’aigle qui fond sur sa proie, voire le vautour qui guette votre mort extatique. Marlow plane haut en toute tranquillité, Fred est toujours au rendez-vous des ponctuations effervescentes et Amine s’enflamme à volonté tel ces brandons que l’on lance par défi vers la voûte de la nuit pour y ajouter une étoile filante.

    Je vous ai promis une jolie fille, vous l’attendez, vous la connaissez, Alicia F, ce F comme une faucille à double tranchant, elle ne fera qu’une apparition, mais ô combien éblouissante, la femme faite désir, voix tranchante et attitude hiératiquement aguicheuse, la jouissance du rock à l’état pur, le jeu du don et du refus, en trois minutes elle a tout donné, en trois secondes elle s’est éclipsée, elle a tout repris.

    Nous n’avons pas tout perdu puisque nos trois Marlow Riders continueront à nous régaler. Le public exigera et obtiendra plusieurs rappels, je n’en dirai pas plus. Une soirée démons et merveilles.

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    ( Clap de fin : Tony, Franck, Alicia )

    Damie Chad.

     

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    Le nom du groupe a opéré comme un clin d’œil, marrant ça rappelle Blue Öyster Cult, j’ai lu la phrase dessous, se revendiquent de Black Sabbath, entre nous pas très original pour un groupe de doom ou de stoner, ah ! ce n’était pas un hasard, juste une synchronicité, citent le Culte de l’Huitre bleue aussi, z’ont déjà décroché un bon point, et puis encore  Mountain, ces gens-là me plaisent de plus en plus, et cette pochette qui rappelle Steppenwoolf, trois de mes groupes préférés, pas d’hésitation, écoute immédiate.

    UNIT 61

    RED EYED CULT

    ( Album digital / Bandcamp / 20 – 04-2023)

    Trio originaire de Norwich, du comté de Norfolk, cette étrange bosse de dromadaire située sur la façade est de l’Angleterre, composé de Lewis Doran, de Max Lungley et de John Franks. Peu de renseignements sur ces trois zèbres qui se présentent comme Cerbère, le chien à trois têtes aux yeux vitreux et aux naseaux fumants, gardien de la porte des Enfers. L’album a été enregistré au Bomb Store Studio qu’ils métaphorisent comme une installation de stockage de bombes nucléaires ultra-secrète.

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    Belle pochette, le lecteur se rapportera au Monster de Steppenwolf, recto et verso, pour méditer sur les intéressantes analogies. Un chaudron de sorcière en ébullition, un infâme clapotis de têtes de morts débordant, une armée de morts-vivants, ravage dégoûtant surmonté d’une hideuse figure, les yeux rouges sont encore au-dessus, affligés d’un strabisme divergent, un œuf poché, cassé, éclaté de lumière jaune pour l’un et l’autre menaçant tel un faisceau de DCA à la recherche d’une proie.

    Mithrandir : si vous n’aimez pas le rock ce titre est pour vous, je ne parle que des deux premières secondes, cette voix rassurante de prof de mathématiques qui vous explique l’immense joie que vous retirerez à résoudre une équation du dix-septième degré, après quoi je vous conseille de vaquer à d’autres occupations, sinon vous risquez d’avoir peur, reconnaissons que cette espèce ronronnement vomitoire de glaviot purulent n’est guère engageant, terrain glissant, une faille riffique s’écroule sur vous, aussi lourde qu’une montagne pesante, aggravée par le craquèlement de cette voix rugueuse dont vous n’attendrez aucune pitié, un torrent de cailloux qui descend lentement creusant un sillon sanglant dans votre âme piétinée en mille lambeaux, une beauté grandiose, un paysage sonore qui vous englobe dans son immensité, une basse lourde, une batterie sans cœur qui forge la cadence de quelque chose d’obscur qui avance, une force dévastatrice qui semble progresser à la vitesse d’une tortue, longue plainte d’agonie d’une guitare dont les doigts déroulent les tripes cordiques, la machine se remet en route, bulldozer historial en marche-arrière que rien n’arrêtera, s’il n’est pas de futur il est des passés cauchemardesques dont on reste prisonnier, sommes-nous du côté de Sauron ou de Mithrandir ? un des autres noms de Gandalf, l’arène de l’anneau vient de se refermer sur nous. Up in smoke : toute cette musique me tourne la tête, tout dépend de moi, ce qui vous écrase, qui pèse si fort sur votre corps peut devenir aussi léger qu’une plume, la voix n’est qu’un râle, mais imprécative, c’est le temps de la volte-face métaphysique celle qui égalise le haut et le bas, qui arase le bien et le mal, guitare victorieuse tourne la meule de la présence du monde, il suffit de transformer la dure réalité en douceur rêveuse, écoute la voix du serpent qui mue et qui depuis ton gosier tinte agréablement à ton oreille, dans le jeu de rôle du monde c’est toi qui lances et pipes les dés, chant de triomphe existentiel de paradis artificiel, ce morceau dévoile la splendeur miroitante du cosmos, tu n’étais rien, tu deviens tout. Le monde est à tes pieds, tu en jouis, et il explose comme un ballon de fumée extatique. Grögg : l’autre côté du rêve, le cauchemar, une voix de reptile, la musique pèse des tonnes, le cauchemar n’est pas horrible, il est lié à la plus grande compréhension du monde à laquelle tu es parvenu, la batterie abat les colonnes des faux-semblants, au fur et à mesure que tu avances les couloirs du retour s’effondrent. L’ennemi marche derrière toi, il est si près qu’il n’est peut-être que l’ombre de toi-même qui te suit, dont il faudrait te débarrasser, froissements paroxysmiques de basse, la guitare miaule de détresse, elle s’enfonce en toi comme pointes de poignards, les morts te coursent, peut-être es-tu déjà mort ou alors simplement une image de la mort qui te poursuit. Ambiance dramatique, tu as envie de crier tel un héros de Shakespeare mon royaume pour un cheval mais tu sais que le royaume est monté sur le cheval qui fonce sur toi. Hammerhands : que forge la basse sur l’enclume battériale, le rythme s’accroît, il se rapidise, s’accélère méthodiquement, et la guitare gagne en ampleur, tu ne peux compter que sur toi-même, les coups du destin hachent menu les remontrances que tu adresses au dieu que tu n’es pas, la musique est si lourde qu’elle éventre les tombes de ceux qui sont morts, tu glapis comme le renard qui arrache sa patte des mâchoires d’acier qui la retiennent prisonnière, maintenant tu claudiques dans la réalité du monde, une seule échappatoire, te perdre dans les fourrés du rêve, saisis-toi du marteau philosophique et détruis tous les cauchemars qui clapotent et croassent dans ton âme, ces grenouilles méandreuses de bénitier marécageux que tu écrases se muent en une superbe symphonie, tu es devenu le chef d’orchestre de ta propre délivrance, est-ce la batterie qui se teinte de folie, ou est-ce l’allégresse qui t’habite qui klaxonne dans ta tête, des sons que n’as jamais entendus jusqu’à lors, tu te tais et tu écoutes. Tu as raison ce morceau tient du prodige. Snowcome : percussions tapissées en accélération, changement de dimension, tu ne rampes plus sur la réalité du monde, tu voles dans le vril du rêve, tes cris exaltés percent la voûte des cieux, guitare et batterie déversent une averse de neige, tu hurles comme le loup, ta gueule effroyable lance des mots-tempêtes, tu es si loin, hors de toi et hors du monde, la musique devient un serpent charivarique qui se mord la queue comme s’il gobait l’œuf initial de l’origine érosique du monde. La guitare flamboie, telle une constellation ouranienne qui prendrait feu et purifierait le charbon calciné de ta cervelle en un monstrueux diamant cristallin dont chaque facette reflèterait des myriades d’univers. Et survient le riff final, tempête d’écume tsunamique, dieu merci ce n’est que du rock’n’roll. But we like it.

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             Le flair du rocker a encore frappé. Les amateurs d’ heavy doom stonerien ne regretteront pas le détour. Red Eyed Cult n’a pas à rougir des ses influences. Le groupe à suivre.

    Damie Chad.

     

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    Une belle enveloppe dans la boîte à lettres. Un envoi de Guilaine Depis, attachée de presse (La Balustrade). Un livre paru aux Editions The Melmac Cat. Cat est un mot qui cliquette agréablement aux oreilles des rockers. Sur le tract d’envoi, il est spécifié que le bouquin s’inscrit dans un nouveau courant littéraire le ‘’ pop roman’’.

    Le terme roman ne pose point de problème, celui de pop me hérisse quelque peu. Depuis quelques années la merchandisation de la littérature tend à creuser un fossé entre littérature dite ‘’élitiste’’ et la pop culture. Alors que dans les années soixante ce dernier terme désignait une volonté séditieuse d’ouvrir le champ littéraire et musical à des expérimentations éloignées des corsetages académiques, de nos jours le mot pop tend à désigner des œuvres facilement accessibles, pour ne pas dire subalternes, destinées à un public de masse. Ceci dit, ne nous fions pas aux étiquettes.

    1M976

    GERALD WITTOCK

    ( The Melmac Cat / Avril 2023 )

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    Gérald Wittock n’est pas tout à fait un inconnu. Une succincte biographie au dos de la couverture nous apprend qu’il est le descendant direct de Lucien Bonaparte. C’était le fils aîné de sa mère Letizia qui le préféra toujours à Napoléon. Ce détail historial n’est pas donné au hasard. Notre auteur a déjà publié plusieurs romans, notamment La Mutation, qui évoque un monde où les femmes ont pris le pouvoir… l’a aussi fait de la musique, notamment un disque (quatre semaines N°1 en Angleterre) Make Luv sous le nom de Room 5

    Couverture pop colorée, un mix manga-Warhol, de Bolo, agréable à regarder, attention un livre musical, chaque chapitre possède son QR code qui renvoie à une vidéo, le choix musical commence bien avec Riders on the storm des Doors, la suite est moins alléchante puisque l’on y trouve jusqu’à Sheila & B. Devotion. Il y a à boire et à ne pas manger dans cette playlist… Que voulez-vous, question Q avec ou sans R les rockers n’aiment que Suzie Q.

    Un livre gigogne. Ne serait-ce que cet avertissement de l’éditeur, suivie d’une fausse préface d’un ami, remplacée par une fausse interview de l’auteur, un véritable miroir aux alouettes ce roman. Peut-être avant de commencer notre analyse devrions-nous le résumer en quelques lignes afin de ne pas perdre le lecteur. Que se passe-t-il donc dans ce roman ? Toute question simple exige une réponse aussi simple. La voici donc : rien, il ne s’y passe rien du tout. Attention, je n’ai pas dit qu’il ne nous offre que deux cents pages blanches. Encore qu’en fin de volume Gérald Wittock termine ses remerciements par un grand merci à Malevitch et à son carré noir, ce qui tout de suite obscurcit le sujet. Après quoi il ajoute une petite phrase assassine : La littérature défie la censure. Une invitation à lire entre les lignes.

    Mais de quoi parle-t-il au juste s’impatientent les lecteurs. Le tract de présentation ne donne pas dans la nuance : annonce tout de go : Thématique de l’autisme. Reste qu’il y a autisme et autisme. Faut-il entendre ce mot comme l’affection dont nombre d’adolescents sont atteints depuis quelques années, ou le comprendre comme une métaphore descriptive du fonctionnement de notre société.

    Le roman se déroule à New York au milieu des années-soixante-dix. S’il se passait à Tokyo, au lieu d’user du vocable autiste on emploierait le mot hikikomori, ces adolescents japonais qui s’enferment dans leur chambre à lire des mangas et à jouer aux jeux-vidéo. Mais nous sommes à New York ce qui n’empêche pas Gérald Wittock d’user de l’esthétique du théâtre français classique. Du dix-septième siècle. Un seul lieu : un appartement. Et encore notre héros 1M976 n’a pas le droit de rentrer dans la chambre de sa mère ( voir Letizia ). Ce n’est pas grave, puisque toute l’action se déroule dans un lieu exigu. Pire que les toilettes. Dans sa tête.

    Est-ce que Gérald Wittock triche avec la règle de l’unité de temps. Nous avons envie de répondre oui. Nous avons envie de répondre non. Ce n’est pas que nous hésiterions. Nous conseillons nos lecteurs à relire les pages dans lesquelles Paul Valéry rapporte son entretient avec Albert Einstein, tous deux discutent de la notion d’élasticité du temps. C’est un peu comme un élastique : plus vous l’étirez, plus il s’allonge, et pourtant c’est toujours le même élastique. Une fois que vous aurez fini le livre vous aurez tout votre temps pour réfléchir sur la durée effective du récit.

    J’ai peur d’effrayer le lecteur, je le rassure tout de suite, aucun temps mort, l’action n’est jamais linéaire, elle comporte de nombreux hauts et de multiples bas. Gérald Wittock est un homme de son temps, si dans Racine et Corneille, Néron et Chimène entrent et sortent stupidement comme tout un chacun par une porte, le roman est pourvu d’un ascenseur. Qui monte et qui descend. Sans jamais faillir. Une fois que vous aurez fini le livre, vous aurez tout votre temps pour savoir si, ou pour savoir combien de fois, 1m976 emprunte l’ascenseur.

    Tout ce qui précède procède du cadre conceptuel de ce livre. Si je m’y suis tant soit peu étendu, c’est qu’happé par l’action, entraîné par l’enchaînement des évènements vous risquez comme le poisson prisonnier de son aquarium aux flancs transparents de ne pas vous apercevoir des murs de la prison mentale qui vous claustrophobisent. Soyez vigilants, les indices les plus anodins sont les plus ambigus.

    C’est que Gérald Wittock possède un esprit particulièrement retors. Excusez-moi, je me suis trompé d’adverbe, je voulais dire doublement retors. D’abord il se sert d’un truc qui marche toujours. Il vous raconte une histoire loufoque tout en vous assurant que rien n’est plus sérieux que son récit, vous met juste le nez dans le caca de votre époque en vous contant des choses effroyables qui, dieu merci, ne se passent pas par chez nous. Vous êtes prêt à lui épingler sur le veston la Légion d’Honneur du Mec bien, le Mérite Agricole du Citoyen Conscient, la Croix de Guerre de défenseur de la Femme et même de l’Homme. Jusque là tout va bien. La livre est terminé. Eh bien non, Gérald Wittock ne mégote pas, vous rajoute un épilogue. Au cas où vous auriez tout compris, il vous instille le doute. Le ver rongeur. Vous refile le coup de l’explication psychanalytique, autrement dit le coup du miroir qui vous reflète pour que vous réfléchissiez mieux.

    Si vous n’avez pas tout compris, je (tout comme l’auteur) ne peux plus rien pour vous.

    Ah ! si, pourquoi le héros possède-t-il ce nom bizarre, pas la peine que je vous en fasse une tartine, c’est très bien expliqué dans les toutes premières pages.

    Damie Chad.

     

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    (Services secrets du rock 'n' roll)

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    Death, Sex and Rock’n’roll !

    EPISODE 26 ( Festif  ) :

    140

    Nous sommes revenus sur nos pas. Les chiens avaient cessé d’aboyer, mais n’en gardaient pas moins les yeux fixés sur la tombe d’Alice. Il y eut une longue minute de silence. Rien de suspect n’apparut à nos yeux. Un grognement sourd monta de la gorge des cabotos. Le Chef alluma un Coronado :

    • Je parie une palette de mille coffrets de Coronados que nous n’allons pas tarder à avoir des nouvelles d’une ancienne amie, je suis sûr qu’elle ne nous oublie pas !

    Nous attendîmes plus d’une heure dans le silence et la froidure du petit matin. Molossa arrêta de grogner et posa sa truffe sur mon mollet. Le danger se précisait. Molossito se posta derrière moi, le poil hérissé, les yeux emplis de terreur. Carlos sortit son Rafalos, je regardai dans la direction où se fixait son regard. Il n’y avait rien. Presque rien. Si ce n’est comme une irisation rosée, deux points pratiquement indiscernables. Je songeai à deux pétales de rose d’une pâleur extrême, un reflet évanescent d’on ne savait quoi, une trace furtive appelée à disparaître. Je compris, les yeux rouges de la Mort étaient braqués sur nous. Contrairement à ce que je pensais ils restèrent aussi pâles, il fallut encore une demi-heure avant qu’une silhouette assise sur la tombe d’Alice soit visible. Les contours restaient flous, donnaient l’impression de ces filigranes que cachent à l’intérieur de leur trame certains papiers de luxe dans les livres d’art. Bientôt il n’y eut plus de doute, c’était Elle. Nous entendîmes un ricanement de mauvais augure

    • Si Monsieur Carlos se donnait la peine de remiser dans la poche de son veston, son joujou inutile, peut-être aurions-nous alors l’occasion d’entamer une discussion intéressante.

    Je n’étais pas d’accord. Je me souvenais des désagréments que nos Rafalos avaient causé à la grande pourvoyeuse des cimetières lorsque nous avions le Chef et moi, réussi à l’aveugler en tirant sur ses yeux. Elle dut deviner mes pensées, car elle esquissa un léger sourire sarcastique :

    • J’ai été très gentille la dernière fois, mais si je ferme les yeux vous ne saurez plus où viser !

    Carlos soupira et rengaina son arme.

    • Pour des vivants je concède que vous soyez bien plus courageux que la plupart de vos contemporains. Des teigneux, qui s’accrochent à moi comme les tiques sur les chiens.

    Molossa et Molossito visiblement vexés ne purent se retenir d’aboyer furieusement. J’eus un mal fou à les faire taire.

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    Le Chef en profita pour allumer un Coronado :

          _ Sans doute pourrions-nous maintenant utiliser cette accalmie canine pour bavarder en toute tranquillité, j’avoue que votre remarque sur notre courage m’a fait plaisir et…

    • Ce n’était que le début de ma phrase brutalement interrompue par vos corniauds, certes je reconnais votre courage, toutefois votre bêtise crasse me suffoque. Je prends un exemple parmi tant d’autres : vous n’arrêtez pas de courir après moi, je vaque tranquillement dans mes cimetières, ce sont des lieux calmes, j’aime m’étendre sur une tombe et chauffer mes vieux os au granit que le soleil inonde de ses rayons, et plouf vous vous radinez sans préavis et vous faites n’importe quoi, vous ouvrez les cercueils, ou comme tout à l’heure vous vous amusez à tuer les morts à qui je laisse quelques instants de délassements hors de leur dernière demeure, pire encore vous vous permettez de lutiner les jeunes mortes dès que l’occasion se présente !
    • Que voulez-vous Madame, la vie est si ennuyeuse il faut bien s’amuser comme l’on peut…
    • Vous le Grand Chef je vous avertis qu’une fois mort il est strictement interdit de fumer, votre futur risque de vous paraître très long !
    • Ah Madame, vous me rassurez, j’avais peur que peu à peu mon cercueil ne se transformât en cendrier, je me sens donc obligé de devenir, que dis-je, de rester immortel !

    Je crus qu’elle allait se jeter sur le Chef pour le faire passer de vie à trépas dans la seconde qui suivit. Mais non elle se retint à grand-peine si j’en juge par le flamboiement subit de ses globes oculaires, elle respira un grand coup et reprit la parole d’une voix mielleuse :

    • Il y a une chose que je ne comprends pas, vous le Chef du Service Secret du Rock’n’roll, vous avez eu au début de votre enquête l’intuition que ce que vous cherchiez dans le Père Lachaise était en relation avec la survie du rock ‘n’ roll, je veux bien le croire, mais alors pourquoi vous entêter à courir après les morts qui ne craignent plus rien au lieu de focaliser votre enquête sur le danger qui guette le rock ‘n’roll.

    Le Chef sourit placidement, il prit le temps d’allumer un Coronado avant de répondre :

    • Je tiens Madame à vous remercier pour cette judicieuse remarque, toutefois je me permettrais de vous rappeler que si l’on éprouve du mal à se saisir du chat, l’attraper par le bout de sa queue est parfois la solution de dernier recours. Comment empêcher le rock ‘n’roll de mourir si ce n’est en s’en prenant à la mort elle-même.

    142

    La Mort voulut répondre mais elle ne le put. Au mot Chat, Molossa et Molossito avaient éclaté en aboiements féroces. La scène qui s’en suivit la rendit folle de jalousie. Les deux chiens oublièrent tout à fait sa présence. Ils crurent qu’un infâme greffier parcourait le cimetière, aussi se jetèrent-ils à sa poursuite. Leur fallut une heure et demie pour s’assurer qu’aucun spécimen de la race féline ne hantait le jardin édénique du repos éternel. Lorsqu’ils revinrent se coucher à mes pieds, Molossito tout excité, extrêmement satisfait de n’avoir trouvé aucun rejeton de de leur ennemi héréditaire, pour imprimer à jamais le sceau royal de la présence canine sur les lieux leva la patte sur les brodequins de la Mort qui furent ainsi copieusement baptisés de cette ondée libératoire.

    J’ai tout de suite eu l’intuition qu’elle allait s’en prendre à moi. Je n’étais point dans le registre de l’erreur :

    • Quant à vous Agent Chad, qui osez intituler vos souvenirs Mémoires d’un Génie supérieur de l’Humanité, vous êtes comme votre chien, vous ne vous sentez plus pisser, vous avez juré de me tuer, moi La Mort, rien que ça, tout cela pour l’amour d’une gourgandine de bas-étage qui refilait les chamallows de sa patronne à vos deux clebs pouilleux qui sont pourtant tous les deux, même si on les prend un par un, plus intelligents que cette stupide péronnelle qui ouvrait ses yeux de merlans frits chaque fois qu’elle vous apercevait, une idiote même pas ravissante, vous devriez me remercier de l’avoir supprimée de votre déplorable existence, vous me devez une fière chandelle, jeune crétin d’humanoïde, il y a longtemps que je vous aurais trucidé si je n’avais pas compris qu’à peine mort vous iriez tout heureux vous étendre dans le cercueil de cette stupide mijaurée pour lui réciter durant toute l’éternité au creux de son oreille l’Annabel Lee d’Edgar Allan Poe jusqu’à la fin de l’éternité !

    Vous me connaissez. Je suis un garçon placide qui n’a jamais fait de mal à une mouche. Mais là c’était trop. Les circonstances ne m’ont pas aidé. Alors qu’elle finissait sa tirade, les grilles du cimetière s’ouvrirent. Il était neuf heures du matin, un peu tôt pour un enterrement à mon goût, mais un fourgon mortuaire suivi d’une cinquantaine de personnes pénétra dans l’allée principale. Qu’il y ait des gens vivants sur cette planète alors que mon Alice à moi, ma douce et tendre amie était sous la terre me parut comme une terrible injustice que je décidai sur le champ de réparer. Je saisis mon Rafalos, et commençai à tirer sur le cercueil que les croque-morts descendaient du véhicule, j’ai cru que ce geste anodin me calmerait, il n’en fut rien, tous ces vivants qui poussaient des cris perçants et m’insultaient m’exaspérèrent, ils n’auraient pas dû, je ne fis pas de quartier, je les tuais tous jusqu’au dernier, femmes, enfants, vieillards, hommes valides, sans pitié et sans regret. Carlos et Alice tentèrent de m’arrêter – le Chef en profita pour allumer un Coronado – mais j’étais possédé, un guerrier, un berserker qui sur les drakkars vikings pris d’une fureur sacrée n’hésitait pas à morde les boucliers, même la Mort essaya de s’interposer, en vain. Elle criait comme une folle :

    • Tu me donnes trop de travail !

    Le Chef prit la décision de nous exfiltrer du cimetière, la Mort resta à la grille, elle brandit une faux menaçante :

    • Vous me le paierez !

    Nous nous éloignâmes au plus vite…

    A suivre…

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 597: KR'TNT 597 : STANDELLS / SARI CHORR / PIXIES / BUZZCOCKS / CHUCK JACKSON / MARLOW RIDER / WESTERN MACHINE / STONE OD DUNA / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 597

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    20 / 04 / 2023

     

    STANDELLS / SARI SCHORR

    PIXIES / BUZZCOCKS / CHUCK JACKSON

     MARLOW RIDER / WESTERN MACHINE

    STONE OF DUNA / ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 597

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

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    Les standards des Standells

     

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             C’est dans Shindig! qu’on a chopé l’info : parution de l’autobio de Larry Tamblyn, le keyboardist des Standells. Comme toujours dans ces cas-là, on se frotte les mains. On se régale même d’avance. De tous les ténors du barreau gaga, les Standells étaient les plus percutants, donc les chouchous, comme l’étaient les Pretties en matière de British Beat, et Jerry Lee en matière de tout.

             Les Standells sont arrivés en France via Nuggets, cette redoutable compile Elektra qui a mis pas mal de kids sur la paille. Parce que forcément, quand tu entends «Dirty Water», tu as envie de choper les albums. Oh c’est pas compliqué ! Il te faut juste sortir un bon billet et aller sur l’auction list de Suzy Shaw, chez Bomp! et avec un peu de chance, si tu mises bien, tu peux récupérer les gros cartonnés US des Standells sur Tower. C’est comme ça que les quatre Tower des Standells sont arrivés ici. On les ressort périodiquement de l’étagère, histoire de se rassurer.

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             Eh oui, les Standells furent un groupe à hits, comme le furent tous les groupes gaga-punk sixties, certainement pas des groupes à albums, comme vont l’être un peu plus tard le Jimi Hendrix Experience et les Small Faces. Sur chaque album, les Standells tournent sur une moyenne de deux ou trois hits, mais ce sont des hits majeurs. Le reste n’est que du filler. Tiens, si tu commences par leur premier album, Dirty Water, tu as deux grosses cacahuètes à te mettre sous la dent : «Dirty Water», bien sûr, radical - Aw Boston you’re my home - et en B, «Sometimes Good Guys Don’t Wear White» - But tell your moma and your popa that sometimes... - Sous des airs bravaches de balloche chicano, c’est le cut le plus punk de Los Angeles, bien épais, avec un Dodd bien raw to the bone. On se régale encore d’un «Little Sally Tease» plein de jus, harcelé par les interventions intestines de Tony Valentino et bercé par le shuffle d’orgue de Larry Tamblyn. Ils font aussi une belle cover du «19th Nervous Breakdown» des Stones avec lesquels ils sont partis en tournée. C’est l’une des plus belles intros des sixties - You gotta stop & look around - Ils piquent là une belle crise de Stonesy. Mais le reste de l’album n’est pas du tout au même niveau. Oh la la, pas du tout.

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             Alors après, voilà Why Pick On Me - Sometimes Good Guys Don’t Wear White, paru la même année, avec l’une des pochettes les plus iconiques de la culture gaga. C’est là que ça commence à carambouiller car on retrouve sur l’album le «Sometimes Good Guys Don’t Wear White» de l’album précédent. Joli cut c’est sûr, mais à l’époque, le procédé ne nous plaisait pas. Et comme on va le voir, cette façon de refourguer les mêmes hits sur des albums différents n’est pas finie. Côté covers, ils retapent dans les Stones avec un shoot d’acier de «Paint It Black», ils ramènent énormément de power dans un cut qui au fond n’en nécessite pas plus que ça, et puis ils tapent dans Burt avec «My Little Red Book», déjà repris par Arthur Lee & Love, et là, oui, banco, car grosse énergie punk, les Standells sont dans l’excellence du big L.A. brawl, ils y vont à l’énergie d’aw no ! L’autre coup de Jarnac est le «Mainline» qui traîne vers le bout de la B des cochons, encore du pur jus d’L.A. punk, qu’infeste à outrance le wild slinger Tony Valentino. En trois étapes («Dirty Water», «Sometimes Good Guys Don’t Wear White» et «Mainline») les Standells ont défini l’archétype du gaga-punk sixties.

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             Allez, on va dire que leur meilleur album est le Try It paru l’année suivante. Les deux coups de génie sont «Barracuda» et «Riot On Sunset Strip». Le Barracuda est le vrai hit des Standells - I’m a young barracuda/ Swimming in the deep blue sea - Wow, les fantastiques chœurs d’artichaut résonnent dans l’écho du temps. Ils finissent en mode hypno de c’mon c’mon c’mon. Planqué au fond de la B voilà l’excellent «Riot On Sunset Strip» - I’m going down/ To the Strip tonite - et ça va très vite avec le call for action. Vaillants Standells ! Dommage que le cut vire pop. Arrivent les sirènes de police, alors ça repart au wild as fuck avec le Tony en embuscade derrière les immeubles en flammes. Classic L.A. punk. Ils font aussi une cover bien standellienne de «St James Infirmary», gluante à souhait et chantée à outrance. Et puis bien sûr, tu as le morceau titre, belle invitation au c’mon girl. 

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             Le quatrième Tower s’appelle The Hot Ones et c’est un album de reprises. On y retrouve le «19th Nervous Breakdown» des Stones et le punk genius de «Dirty Water». Le troisième standout de The Hot Ones est la version punkish de «Last Train To Clarksville». Tony Valentino et Dick Dodd jettent tout leur swagger dans la balance. Par contre, ils se vautrent sur «Wild Thing». Les Troggs font ça beaucoup mieux. Ils tapent aussi dans Donovan avec «Sunshine Superman». Ils ont la main lourde, ils ramènent un gros bassmatic sur le dos de Don, disons que c’est de bonne guerre. Ils enchaînent avec «Sunny Afternoon». Choix étrange de la part de punks angelinos. Nouveau choix étrange en B avec «Eleonor Rigby», et ils retrouvent enfin des couleurs avec une retake tape dur de «Black Is Black», encore un hit qui date de la belle époque, une fantastique machine à remonter le temps.

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             Dans son book, Larry Tamblyn se dit très fier du Live On Tour 1966 exhumé par Sundazed. On y trouve à boire et à manger. Ils attaquent avec un classic gaga pysch, «Mr Nobody», pas vraiment de son, ça joue sous le boisseau, dans les ténèbres de la légende. Ils enchaînent deux covers, «Sunny Afternoon» et «Gloria». C’est très mou du genou dans les deux cas, le Gloria est doux comme un agneau, ils en font même un comedy act. Ça se réchauffe en B avec «Why Pick On Me», une valse à trois temps qui préfigure les Doors. Ils flirtent aussi avec Paint It Black, mais ça bascule heureusement dans le punk de why pick on me baby. Puis ils osent taper dans James Brown avec «Please Please Please», wanna be your lover man baby, mais c’est imbuvable. Même leur «Midnight Hour» est mou du genou, complètement édulcoré, chanté en mode petit cul blanc. On est aux antipodes de Wicked Pickett. Ils finissent en mode Standells action avec «Sometimes Good Guys Don’t Wear White» et «Dirty Water». C’est Dave Burke qui fait rouler la poule au bassmatic avec un son bien rond et de vaillantes transitions.

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             Pour tous les fans des Standells, le Tamblyn book est un passage obligé, même si globalement on y apprend rien de plus que ce qu’on sait déjà. Début d’autobio classique avec tous les détails d’une enfance californienne et fin d’autobio classique avec tous les détails des règlements de comptes et des petites trahisons, le traître principal étant Dick Dodd.

             Bizarrement, Tamblyn reste en surface. Il relate. Il raconte sa vie très simplement. Comme si sa vie se résumait aux quatre hits déjà cités. Mais il n’entre pas dans la chimie du groupe comme le fait Kid Congo avec le Gun Club. À la lecture du Congo book, on comprend pourquoi le Gun Club est un groupe si important. Larry Tamblyn se limite aux faits. Si les Standells sont devenus un groupe tellement mythique, on ne saura jamais vraiment pourquoi, on devra donc se contenter de les écouter. On grapille néanmoins quelques petites infos complémentaires et on s’en régale, puisqu’il s’agit des Standells, after all. Larry Tamblyn commence par nous rappeler que le Sicilien Tony Valentino s’appelle en réalité Emiliano Bellissimo et qu’ils ont co-fondé tous les deux les Standells en 1962. L’autre principale caractéristique de Tony est qu’il passe sa vie à courir les jupons et à baiser comme un lapin. Alors pourquoi les Standells ? Tamblyn tire le nom du «standing around in booking agents’ offices», c’est-à-dire «faire le poireau chez bookers». Larry a un grand frère, le fameux Russ Tamblyn, de neuf ans son aîné, qui deviendra movie star. En 1958, Russ joue le rôle d’un détective dans High School Confidential, avec Mamie Van Doren. On y voit surtout Jerry Lee. Larry avoue que Jerry Lee est l’un de ses héros et c’est grâce à lui qu’il arrête la gratte pour passer aux keyboards - After seing the movie, my musical perspective changed forever - Ça s’appelle une vocation.

             Le deuxième line-up des Standells comprend en plus de Tony et de Larry, Gary McMillan (bass), rebaptisé Gary Lane, et Gary Leeds (beurre). Gary Leeds qui vient de voir The Village Of The Damned veut changer le nom du groupe pour l’appeler The Children, en référence au film, et il propose que tout le monde se teigne les cheveux en blond. Proposition refusée. Gary Leeds commence alors à voir le groupe de travers. Il ne va d’ailleurs pas tarder à le quitter pour rejoindre les Walker Brothers. On ne saura hélas rien de plus sur ce personnage clé de l’histoire du rock américain.

             En 1965, Larry abandonne le Farfisa pour un Vox Continental organ. C’est Dick Dodd qui remplace Gary Leeds, un mec «handsome and self-assured», «half Hispanic and half Irish». Larry lui trouve «a real punk attitude». Dodd dit aux autres qu’il a eu l’info par Jackie DeShannon qui savait que les Standells cherchaient un beurreman. Dodd dit aussi qu’il a joué un moment dans le groupe de Jackie. 

             C’est aussi en 1965 qu’ils rencontrent Greengrass Productions et Ed Cobb, un ex Four Preps. Les Standells signent avec eux, parce qu’ils ont un deal avec Tower Records. C’est Cobb qui pond «Dirty Water». Il suggère de laisser Dick Dodd chanter. Et Tony sort le riff qu’on connaît tous, le fameux dum-dum-dum dump-da-dum. C’est Dick Dodd qui a l’idée de l’intro d’I’m going to tell you a story - It’s about my town/ I’m going to tell you a big fat story baby/ It’s all about my town - C’est aussi lui qui ramène les petites transitions du genre «along with lovers muggers and thieves», et «aw but they’re cool people». Et pour bien enfoncer le clou, Larry révèle que «Dirty Water» fut enregistré dans un garage aménagé en studio à Westwood, sur un trois pistes. Wham bam thank you pas mam, mais Armin Steiner, l’ingé-son. Inutile de dire que la version enregistrée de «Dirty Water» n’a plus rien à voir avec la démo d’Ed Cobb, mais les Standells ne sont pas crédités.

             En 1966, un mec de Screen Gems appelle Larry pour lui proposer la botte dans les Monkees, mais comme les Standells commencent à décoller, il reste loyal au groupe. D’autant plus loyal qu’avec «Dirty Water», les Standells obtiennent a «national prominence». Soudain, Dick Dodd annonce qu’il quitte le groupe pour rejoindre les Ravens. Tony est furieux : «Dat fucking Mexican ruined my life». Tony parle encore un mauvais Anglais que Larry s’amuse à le citer dans le texte. En remplacement de Dodd, ils recrutent Dewey Martin qui bat le beurre dans Sir Raleigh & The Coupons, et qui le battra ensuite dans Buffalo Springfield. Comme Dodd, Dewey est un excellent beurreman et un excellent chanteur. Quand Dick Dodd revient, Dewey gicle. Soulagement général, car Dewey se baladait avec un ocelot dont tout le monde avait la trouille.

             Il est temps d’enregistrer le premier album et Ed Cobb emmène le groupe au Keaney Barton’s Audio Recording Studio, là où les Kingsmen, les Sonics et les Wailers ont créé le Northwest Sound. Et quand Gary Lane quitte le groupe, c’est l’excellent Dave Burke qui le remplace.

             L’épisode le plus important dans l’histoire des Standells est certainement leur tournée en première partie des Rolling Stones, en 1966. Rick Derringer et les McCoys font aussi partie de cette tournée devenue mythique. Le tour manager des Stones est Mike Gruber que Larry voit comme un «major asshole». Dans l’avion les drugs sont plentiful : pot, mais aussi l’amyl nitrate qu’on utilise nous dit Larry pour relancer le cœur des mourants. Hélas, Larry reste à la surface des choses. On trouve beaucoup d’infos sur cette tournée dans Love That Dirty Water: The Standells And The Improbable Red Sox Victory Anthem de Chuck Burgess & Bill Nowlin.

             Ils enregistrent leur deuxième album Why Pick On Me à Los Angeles. C’est Ed Cobb qui choisit tous les cuts. Larry ajoute qu’il impose aussi le titre à rallonge. La même année sort The Hot Ones. Cobb fout la pression commerciale. Comme ça se vend bien, il accélère la cadence. Biz biz biz. Puis Larry voit Cobb changer. Il devient despotique et bien sûr, bosser avec lui devient compliqué. Il se prend pour une superstar, comme Totor, il s’attribue le fulgurant succès des Standells. En studio, il fait venir deux blackos, Ethen McElroy et Don Bennett qui composent et qui arrangent, puis des musiciens black qui remplacent les Standells sur un cut. C’est la même arnaque qu’avec le Chocolate Watchband. Larry assiste à l’enregistrement des faux Standells et demande à Cobb pourquoi il ne laisse pas jouer les Standells. Cobb lui répond : «These guys sound more like the Standells than you do.» Merci Cobb ! Le cut dont il parle est «Can’t Help But Love You». Cobb rajoute aussi des cordes sur «Trip To Paradise». Heureusement, le reste de l’album est purement standellien. C’est Larry qui chante «St James Infirmary». Puis les choses se dégradent encore avec Cobb qui décide de mettre Dick Dodd en avant, avec les Standells comme sidemen - He had lost all respect for our artistic integrity.

             C’est John Fleck qui va remplacer Dave Burke. Fleck n’est pas n’importe qui, il a joué dans Love. C’est un mec brillant qui sait aussi composer. Les Standells enregistrent encore un single avec Cobb : «Animal Girl»/«Soul Drippin’», qui paraît en 1968, puis un cut de Graham Gouldman, «Schoolgirl», mais comme Tony n’arrive pas à le jouer, Gouldman pique sa crise de fiotte et quitte le studio en claquant la porte. Larry se dit surpris de voir réapparaître le cut plus tard sur une réédition CD de The Hot Ones, mais il ne reconnaît pas la voix de Dick Dodd. Il se pourrait dit-il que ce soit celle de Gouldman.

              1968 est pour Larry l’année de la fin des haricots. Le single «Animal Girl» floppe. Le gaga-punk des Standells et des Seeds cède la place à l’acid rock de San Francisco. Les riffs de Tony n’intéressent plus les gens. Les Standells en profitent pour virer Cobb. Ouf ! Dunhill Records louche sur les Standells. Une fois de plus, Dodd quitte le groupe pour entamer une carrière solo.  Il reproche aux trois autres d’avoir viré Cobb qu’il considère comme un père. Cobb reproche aussi aux Standells de l’avoir quitté après qu’il ait tout fait pour les lancer et les rendre célèbres. Larry pense le contraire : Cobb leur doit tout, ce sont les Standells qui ont fait le son de «Dirty Water», certainement pas Cobb. La meilleure preuve dit Larry c’est qu’après les Standells, Cobb n’aura plus jamais de hits. Dodd avouera aux trois autres qu’il avait été manipulé par Cobb, lui faisant croire qu’il était The voice et que les autres ne servaient à rien.

             Les Standells se reforment avec Daniel Edwards (lead guitar) et Willie Dee (beurre). Le groupe tourne essentiellement en Californie. Puis Lowell George monte à bord, mais avec lui, ça se termine en eau de boudin. S’ensuit un autre line-up avec Bill Daffern (beurre), Paul Drowning (gratte) et Tim Smyser (bass) et là, on commence à s’ennuyer comme un rat mort. Larry finit par en avoir marre de jouer dans les nightclubs. Il se dit «disillusioned with the entire rock group thing». Il jette l’éponge. Pour lui, les Standells sont morts et enterrés. Kaput.   

             Grave erreur ! Le groupe se reforme en 1983 avec Bruce Wallenstein et Eric Wallengren. Ils partagent un studio de répète avec Motley Crüe que Larry voit comme des singes - Pour eux, l’abus d’héro et des orgies sexuelles sont probablement un pré-requis pour jouer dans un groupe de rock - En 1984, les Standells originaux se reforment pour jouer dans un festival rétro : Dick Dodd et Gary Lane remontent à bord. Puis c’est au tour de Tony de mal tourner et de devenir a pain in the ass. Il veut jouer ses compos sur scène et le problème, c’est qu’elles ne sont pas bonnes.

             Puis ce sera le fameux Cavestomp à New York. Le grand Peter Stuart des Headless Horsemen accompagne Tony, Dick et Larry. Et en l’an 2000, ils participent au fameux Las Vegas Grind avec les Remains et les Lyres. Larry est ensuite contacté par un tourneur espagnol qui veut les Standells au Go Sinner Go Festival de Madrid, et pour une tournée espagnole grassement payée. Tony dit non, parce qu’il doit s’occuper de son restau. Quand Larry propose de le remplacer à la gratte pour la tournée, Tony réussit à convaincre en douce Dick et Gary de refuser. Larry se dit trahi par son vieil ami. Il atteint les tréfonds de l’acrimonie. Pour lui, c’est la fin des haricots définitive.

             Il se fourre encore une fois le doigt dans l’œil. En 2009, les Standells originaux jouent à Vegas, puis à Amoeba Records, le super-marché du disque de Los Angeles, pour la parution de la box Rhino Where The Action Is, sur laquelle «Riot On Sunset Strip» est le kick-off cut. Larry découvre ensuite que Dick Dodd a détourné à son profit les royalties du fameux Live On Tour 1966 de Sundazed, sans bien sûr le dire aux autres. Il avait signé «Dick Dood for the Standells». Comment a-t-il pu faire une chose pareille, se demande le pauvre Larry, effondré au spectacle de cette abominable trahison. En 2010, les Standells reformés tournent en Europe. Ils jouent enfin au Go Sinner Go Festival de Madrid, dix ans après que Tony ait comploté pour l’annuler. Comme Tony a été viré du groupe, il appelle Larry pour lui demander de le prendre pour la tournée et Larry l’envoie sur les roses. Il a déjà engagé un guitariste «much better musician than Tony». Et puis la vraie raison, c’est qu’il ne peut pas recommencer à travailler avec Tony. Impossible !

             Alors la guerre éclate entre Tony et Larry. Tony ouvre un site officiel des Standells sur lequel il traite Larry de menteur. Les Standells continuent cependant à tourner jusqu’en 2017 et le concert final a lieu au Palace Theater de Los Angeles. Quelle histoire !

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             Dans Shindig!, Chaim O’Brien-Blumenthal re-raconte le book, comme le fait le cat Zengler, il reprend méthodiquement toute la chronologie et sort les anecdotes les plus croustillantes. O’machin sort par exemple l’anecdote du concert de Toronto, sur la tournée des Stones en 1966, lorsque les Ugly Dickings sont virés de la scène parce qu’ils tapent un cut des Stones. Ils ne savaient pas qu’ils jouaient en première partie des Stones et que, dans ce contexte, c’est interdit de jouer leurs cuts. Larry raconte aussi qu’un jour, il est invité à dîner chez les Stones, dans leur hôtel de Manhattan, et quand il demande du ketchup pour arroser son steak, le Jag le traite de «fucking yank». Larry raconte aussi que John Fleck fut débauché de Love, ce qui n’a pas plu à Arthur Lee. Pour se venger, le roi Arthur débranchera tous les amplis des Standells au moment où ils arrivent sur scène. C’est John Fleck nous dit Larry qui compose «Riot On Sunset Strip», et Tony ramène le riff, pour le film du même nom. O’Brien-Blumenthal cite bien sûr le garage revival des années 80 et le rôle crucial qu’a joué Rhino pour la renaissance des Standells. Et puis tout ça se termine bien sûr avec l’épisode du Red Sox Baseball team de Boston qui demande aux Standells de venir jouer «Dirty Water» dans leur stade en 2004 : c’est l’hymne du club. Et l’hymne des garagistes.

    Signé : Cazengler, Standouille

    Standells. Dirty Water. Tower 1966

    Standells. Why Pick On Me. Sometimes Good Guys Don’t Wear White. Tower 1966

    Standells. Try It. Tower 1967

    Standells. The Hot Ones. Tower 1967

    Standells. Live On Tour. - 1966. Sundazed Music 2015

    Chaim O’Brien-Blumenthal : I’m gonne tall you a story.  Shindig! # 135 - January 2023

    Larry Tamblyn. From Squeaky Clean To Dirty Water. BearManor Media 2022

     

     

    Sari jette un Schorr

     

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             Si on est allé voir Sari Shorr sur scène, c’est sur les conseils de Mike Vernon, le vieux boss du British Blues et de Blue Horizon, qui dans une interview récente disait avoir craqué pour elle. Sari Schorr est une blanche qui chante avec Joe Louis Walker en tournée - She’s the most extraordinary singer, a big-voiced blues rocker - C’est d’autant plus troublant que le vieux Mike doit être blasé, d’avoir fréquenté toute la crème de la crème du gratin dauphinois, de Mayall à l’early Fleetwood Mac de Peter Green, en passant par le Chicken Shack de Stan Webb. Et combien d’autres ? Alors on fait confiance à Mike et on y va. D’un pas d’autant plus ferme quand on a pris la peine d’écouter A Force Of Nature, paru en 2016.

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             Elle y fait une cover du «Black Betty» de Leadbelly. Elle la gueule mais on voit bien qu’elle en veut, la petite Sari. Derrière, Innes Sibun fait un incroyable travail d’ascension vers les dieux du blues. Sari gueule mais elle est bonne. On le voit dès l’«Ain’t Got No Money» d’ouverture de bal, elle chante au registre haut, ce qui n’est généralement pas bon signe, mais Innes Sibun amène l’eau du blues à son moulin et ça finit par sonner juste. Sari allume bien ses cuts. Elle s’investit à fond, comme on dit dans les entreprises. C’est Oli Brown qui vient gratter ses poux dans «Damn The Reason». On perd le blues, elle se barre dans son truc. Mais quand Innes Sibun revient pour «Cat And Mouse», les affaires reprennent leur cours normal. La petite Sari chante comme une black et Innes Sibun fait merveille au solotage, il va dans le sens de la fluidité, il est parfait dans son rôle de guitar slinger en embuscade. Il monte vite à la note. L’autre invité de l’album n’est autre que Walter Trout («Work No More»). Le Trout ramène du blues électrique. Alors Sari chante son blues à la dure, comme les femmes le chantaient dans les années 70, Maggie Bell, par exemple, à la rauque, et le Trout en fait des tonnes, il n’en finit plus de jouer son blues, il tombe dans sa démesure et c’est pas mal. Elle chante un peu «Demolition Man» comme Nicoletta, elle chante du ventre, et Innes est là, juste derrière. Elle fait un peu sa Guesh Patti, on s’attend à voir se pointer Étienne. Il n’empêche que le son est plein comme un œuf et qu’on en savoure chaque seconde. Oli Brown revient jouer sur «Oklahoma» et il joue plus jazz. Il se croit malin, il a raison. Avec «Letting Go», on entre dans le registre de la main courante, avec un Innes éclatant au coin du bois de Boulogne. Oli Brown revient sur «Kiss Me» et lui entre dans le lard à la colère latente. Il gratte en concordance, mais il reste prudent, il a raison, car Sari est chaude - All I want you to do is to kiss me - C’est très sexuel, kiss me hey hey, ça sent bon la cuisse offerte et le ventre afférent, c’mon kiss me ! Elle tape aussi dans le vieux «Stop In The Name Of Love» des Supremes, elle passe bien, même avec des accents mâles. Elle en fait une version heavy et donc on perd le Motown. Elle écrase son Why don’t you stop comme un mégot et rate son effet.

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             Sur scène, c’est un peu du sans surprise. Les Anglais qualifient ce type de spectacle d’old-school. Sari Schorr ramène son public dans les seventies. Tous les poncifs accourent au rendez-vous, les gros solos d’orgue Hammond, les grattés de poux grimacés d’un petit mec affreusement doué qui s’appelle Ash Wilson, on a même le bassman black au crâne rasé qui descend du heavy bassmatic sur un manche de basse plus large que la moyenne, et bien sûr une Sari Schorr qui incarne toute la bravado du blues-rock des seventies avec cette petite veste à franges qui rappelle celle de l’early Ozzy Osbourne.

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    Sari Schorr est une très belle femme aux cheveux noirs, dotée d’une voix extrêmement puissante, mais diable, comme elle peut être prévisible. Ce qui n’enlève rien bien sûr à l’intensité de sa présence.

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    Pour ce set en Normandie, elle tape dans ses deux albums et on est ravi de la voir niaquer le «Black Betty» du vieux Leadbelly. Dès qu’elle tape dans le blues, elle est passionnante. Mais quand elle tape dans les balladifs à l’Aerosmith, alors là, c’est plus compliqué. On bâille aux corneilles. Elle établit avec le public un lien de très bonne qualité, on sent qu’elle est contente d’être sur scène, elle sait se montrer très chaleureuse, en tous les cas, ses mots sonnent juste. La petite ombre à ce tableau angélique, c’est que la salle n’est pas très pleine. 

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             Il existe sur le marché un Live In Europe qui donne une idée précise de ce que donne Sari Schorr sur scène. On y retrouve son excellente retake du «Black Betty», elle le prend bien heavy et ça prend feu à force de craquer des allumettes. On y retrouve aussi «Back To LA», un balladif incendiaire porté par le pur power de sa voix, puis «Valentina», son cut de fin de set, juste avant les rappels. Des retrouvailles encore avec «Demilition Girl», heavy boogie élastique, mais avec de la voix, et «Ain’t Got No Money», un véritable shoot de hard boogie qu’elle éclate avec une force spectaculaire. Il faut la saluer, car elle génère énormément d’énergie. C’est une petite centrale à deux pattes. Elle pourrait alimenter une ville moyenne. Elle a joué aussi «Dame The Reason» à la Traverse, un cut de c’mon hanté par des fantastiques retombées d’excelsior, elle se fond dans le moule du bronze et n’en finit plus de battre de tous les records d’intensité énergétique. Elle peut se montrer très vindicative, avec une voix venue d’en haut, elle ramène des tonnes de power féminin. C’est dingue comme on s’attache à elle ! Elle fait une version superbe d’«I Just Want To Make Love To You», elle y déclenche une véritable émeute ses sens, elle s’y colle avec toute l’énergie dont elle est capable. Et puis elle ouvre son bal avec l’excellent big heavy boogie down de «The New Revolution», elle est vite dessus, beaucoup trop dessus. Trop de power, mais de ce trop-plein émane une forme de magie relative, c’est un hit, une vraie panacée, elle est splendide, elle épouse bien les développements, elle génère des petits phénomènes surnaturels. 

    Signé : Cazengler, Sari gole pas

    Sari Schorr. La Traverse. Cléon (76). 1er avril 2023

    Sari Schorr. A Force Of Nature. Marathon Records 2016

    Sari Schorr. Live In Europe. Marathon Records 2020

     

     

    Wizards & True Stars

    Have you seen the little Pixies crawling in the dirt ?

     (Part Four)

     

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             Se pourrait-il qu’après (bientôt) quarante ans de bons et loyaux services, les Pixies fassent encore les malins en enregistrant un album qu’il faut hélas qualifier de génial ? Se pourrait-il qu’après tant et tant d’années, le Pixass des Pixies, c’est-à-dire Frank Black, soit encore capable de puiser à la source même de son art, un art qu’il faut bien qualifier d’art total ? Se pourrait-il qu’au soir de sa vie, un petit homme à tête affreuse soit encore capable d’illuminer la terre, comme il a su le faire sa vie entière ? Se pourrait-il qu’après tant et tant d’albums extrêmement denses Frank Black soit encore apte à densifier la densité au point d’en troubler la nature profonde ? Se pourrait-il qu’un homme ayant exploré tous les recoins de la métaphysique du rock soit encore capable de pousser ses recherches pour éventuellement révéler au monde de nouvelles découvertes ? Se pourrait-il qu’une cervelle humaine, celle de Frank Black en l’occurrence, soit tellement rompue aux excès de l’intelligence qu’elle puisse s’auto-régénérer ? Se pourrait-il qu’un homme soit tellement amoureux de sa muse qu’il puisse envisager de l’épouser pour atteindre à l’immortalité ? Se pourrait-il qu’un homme soit tellement passionné par l’art magique de la composition qu’il puisse se croire autorisé à bousculer l’ordre des choses établies, au point d’éradiquer la notion même de déclin ? Se pourrait-il qu’un petit homme affreux du nom de Frank Black soit capable à lui seul de bouleverser le cours du temps ? Se pourrait-il que Doggerel soit le meilleur album des Pixies ? Se pourrait-il que cette hypothèse soit une vue de l’esprit ? Se pourrait-il que toute vue de l’esprit ne soit qu’une hypothèse ? Se pourrait-il que Doggerel soit en réalité un monstre sonique qui dévore vivantes toutes les hypothèses et toutes les vues de l’esprit ? Se pourrait-il que le morceau titre de Doggerel soit l’une des incarnations du mythe d’on a road to nowhere, c’est-à-dire le mythe du Graal ? Se pourrait-il que Frank Black fasse monter tout doucement la pression de ce morceau titre pour mieux nous convaincre de le suivre on the road to nowhere, c’est-à-dire vers le merveilleux néant ? Se pourrait-il que cet assaut - I’m a wonder Doggerel - soit le plus grand assaut de l’histoire du rock ? Se pourrait-il que sa scansion I’ll never wonder again/ I’ll never wonder again soit la scansion primale du rock, comme le fut en son temps l’Out Demons Out d’Edgar Broughton ? Se pourrait-il qu’il claque au passage un solo d’outer-space pour mieux nous convaincre de son extrême sincérité ? Se pourrait-il qu’il revienne inlassablement sur son never wonder again pour nous montrer la direction des nouvelles voies impénétrables ? Se pourrait-il que ce nerver wonder again soit the real wonder de l’histoire du rock ? Se pourrait-il que cet album incite les hommes à se prosterner ?

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             Foin des interrogations. Il est temps de passer aux affirmations : Doggerel se joue en Technicolor. Tu es là pour ça, bien calé dans ton fauteuil de velours rouge, mais tu ne sais pas encore à quel point c’est du Technicolor. Le gros va t’en foutre plein la vue, et même certainement plus qu’avant, plus qu’au temps de Trompe le Monde, quand il injectait sous ta peau un torrent de frissons baptisé «Letter To Memphis». Dès «Nomatterday», Frank Black nous ramène sur son spot de prédilection, back to the edge of sound. Tu le verras gratter sa cocotte au bord du gouffre. Il oscille dangereusement mais il reste le maître du jeu, c’est-à-dire le maître du rock américain, autrement dit le maître des éléments et des tempêtes soniques - It’s Nomatterday/ Here we go again/ Necromancers bending to and from - Il retape dans son vieil art de la digression, d’autant plus librement qu’il n’a plus rien à prouver. Il vise encore l’apocalypse avec «Vault Of Heaven», mais il y va en fourbasse, en dessous du boisseau, là où rôdent les reptiles vénéneux et aveugles, il emprunte la voie humide de la pop, accompagné du son de basse qu’il affectionne particulièrement - Here in the vault of heaven/ Just trying to keep me straight/ But I ended up still in outer space - S’ensuit une extraordinaire descente aux enfers («Dregs of The Wine»), nouveau numéro de charme killer de sixty-six - And then it’s time to go/ It’s really time to go - définitivement wild as fuck, il le tire au cul en feu. Le shaman Pixass détient tous les pouvoirs du rock. Pire encore avec «Haunted House» ! On se croirait sur un album solo du gros, au temps béni des Catholics, il nous a tellement habitués à ce genre de fantasia, mais fais gaffe, car ça devient vite incontrôlable, il va te bouffer le foie vite fait. Cet artiste surnaturel est capable de descendre aux enfers avec le chant du paradis. Il re-Cariboute sous la voûte étoilée - Haunted house all full of ghosts/ I’m gonna pass that way - Ça reste à la fois d’un très haut niveau et inexorablement sublime - Whoa, whoa, whoa, whoa, whoa - Il reste au paradis pour enfoncer un suppositoire dans l’anus rose de l’Ange Gabriel : «Get Stimulated» - ah-ah ah-ah - il schtroumphe sa heavyness, la bourre comme une dinde et claque sa chique aux accords délétères - Let it be said I’m a little narcissist/ But my favorite rock and roll is sealed with a kiss - Bizarrement, on se croit toujours en territoire connu, alors qu’il entre dans des zones inexplorées. Au point où on en est, on pourrait même parler de zones inexplorables. Il chante à l’agonie et reste magnifiquement infectueux - Get simulated/ I really get me down now - Il joue de sa voix comme d’un instrument. C’est sa façon de courir sur l’haricot du rock. Il reste le plus gros géant d’Amérique, un géant semblable à ceux que Zeus combattit et qu’Héraklès acheva. La seule différence avec les géants de Thrace, c’est que le gros est invulnérable. Il domine le monde et gratte sa petite pop. C’est un enchantement que de l’entendre. Il se permet même le luxe de sonner comme Creedence avec «Pagan Man». Il te concocte encore tout le bonheur que tu peux espérer avec «Who’s Sorry Now» et «You’re Such A Sadducce». Pix me up, Frank ! 

    Signé : Cazengler, Picsou

    Pixies. Doggerel. BMG 2022

     

     

    L’avenir du rock

    - Alors ça Buzz, cock ?

     (Part Two)

     

             L’avenir du rock prend souvent l’apéro à la terrasse du petit rade qui se trouve en face de la FNAC Saint-Lazare. Il se grise du spectacle d’une foule extrêmement dense, comme elle peut l’être aux abords de toutes les grandes gares parisiennes. Ce fleuve incessant charrie des êtres de toutes les couleurs et de toutes les tailles et semble les emporter vers leur destin. Quoi de plus vertigineux que le spectacle d’une foule en mouvement ? Un homme assis juste à côté engage la conversation :

             — Je vous connais. Suis certain de vous avoir vu à la télé, mais votre nom m’échappe...

             — Avenir du rock.

             — Vous rigolez ?

             — Pas du tout. Ai-je l’air de rigoler ?

             — Mais c’est pas un nom !

             — Et pourquoi ne serait-ce pas un nom ?

             — Excusez-moi de vous dire ça, mais ça sonne plutôt comme le titre d’un bouquin.

             — Non, je suis un concept, mais ce serait trop long à vous expliquer. Je préférerais que nous trinquions à l’arrivée du printemps, par exemple. Et puis dites-moi, à qui ai-je l’honneur ?

             — Je m’appelle Coq, comme un coq. 

             — Alors à la bonne vôtre, Coq.

             — À la bonne vôtre, Rock !

             Les tournées s’enchaînent, les visages s’empourprent et l’échange se fait plus cordial :

             — Pour un avenir, tu m’as l’air un peu fané, Rock.

             — On a l’âge de ses artères, Coq.

             — J’aimerais bien te tâter le bas, Rock.

             — Serais-tu bi, Coq ?

             — J’ai l’easy rut, Rock.

             — Là t’abuzz, Coq.

     

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             Pendant que l’avenir du rock tente de s’extraire de ce guêpier, Steve Diggle reprend en main la destinée des Buzzcocks, l’un des très grands groupes anglais rescapés, comme les Damned, de la première vague punk. Pourtant frappé de plein fouet par le cassage de pipe de Pete Shelley, le groupe existe encore. C’est inespéré.

             Pendant quarante ans, Steve Diggle a vécu dans l’ombre du grand Pete Shelley et ça n’a pas dû être simple pour lui. Diggle est un ‘Chester cat extrêmement brillant, c’est en tous les cas ce que montre Sonics In The Soul, le nouvel album des Buzzcocks, et on pourrait même aller jusqu’à dire : le nouvel album génial des Buzzcocks. Oui car quelle claque !

             Tiens, ça tombe bien, il en parle à Gerry Ranson dans Vive Le Rock. Ranson rappelle qu’il s’agit pour Diggle et Shelley d’une amitié vieille de 40 ans. Quand il a pris la décision de continuer le groupe, Diggle a dû surmonter le fameux «there’s no Buzzcocks without Pete», mais apparemment, nous dit Diggle, les fans ont accepté l’idée d’une continuation sans Pete. Il évoque les deux ou trois gros concerts de reformation donnés à Londres et comme ça lui tirait sur la paillasse, il est allé se reposer dans sa maison près de Thessaloniki, en Grèce - just walking up and down by the sea and having a cool drink - C’est là qu’il écrit des chansons - I always take a notebook - Il ne faut jamais perdre de vue que Diggle est un ‘Chester cat de base, brillant mais de base, un mec très ordinaire, qu’on est toujours content de revoir sur scène. Il dit avoir flashé très jeune sur Little Richard, Chuck Berry et Elvis et, comme tout le monde, sur les Beatles, les Stones, les Who, les Kinks et Bob Dylan. Puis il est passé à ce qu’il appelle le ‘hippie stuff’, «Donovan’s «Hurdy Gurdy Man», all that psychedelic thing», alors il s’emballe, «it was exciting, then later I got into The Velvet Underground, The Stooges and the MC5... via Bowie, really. ‘Cos as soon as Bowie came out, I remember seing the Ziggy Stardust Tour.» Voilà ce qu’on appelle une Éducation Sentimentale parfaite. Il a 16 ans quand il flashe sur Neu! et Can. C’est McLaren qui le présente à Pete Shelley au Lesser Free Trade, en 1976.

             Comme l’article s’étend sur 6 pages, Ranson retrace toute l’histoire des Buzzcocks, singles, albums, puis la première tournée américaine, et là, Diggle saute en l’air : «It was like Hammer Of The Gods!», il n’en revient toujours pas - Drink, drugs and girls every night. It was mental. But we always came out with the goods - Alors il développe, car c’est important : «Quand on est allés pour la première fois en Amérique, on a compris que tout était plus gros là-bas, alors on est montés d’un cran. Les Who pétaient leurs guitares et on a fait la même chose. Pas à cause des Who, mais à cause du public américain, the magic and the craziness of it!». Il raconte ensuite qu’à New York, les Ramones sont venus les voir en concert. Là, Diggle exulte : «Les Ramones nous adoraient et on leur a dit qu’on les adorait et qu’on avait été inspirés par leur premier album. Proper rock’n’roll times. But you have to live those times. That’s one of the reasons you get in a band: the excitement, the energy and... things!».

             Les Pistols choisissent les Buzzcocks pour jouer en première partie du Finsbury Park show en 1996. Là, Diggle devient sérieux : «That was the nucelus of 76. All the others came after. I always say, we wrote the fucking play, we wrote the script.» Diggle revient aussi sur la dernière tournée avec Pete, et un Pete fatigué qui vient le trouver chez lui pour lui dire qu’il songe à s’arrêter. Alors Diggle lui lance : «You’re not leaving it all with me! We’ve still got a lot to do!». Mais quelques jours plus tard, Pete casse sa pipe en bois.

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             Il est grand temps d’écouter Sonics In The Soul. Diggle attaque avec «Senses Out Of Control» et va se lover dans le giron de la légende. Quelle énergie ! Diggle crée de la bien bonne énormité, il insiste bien sur le control. S’ensuit un «Manchester Rain» vite torché. L’album s’annonce revigorant. Diggle est capable de ce genre de miracle, il t’explique comment on fonce à travers la plaine des Midlands, il te fait du pur jus. Il apparaît vite comme l’un des derniers géants de la grande époque du rock anglais, il tape en pleine power-pop avec «You’ve Changed Everything Now», il rue bien dans les brancards, Diggle dig it ! Le festival power-pop se poursuit avec «Nothingless World», ces mecs n’ont rien perdu de leur grandeur ancestrale. Diggle chante à la porte, mine de rien, il te sort un hit, il insiste et te colle au train. Il fait encore un prodigieux numéro de try it off avec «Don’t Mess With My Brain», il l’amène au heavy riffing de punch up, il chante à la menace à peine voilée, avec tout le poids de son héritage cocky, et ça prend de sacrées tournures, il rocke et il rolle à n’en plus finir, you betcha !, il transforme son mess en fookin’ legendary mess, you betcha, il n’en finit plus d’annoncer la couleur. Il illumine encore le rock anglais avec «Everything Wrong», il embarque ça au train d’enfer de Chester, il riffe avec une sorte d’incroyable facilité et une bassline croise sa route, ça sonne comme un hymne, tu as là du big Dig. Il te casse encore la digue vite fait avec «Experimental Farm», il te gratte ça à la vieille cocote. Diggle est l’un des mecs les plus attachants de l’histoire du rock anglais, mais aussi de la scène actuelle. Il gratte son énorme cocote en souriant, tellement il est heureux d’être là. Encore un coup de génie avec «Can You Hear Tomorrow», il claque ça au carillon, il pose bien ses conditions, il pousse le bouchon toujours plus loin, so far-out ! Il couronne son album à la dure de Chester.

             La chute de l’article de Ranson est magnifique. Diggle dit qu’après Devoto et Pete, c’est la troisième génération - We’re on the third generation now. You’ve been to the V&A and seen the Ming Dinasty? This is the Steve Diggle Dinasty, it’s my time now. Most people are on that journey now with us. Most people are saying ‘I’m glad you carried on, it’s nice to have Buzzcocks music in 2022’ - Magnifique artiste. Il devient chef de meute et trace la route vers l’avenir. Alors, on se prosterne jusqu’à terre.  

    Signé : Cazengler, la (triple) Buse

    Buzzcocks. Sonics In The Soul. Cherry Red 2022      

     

     

    Inside the goldmine

    - Un Chuck de choc

     (Part One)

     

             S’il fallait établir un hit parade des forces de la nature, nul doute que Jacques Somme trônerait au sommet. La notion d’obstacle ne l’a jamais effleuré une seule fois, tout au long de sa longue vie. Ne nous méprenons pas, Jacques Somme n’était pas un Hercule de foire. Il planquait ses biscotos sous un crâne garni de mèches blondes taillées à la serpe, comme celles de Jean-Paul Sartre, une autre force de la nature. Il était même courant, chez ceux qui goûtaient au privilège de sa fréquentation, de le comparer à Sartre, le strabisme divergeant en moins. Passionné de langues vivantes, Jacques Somme passait sa vie à les apprendre et à les enseigner. Il eut tôt fait d’apprendre le Russe et le Chinois et pour parfaire sa pratique, il y fit, comme Blaise Cendrars en son temps, des escapades sauvages. Plus tard, dans sa vie, lorsqu’il eût passé l’âge de sauter dans des trains en marche, il y organisa des voyages et créa un vaste réseau d’érudits et d’écrivains, dans les deux pays. Car bien sûr, la pente naturelle des polyglottes est la traduction. Il ne se contentait pas du Chinois officiel, il creusa un peu dans les régions et s’amouracha des dialectes locaux. Puis il entreprit à une époque où ce n’était encore courant d’apprendre TOUTES les langues des Balkans. Pour ce faire, il installait un magnétophone à cassettes sous son oreiller, et après avoir baisé ses deux maîtresses et son épouse qui partageaient sa couche chaque nuit, il s’endormait pour apprendre une nouvelle langue serbe ou croate. Il me confia un jour, en éclatant de ce rire rocailleux qui le caractérisait, qu’on apprend mieux en dormant. Il traduisait des auteurs qu’il connaissait personnellement pour le compte des fameuses POF, les Presses Orientales de France, et organisait des voyages culturels dans des pays très fermés comme la Corée du Nord et l’Albanie. Il nouait pour cela des contacts dans les ambassades et obtenait des autorisations que personne d’autre ne pouvait obtenir. Il commença au soir de sa vie à se pencher sur les dialectes d’Afrique de l’Ouest. Une nuit, son épouse et ses deux maîtresses furent réveillées par une atroce odeur de brûlé. Une fois la lumière allumée, elles hurlèrent en chœur : la tête de Jacques Somme était carbonisée. Sa cervelle en surchauffe avait pris feu. Ses lèvres bougeaient encore. Il semblait vouloir dire quelque chose. Son épouse se pencha. «Oua... ga... dou... gou...» Elle ne comprenait pas. «Oua... ga... dou... gou...»

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             Espérons que Chuck Jackson n’a pas connu une fin aussi atroce que celle de Jacques Somme. Enfin, atroce dans les apparences. C’est quand même pas mal de casser sa pipe en bois en apprenant une langue africaine. Chuck Jackson pratiquait une autre langue, la Soul. Il fut pendant 40 ans l’un des plus puissants Soul Brothers d’Amérique. Il ne connaissait qu’un seul rival, Wilson Pickett. Étant donné la nature tragique de l’événement, nous allons revêtir nos plus beaux habits noirs pour lui rendre un dernier hommage.

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             La meilleure introduction à l’œuvre de ce géant de la Soul est une belle compile Kent, Big New York Soul. Wand Records 1961-1966. Dans le booklet, c’est Ady Croasdell qui se charge des présentations. Il commence par rappeler que les Wand recordings du Chuck de choc sont considérés comme «some of the finest Soul tracks of their era». Entre 1961 et 1967, Chuck enregistre 30 singles et 10 albums pour Wand. Bien sûr, il est l’un des chouchous de la Northern Soul, sinon l’Ady ne serait pas là. Petite cerise sur le gâtö : les Kentomanes sont gâtés car l’Ady n’en finit plus de rappeler que cette compile grouille d’inédits découverts par les fureteurs d’Ace, lorsqu’ils ont récupéré les vaults d’or de Scepter/Wand, dans les années 80. Parmi les inédits, voilà «Things Just Ain’t Right», un heavy r’n’b gorgé de remona. Le Jackson boy y va au straight gut in the face. Chez lui, ça ne marche qu’à l’énergie du punch. Cette compile grouille littéralement de puces. Autre inédit : «All About You», cut dévorant dans une bruine de son. Chuck fait des étincelles, c’est raw, c’mon brother !, il y va au ah !’, il préfigure tout ce qui va suivre. Il t’aplatit l’All About You vite fait. Il allume aussi le «Why Why Why» à outrance. Upbeat and catchy, comme dit l’Ady. Il précise en outre que Doris Troy, Yvonne Fair et Maxine Brown chantent avec Chuck. Il fait un duo d’enfer avec Dionne la lionne sur «Anymore», qui date de 1963. Elle est jeune, presque fausse. C’est Chuck qui fait le show. Dionne vient se chauffer à la chaleur du Chuck. On peut dire de cet artiste extraordinaire qu’il chante d’une voix complète, cassée et cassante, une voix d’airain et d’étain, raw et polie à la fois. Il exerce une âcre fascination («Getting Ready For The Heartbreak»). Il est sur le pont dès l’aube de la Soul avec «In Between Tears». La série noire des coups de génie continue avec «Hand It Over», il te groove le hard du lard dans le creux de l’oreille, c’est de l’early Soul de génie, rien à voir avec la Soul plan-plan qu’on entend ailleurs. On plonge encore un peu plus au cœur du mythe Jackson avec «Big New York», le Chuck de choc rebondit dans le big heavy groove élastique. Voilà un mix idéal de groove et de big voice. Pour l’Ady, «Another Day» est une haunting performance. Chuck chante par dessus les toits. Avec «Why Some People Don’t Like Me», il passe au heavy blues. Il est dessus, mais au jazz bound. À chaque fois, il tape dans le mille. Il est énorme et plein, comme le montre encore «What You Gonna Say». Plein comme un plain singer. Dans «I’ve Got To Be Strong», il est juste derrière le groove. Chuck ne fait rien comme les autres. C’est un artiste unique, il groove son «Silencer» comme un cake. Il s’accroche encore à «This Broken Heart (That You Gave Me)», il s’y accroche de toutes ses forces, tu as sans doute là la meilleure Soul de l’époque, et donc du monde. Il faut le voir balancer des hanches sur «Forget About Me», il est d’une présence inexpugnable. Plus on progresse dans la compile et plus Chuck fascine par son talent et sa modernité de ton. Il est encore plus tranchant que Wilson Pickett. Un Part Two bien gras et dodu comme un sacristain viendra conforter cette idée.

    Signé : Cazengler, Chuck assomme

    Chuck Jackson. Disparu le 16 février 2023

    Chuck Jackson. Big New York Soul. Wand Records 1961-1966. Kent Soul 2017

     

     

    *

    Y a des gens cruels, vous n’y pouvez rien, c’est la nature humaine. Ici ils sont quatre, Tony Marlow, Amine Leroy, Fred Kolinski, à eux trois ils forment Marlow Rider, mais comme pour les trois mousquetaires, ii faut chercher le quatrième, un nom que l’on n’oublie pas, ce n’est pas le loup blanc, c’est Seb le Bison. On ne le voit pas, durant l’enregistrement du disque il était caché derrière la console et sur cette vidéo planqué derrière la caméra.

    Marlow Rider, l’on vous a présenté le premier opus ( 2021 ) du trio intitulé First Ride, l’on a doublé la mise, une fois le Cat Zengler, une fois votre serviteur, pour être sûrs que vous n’oublierez pas, un truc qui a foutu le sbeul partout où on l’a entendu. Gros succès, conséquence ils recommencent. La sortie de la deuxième rondelle vinylique est prévue pour ce début du joli mois 68, que dis-je, de mai !

    Pour le moment vous ne voyez rien à leur reprocher, pour un peu vous les traiteriez de bienfaiteurs de l’Humanité, vous avez tort, ils ont décidé de mettre le feu partout, des adeptes d’Héraclite qui pensait que le feu présidait au cycle éternel de la naissance et de la destruction du monde, leur nouvel album s’intitule CRYPTOGENESE, bref ils ne s’en cachent pas ils veulent nous brûler tout vifs comme Jeanne d’Arc. Les écologistes qui redoutent la sécheresse me font rire. En attendant, regardons et écoutons en avant-première :

    DE BRUIT ET DE FUREUR

    MARLOW RIDER

    ( Official Vidéo Bullit Records/ 05 – 05 – 2023 )

     

    Pas un bruit, sommes-nous dans un fond de banlieue là où commence ( presque ) la campagne, le Marlou étui de guitare en main, allure décidée, lorsqu’il passe devant une porte de garage, la caméra se focalise sur son visage, un quart de seconde pas plus, le Marlou vous regarde, votre sang se fige dans vos artères, maintenant vous comprenez pourquoi dans ses interviewes il n’oublie pas de spécifier qu’il est né en Corse, le pays des bandits d’honneur, très gentils mais il vaut mieux s’abstenir de leur marcher sur les pieds, même sur un seul, vous paniquez, pourvu qu’il ne m’ait pas vu, mais non il n’a rien contre vous, par contre dès l’image suivante il s’en prend à sa guitare.

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    Marlow envoie le riff, tout de suite lourdement ponctué par Fred à la main lourde, la contrebasse d’Amine vous pose des contreforts en béton précontraint, vous entrevoyez cinq minutes de volupté paradisiaque, déjà vous voyez venir la suite, riff + riff + riff + solo fulminant, puis retour riff + riff + riff + solo embrasement terminal, personne ne descend tout le monde totalement stoned, le Marlou vous réserve une surprise, une vipère froide comme la mort qu’il balance autour de votre cou, elle sort de sa bouche, une espèce de Ah ! de derrière le larynx, un feulement de lynx sauvage qui se laisse tomber du haut d’un arbre et enfonce les griffes de ses quatre pattes au travers de votre boîte crânienne pour le plaisir de labourer votre matière cervicale particulièrement spongieuse, le Marlou ne cessera de répéter  la déliquescence de son cri ante-primal tout le long du morceau, pour accentuer l’effet et l’effroi la caméra se bloque sur sa bouche ouverte et vous apercevez sa langue rouge comme la torche d’Erostrate avec laquelle il incendia le temple d’Artémis à Ephèse, sur l’autel duquel Héraclite avait déposé son livre, la même nuit où naquit Alexandre le Grand, vous voyez la conséquence que cette gutturalité spasmodique a produit sur ma modeste personne, mais ce n’est pas tout, puisqu’il a ouvert la bouche, Marlow parle, en français, comment il ose jouer de la guitare psykédélique et il chante en français, sachez-le Marlow n’a peur de rien, il sait imposer ses choix, l’image qui déjà n’était pas très stable se démultiplie, Marlow ressemble à l’Hydre de Lerne, il est impossible de compter ses têtes, Marlow partout, le reste du monde nulle part, z’êtes emportés dans un tourbillon stroboscopique, Fred vous plombe sa batterie, l’a tendu ses peaux sur des gouffres ce qui explique leurs résonnances, et Amine vous dénature sa big Mama, il vous décalamine le son en décalcomanie, le Marlou n’en continue pas moins à glapir tel le Renard du désert à la recherche du Petit Prince, à la fin sa guitare ondule comme une tête de cheval séparée de son corps, elle circonvolute avec la grâce et la maestria d’un évêque qui vous balance un encensoir autour d’un cercueil. La messe est dite. Ite. Sur l’image suivante, on retrouve le Marlou dans la rue tenant son étui à guitare d’une main et une jolie fille de l’autre. Normal c’est un rocker.

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    Damie Chad.

      

    *

    Je connais nos lecteurs, je n’ignore rien de nos lectrices, en lisant la chro précédente sur Tony Marlow, les premiers en lisant le nom de Seb le Bison ont rêvé à la légende indienne du bison blanc, les secondes ont cru qu’elles allaient enfin assister au retour de la femme Bison Blanc. Je crains de décevoir le lectorat, non Seb le Bison n’est pas un bison blanc, non il n’est pas une femme, l’est un homme comme tous les autres, avec quelques particularités, il est Directeur Artistique de Bullit Records, label Rock Indépendant basé à Montreuil City Rock. Enregistrent chez Bullit, Marlow Rider, Cooking with Elvis, Loolie & The Surfin Rogers, je cite ces trois en premiers car nous les avons déjà chroniqués, disques et concerts, mais aussi : Smash, Rikkha, Les Daltons, Nico Shona and the Freshtones, et Modern Delta. Enfin Western Machine dans lequel Seb le Bison officie à la guitare.

    SHORT CUTS

    WESTERN MACHINE

    ( Bullit Records 02 / 2021 )Jésus la Vidange : bass / Taga Adams : bass, vocals / François Jeannin : drums,  vocals / Fred le Bison : vocals, guitar, producteur / Matt le Rouge : saxophone / Andrew Crocker : trumpet.

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    Une pochette hommagiale, pas spécialement dédiée au western, pas mal au cinéma, pour le reste il n’est pas évident de reconnaître les effigies, ce qui est sûr c’est que les trois carrés blancs représentent les membres du groupe : Taga Adam, François Jeannin et Fred le Bison mais au cinéma. Faudra-t-il considérer chaque morceau comme une séquence de film.

    Going back to Hollywood : ne dites pas qu’à Hollywood les cowboys sont d’opérette car ça ramone sévère, si vous attendez une ballade country c’est raté, Jeannin s’obstine fatidiquement sur ses outils de travail, le Bison  meugle méchant, l’on intuite qu’il n’est pas dans un champ de pâquerettes en train de conter fleurette sous un soleil printanier, et pour finir Matt se fâche tout rouge sur son sax, déraille dans un long solo qui finit par se confondre avec des bruits de voitures. High shape woman : Jeannin balance la salière, et la horde cavale derrière, tous en chœur pour le refrain, à la manière dont il mord dans le vocal comme dans le fruit du péché il est sûr que Calamity a produit un effet bœuf sur notre Bison. Bison : Bison fait son autopromotion, sort de son étui une belle voix sombre à la Johnny Cash, sur le refrain les copains le soutiennent à mort, l’a encore une arme secrète, c’est Andrew qui dégaine sa trompette, illico l’on est transporté dans les grandioses paysages de la Sierra Nevada, hélas un coup de téléphone impromptu tire-bouchonne les illusions héroïques. Run run : galopade effrénée, tout se passe dans la tête, voix et contre voix, presque un instrumental serait-on tenté de dire, ce qui serait un mensonge éhonté, mais y mettent tant tout leur cœur que la coagulation rythmique des instruments emporte l’adhésion. Red horse : le cheval n’est pas rouge par hasard, c’est Matt qui mène le troupeau sauvage, se lance dans une espèce de solo vrillé qui tient autant du jazz-noise que du sixty-garage, à la toute fin il essaie de recracher le crotale de la fiole du moonshine qu’il avait avalé par inadvertance. Betty Jane : ce n’est pas Betty Jane Rose, plutôt Betty Jane blue, de toutes les manières rose ou bleue les filles sont toujours problématiques, n’y a qu’à se fier à la voix blanche qui raconte, en douce langue françoise, cette triste histoire, concentrons-nous plutôt sur le travail de François Jeannin que la valdinguerie de la guitare met en évidence. Down by law : voix implacable de la justice en intro, musique en cavale précipitée et voix hargneuse tout de suite après, nous n’avons pas encore parlé des chœurs masculins qui émaillent beaucoup de ces titres, ces soulignements lyriques ne sont pas à négliger, surtout dans ce titre où ils apportent stigmates du drame. I won’t back down : de Johnny Cash, rendons à César ce qui est appartient à Tom Petty et ses Heartbreakers, disons que Western Machine rajoute de la viande instrumentale autour de l’os Cashien, l’idée se défend mais parfois le dénuement squelettique est plus inquiétant. Diamond ring : une espèce de parodie westernique très bien faite, la scène du saloon avec le sax de Matt le Rouge qui se permet de danser la gigue sur les tables et les chœurs de cowboy qui rajoutent de l’ambiance. Moon phase : western interstellaire, avant tout un instrumental, Jeannin se démultiplie, le sax de Matt déraille et fouraille une fois de plus pour notre plus grand plaisir. Western dream : les westerns mexicains, ceux qui se passent au Mexique, de Vera Cruz à El Chuncho, sont-ils les plus beaux, la question mérite discussion, la trompette d’Andrew fait pencher la balance en leur faveur, pratiquement seule, elle surgit comme l’incarnation de l’âme d’un peuple sur un dialogue de film. Magnifique.

    Ne pas se focaliser sur le terme western, machinent un peu tous les styles, garage, rock, punk, ska, mélangent le tout et ressortent la mixture à leur sauce. Résultat : l’envie d’écouter le premier.

    FROM LAFAYETTE TO SIN CITY

    ( Bullit Records / 2016 )

    Olivier HSE : bass / Jésus la Vidange : bass, vocals / François François : drum, vocals / / Fred le Bison : vocals, guitar, / Matt le Rouge : saxophone.

    Big Zym s’est chargé de la chouette pochette, mélangeant mythologie western et modernité avec humour.

    Le titre désigne-t-il la ville de Lafayette située dans l’Indiana ou une autre, plusieurs bourgades des USA ont en effet pris le nom de notre célèbre marquis.  Quant à Sin City la difficulté de localisation est encore plus grande, certes c’est ainsi que l’on surnomme Las Vegas, toutefois nous partirons du principe suivant : il y a déjà une Sin City dans chaque ville où réside une lectrice ou un lecteur de notre blogue. Ailleurs aussi, mais la liste serait trop longue.

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    Hey Western Machine : est-ce en l’honneur de Bo Diddley l’homme à la guitare en fourrure que le titre démarre sur une cascade battériale, par la suite François s’amuse à nous servir le jungle sound en catimini, l’on change d’époque, guitare et basse écrasent tout sur leur passage, z’ont sorti la voiture de la pochette du garage et ça s’entend. Débutent leur disque par un instrumental, un peu comme les westerns qui s’ouvrent sur une tuerie.  Dead man : une guitare saignante, une basse grondante une batterie qui joue au tapis de bombes et une voix qui survole le tout comme un vol de vautours autour d’un cadavre, n’y vont pas de main morte, vous ratiboisent le secteur sous tous ses angles. Pour les amateurs de déglingue. I got a D : intro fanfaronnade, puis l’on prend les patins pour glisser sur le plancher sans rayer, avoir un D comme date, ça vous file de l’entrain, à la fille comme au boy, ne sentent plus, j’ignore le nombre de flacons pilules qu’ils ont avalés, mais ils sont en forme, une espèce de trombe joyeuse qui dévastera les adeptes de la sérénité zen. Failing down : après les deux giboulées précédentes, avec un tel titre on espérait un blues tempéré, totally raté, c’est encore pire, une folie furieuse vous emporte au vent mauvais, n’en finissent pas de jacter, à croire que le rendez-vous ne s’est pas passé comme on l’a cru, un jungle sound démentiel, une catastrophe auditive, les fauves sont lâchés sur les auditeurs innocents. Phénoménal.  Walking dead : pas de panique avec ce  que vous venez d’entendre vous pouvez croiser une horde de morts vivants affamés avec le sourire, un bon départ rock’n’roll, souplesse rythmique, la basse lourde comme un éléphant qui fait des claquettes, sur les refrains le morceau décolle comme un gros porteur, évitez les hélices elles vous décapiteront en un rien de temps, en fait c’est très métaphysique, notre mort-vivant ne retrouve personne, l’on comprend qu’il ait des poussées d’adrénaline, un drame de la solitude. Comme quoi même au milieu d’un vacarme l’on peut se sentir seul. You’re hot : vous ne résisterez pas à la féminine voix suave qui vous interpelle et encor moins à cette batterie aux abonnés présents, à cette basse épouvante et à ce riff éprouvant, hélas les meilleures choses sont les plus courtes. Deux minutes d’éjaculation précoce.  Lonesome hero : ne confondez pas avec Im a lonesome fugitive, décidément la ballade sentimentale ce n’est pas leur truc, le gars n’est pas abattu par la nostalgie, roule comme une pierre qui rolling stone, mais hargneuse, hérissée de rage et de fureur, le François se prend pour Rocky 2, et tout le reste à l’avenant, attention à l’avoinée qui vous tombe dessus. N’arrivent même pas à se calmer sur les trois dernières secondes. Des brutes épaisses. Adorable ! Come to me : n’écoutez pas ce morceau je vous en conjure allez sur YT visionner l’official video, et après vous ne reconnaîtrez plus personne, pas même une Harley Davidson. Very Hot. Pour ceux qui en veulent plus, Juliette Dragon officie aussi sur Sin City. Mustang : une chevauchée fantastique pleine de bruit et de fureur, du bitume et des motos, un shoot de basse à vous déchausser les dents, une cavalcade motorisée comme vous n’avez jamais osé, la poignée dans le rouge. Sin City : maintenant vous savez pourquoi ils étaient si pressés, la voix de Juliette Dragon incarne le péché à elle toute seule, le saxophone de Matt le rouge éclate comme un bulbe turgescent, il se dresse comme une tête de serpent en train de muer, le morceau chavire dans l’enfer du stupre et le gouffre de la dépravation, vous croyez avoir atteint le fond, vous n’avez pas tort, mais vous n’avez pas raison.  D blues : Blues urbain ou country blues. Epineuse question. Ces deux rails parallèles sont-ils fait pour se rencontrer. Pour ceux qui veulent comprendre une official video sur YT vous aidera. Entre délire et questionnement philosophique sur la nature de l’Homme cet animal bipolaire. Un morceau un peu à part, moins rentre dedans que les précédents, mais tout aussi bon.

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             Je pense que cet album est encore plus réussi que le précédent qui vaut son pesant de berlingots à la nitro. Sûrement plus tonitruant, pratiquement à chaque morceau vous auriez envie qu’ils nous en fassent une version instrumentale pour mieux en goûter la richesse. Power trio de choc. Luxuriant.

              D’une richesse extraordinaire.

    Damie Chad

     

    *

    STONE OF DUNA

    Des inconnus par chez nous. De Gothenbourg, deuxième ville de Suède située au sud-Ouest du pays, au bord de mer. Déjà un bon point, en règle générale les groupes Suédois raffolent de la violence, cela provient-il de leur ascendance viking, peut-être. En tout cas Stone of Duna ne semble pas déroger à cette règle. Ils ne donnent pas leur identité, mais les mots qu’ils emploient pour définir leur musique ne paraissent pas évoquer la douceur de vivre. Jugez-en par vous-mêmes : machine à riffs, doom, stoner, sludge, fuzz. Ne les traitez pas de grosses brutes épaisses sans peur et sans pitié. Sont comme la lune, z’ont une face cachée, sont aussi des amateurs et peut-être même des armateurs de musique progressive. Je reconnais que cette appellation recouvre le meilleur comme le pire, l’insipide ou la découvrance de terres inconnues. Se présentent comme des philosophes, pas dans le genre Kant rébarbatif, comme des adeptes de la pierre philosophale, ne l’appellent pas tout à fait comme cela, usent de l’expression de pierre de Duna, qu’ils cherchent à atteindre par la transmutation alchimique des éléments précités, voire précipités dans l’athanor de la recherche sonore. Quoi qu’ils en soient, en sont juste au début de leurs recherches, n’ont publié que deux singles, en mars et en avril de cette année.

    STYGIAN SLUMBER

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    La pochette n’est pas sans évoquer l’intérieur du Led Zeppelin IV, ce mystérieux vieillard encapuchonné perché sur le sommet d’un pic rocheux tenant en sa main gauche une lampe dont le halo lumineux paraît d’un diamètre bien trop réduit pour éclairer le monde. Sur la couve de Stygian Slumber, l’ermite est en marche, il n’est pas encore parvenu au point culminant de sa montée. Si tout comme sur le Led Zeppe il s’appuie sur un long bâton, il ne brandit aucune lanterne, le haut de sa silhouette s’inscrit dans l’orbe d’un astre satellitaire, il porte sur son dos un étrange appareil, entre appareillage de plongée et alambic portatif dans la transparence duquel s’agitent de verts linéaments. Une image aussi difficile à déchiffrer que celle du IV. A la bien regarder l’on pense intuitivement à la nuit du Walpurgis dans le Faust de Goethe.

    Etrange, étrange, étrange, oui trois fois étrange, une distribution parfaite, un tiers pour la musique, un tiers pour le vocal, un tiers pour les lyrics. ( Pour ces derniers si l’anglais vous pose des difficultés regardez sur YT la version Lyric Video ). C’est l’entrée du vocal qui est déstabilisante. L’intro mérite le logo classic doom sans discussion, une montée en puissance des cordes avec très vite le jeu de la batterie qui tient à jouer son rôle de jeune première, tout est parfait, quand l’on y revient l’on s’aperçoit que du premier coup on n’a pas fait attention au merveilleux équilibre sonore apporté à chaque instrument, tous traités à égalité, puissance équivalente, un peu plus tard la basse bénéficie d’une thérapie un peu spéciale, on la laisse grogner toute seule dans son coin à la manière d’un loup fourvoyé dans une cage, ce traitement de faveur n’est pas dû au hasard, l’est sans doute là pour attirer l’attention sur l’exhaussement des voix, pour qu’à l’instant où l’organe humain prend son envol l’auditeur en ressente la clarté absolue. En règle générale dans le doom l’obscurité de la musique assombrit la voix qui pour se mettre en diapason avec l’atmosphère morbide s’enkiste dans une raucité gutturale et le background instrumental pour ne former qu’une unique coulée de lave torrentielle, ici vocal el instrumentation font cavalier seul, aucun n’empiète dans le couloir de l’autre, ce n’est pas qu’ils s’ignorent, qu’ils essaient de tirer la couverture à eux, l’on pourrait parler de coexistence pacifique, si tu déchaînes ta puissance je libèrerai la mienne, tu as tout à y perdre autant que moi, alors ne joue pas avec le feu, tu te brûleras. En cherchant bien, un peu ce qu’avait réussi en 1970 Uriah Heep dans Gypsy sur Very ‘Eavy, Very ‘Umble. Toute constatation mérite explication. Elle réside dans les lyrics. Assez obscurs. Non pas l’histoire d’un cheminement extérieur plutôt celui d’un dévoilement intérieur, ces pensées par lesquelles survient la prise de conscience que la réalité qui s’offre à nous n’est qu’une croûte de mensonge, que sous la boue terrestre des chemins se cache la réalité d’un autre monde, que la fange alluvionnaire recouvre et cache une pierre à la dureté impérissable. Une fois que l’on a saisi c’est alors que commence le chemin, celui de la maîtrise opératoire, la première étape celle de l’œuvre au noir, par laquelle le compost de la matière première est réveillé, préparé, réactivé, cette épreuve exige habileté et réflexion, ce qui explique maintenant la construction de ce morceau dont les différents ingrédient sont portés à leur plus haut niveau d’intensité, la recherche du kairos dans le kaos, de l’instant précis où toutes les séquences ordonnées seront à même de subir l’épreuve de l’étape suivante. Les alternances, les phases, les déclinaisons instrumentales et chantées sont à écouter comme un processus rituelliques dont le but principal serait de reléguer le hasard dans le néant des inexistences parcellaires. L’on n’épuise pas ce morceau, il faut sans cesse le réécouter pour en signifier le déroulement.

    DEATHBRIGHT

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    L’on retrouve sur la couve le marcheur de la pochette de Stygian Slumber. Il semble (tout comme le vieillard du IV) parvenu au faîte du mont dont il n’abordait alors que les premières pentes. Il contemple le grandiose paysage qui s’étend devant lui. Des aiguilles pierreuses s’offrent à sa vue. L’artwork est manifestement inspiré du tableau Le voyageur de Caspar David Friedrich. Le lecteur aura remarqué de lui-même que si la première image reste dans une tonalité ombreuse, cette deuxième semble auréolée de couleurs beaucoup plus éclatantes.

    Musique plus vive, le vocal davantage dans le magma sonore, mais encore lumineux, nous voici dans l’instant du réveil, le maître a agi sur la matière noire, elle se rend compte qu’elle était morte puisqu’elle prend conscience qu’elle vit, le son se charge d’impétuosité, le morceau oscille, tantôt il penche du côté de la mort et tantôt de la vie. Si le maître a rendu la vie à la matière morte, que lui a donné en échange la matière morte, toute l’opération ne serait-elle pas un va-et-vient incessant entre les deux formes suprêmes de toute phénoménologisation, entre existence et inexistence. Entre couleurs et nuit, entre chaleur et froideur. Entre inertie et mouvement. Le deuxième menant immanquablement à l’autre. Nous n’avons parcouru qu’une partie du chemin. Nous attendons avec impatience la suite.

    Damie Chad.

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

                                                             

    EPISODE 24 ( Black teeth  ) :

    129

    Je m’écroule sur la moquette. Evanoui. Ainsi la clef de cette mystérieuse et labyrinthique de cette affaire repose en moi. Le choc émotif a été trop fort ! Molossito me lèche le visage. Molossa me mord les pieds. Rien n’y fait. Lorsque les pompiers sont arrivés, ils sont à mes côtés et hurlent à la mort. Le toubib et les infirmiers du Samu, s’évertuent de longues minutes à pratiquer un massage cardiaque, en vain. Le docteur ne se décourage pas :

              _ La dernière chance, hier j’ai été appelé au zoo de Vincennes, l’éléphant ne se réveillait pas après la dose d’Angel Dust que le vétérinaire lui avait administrée, on lui a refilé cent soixante- dix-sept litres d’ammoniac dans le cœur sous forme de piqûres, l’était tout faiblard quand il s’est réveillé, n’est toujours pas en grande forme ce matin, avec trois mois de convalescence à l’isolement complet on estime qu’il a une chance sur cent pour retrouver la santé, il me reste une seringue dans le sac !

    Et hop il me plante l’aiguille dans la poitrine et m’instille direct un litre d’ammoniac dans le cœur. Je ne bouge pas, mon corps ne frémit même pas. Cinq minutes d’attente angoissée, le praticien se tourne vers le Chef :

             _ Monsieur, je suis désolé, la science ne peut plus rien pour votre collaborateur !

              _ Arrêtez vos jérémiades, d’abord sachez que les agents du Service Secret du Rock ‘n’ roll, ne sont pas comme les autres humains, maintenez-lui la bouche ouverte, et vous là débouchez-moi la bouteille sur l’étagère là-bas !

    Le Chef ouvre le tiroir de son bureau et en tire un Supositario qu’il allume sans tarder, il aspire longuement une énorme bouffée et se penchant vers moi, il me souffle un épais nuage de fumée malodorante dans les bronches. Les deux pompiers qui m’écartent les mâchoires se détournent pour vomir leur quatre heure. J’ouvre les yeux et tousse un bon coup.

             _ Un miracle, je n’ai jamais vu ça, balbutie le Diafoirus

             _ Au lieu de dire n’importe quoi ingurgitez-lui une demi-bouteille de Moonshine dans le gosier, dans un quart d’heure il batifolera dans le bureau comme un poulain qui vient de naître !

    130

    Après cette longue journée nous avons dormi au local. Je me hâte de rétablir la vérité historique. Après le départ des secouristes je me suis allongé sur un divan, mes chiens serrés contre moi, à ma grande honte j’ai roupillé comme un loir. Le Chef est resté à son bureau toute la nuit, en fumant Coronado sur Coronado. Lorsque je me réveille il est train de vérifier avec soin une dizaine de Rafalos posés devant lui.

             _ Agent Chad, vous devriez dormir toutes les nuits au bureau, nous gagnerions ainsi un temps précieux !

             _ Pour quoi faire Chef, je ne sais plus par quel bout continuer cette enquête, je suis perdu !

             _ Agent Chad savez-vous la différence existant entre un dédale et un labyrinthe ?

             _ A peu près la même chose, je suppose

             _ Pas du tout un dédale possède plusieurs entrées et donc plusieurs sorties, à l’opposé un labyrinthe n’a qu’une seule entrée qui est aussi son unique sortie.

             _ Oui Chef mais où cela nous mène-t-il, je ne vois pas où…

            _ Elémentaire mon cher Chadson, nous savons que tout ce mystère repose sur vous, l’espèce de commotion psychique dont vous avez été saisi hier le prouve, pour résumer vous êtes l’entrée et la sortie de cet imbroglio, nous sommes en plein dedans, il suffit de trouver la sortie pour nous en tirer. Actuellement nous nageons un peu si vous me permettez cette expression, il suffit donc de remonter le courant pour nous extraire de ce guêpier.

             _ C’est-à-dire que nous allons procéder en quelque sorte à l’envers !

             _ Exactement Agent Chad, mais en procédant selon notre logique et non pas selon celle du labyrinthe. Je vous explique parce que votre mine me signifie que vous n’entravez que couic. N’oubliez pas que c’est vous Agent Chad qui avez défié la mort, vous avez même dit que vous vouliez tuer la mort. Ce qui n’est pas sans poser quelques problèmes, si vous réussissez, pensez à ces millions d’imbéciles qui nous entourent présentement et que nous devrions supporter durant des milliers d’années…

    • Présenté comme cela en effet il me semble…
    • Ce n’est pas le problème, dîtes-moi plutôt où l’on a la chance de rencontrer la mort ?
    • Dans les cimetières Chef !
    • Eh bien, nous allons revisiter les cimetières que nous avons traversés durant nos pérégrinations, mais en commençant par le dernier !
    • Si je comprends bien nous…
    • Allez plutôt me voler une grosse berline noire !

    131

    Nous avions pris l’air de promeneurs inoffensifs, des curieux, des touristes, nous avons tourné et retourné, ne pas attirer l’attention avait dit le Chef, personne n’aurait pu dire si au prochain croisement nous prendrions à droite ou à gauche tant notre promenade paraissait capricieuse et hasardeuse. Malgré cette nonchalance affichée, nos circonvolutions faussement aléatoires ont fini de nous rapprocher de notre but.

    • Nous sommes à moins de deux cents mètres, murmura le Chef, Agent Chad une main sur votre Rafalos, maintenant tout peut arriver !

    Le Chef croyait-il si bien dire ? Il ne nous restait plus qu’une soixantaine de pas pour arriver lorsque nous les vîmes. Ils étaient deux manifestement occupés à se livrer à une étrange tâche. Nous nous sommes rapprochés sans bruit. Ils ne nous ont pas entendu venir. En bleu de travail, ils avaient l’air de rassembler leur outillage. L’un s’est brutalement retourné :

    • Ah c’est vous ! Vous venez voir le travail, ça n’a pas été difficile ni trop long, j’espère que vous serez satisfaits
    • Non, non, nous sommes de simples visiteurs, nous nous demandions ce que vous faisiez
    • Excusez-moi, nous avons cru que vous étiez des membres de la famille. Nous sommes des marbriers, nous avons été chargés de terminer l’inscription sur la tombe, pour moi ce n’était pas difficile, juste rajouter 80 à l’année de naissance et 95 à l’année de sa mort, par contre pour le collègue ce n’était pas de la tarte.
    • Pensez donc Messieurs il a fallu rajouter une première lettre au nom et en plus l’attacher à la suivante, pas facile mais je ne suis pas mécontent de moi, pas mal l’artiste, qu’en pensez-vous ?

    Je m’extasiai :

             _ Sûr qu’accoupler le E initial avec un O qui prend sa place, il faut être sacrément habile, de la belle ouvrage !

            _ Par contre la personne qui est dessous est là depuis presque 30 ans, puisque nous sommes en 2023, et durant tout ce temps la famille n’a pas trouvé le temps de rajouter quatre misérables chiffres, des radins comme cela, ça ne devrait pas exister, une honte, il n’y a plus de respect dans cette société, même pour les morts, nous vivons dans un drôle de monde !

    Nous compatissons gravement. Un coup de klaxon rompt retentit.

              _ Ah ! le patron, doit y avoir un autre chantier, on prend le matos et l’on file, au revoir Messieurs !

               _ Bonne journée Messieurs et félicitation pour votre travail.

    Une camionnette s’arrête sans bruit un peu plus loin dans l’allée. Les deux gars ouvrent la porte arrière déposent leur matériel et s’engouffrent dedans… Le véhicule redémarre lentement :

    • Chef, le patron ne leur permet pas de monter avec lui dans la cabine, ce n’est pas sympa !

    Le Chef n’a pas le temps de répondre. La camionnette s’arrête et opère un demi-tour. Elle repasse devant nous. Le chauffeur ne nous jette pas un regard. Le Chef retient mon bras :

             _ Doucement Agent Chef, je l’ai reconnue moi aussi, notre vieille amie la Mort, malgré le col de sa veste remonté et la visière de sa casquette qui voile son visage.

             _ Chef sa camionnette fonctionne à l’électricité, elle ne doit pas aller bien vite, les engins de cette marque sont réputés pour ne pas battre des records, courons jusqu’à notre voiture et essayons de la rattraper !

             _ Pas d’affolement Agent Chad, inutile de nous faire remarquer, j’ai deviné où elle va !

             _ Où ça ?

             _ Sur une route que vous connaissez bien !

    J’arrête de marcher, mon esprit fonctionne à toute vitesse, tout s’éclaire soudainement.

             _ Chef avec la voiture que j’ai volée nous y serons avant elle, je vous le promets !

             _ Agent Chad je n’en doute pas, je vois que vous commencez à comprendre la différence entre un dédale et un labyrinthe !

    A suivre….

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 554 : KR'TNT 554 : JORDAN / SAINTS / JOHN PAUL KEITH / KEVIN JUNIOR + CHAMBER STRINGS / MARLOW RIDER / AIICIA F ! / KREATIONIST

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 554

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR’TNT KR’TNT

    12 / 05 / 2022

     

    JORDAN / SAINTS

    JOHN PAUL KEITH / KEVIN JUNIOR + CHAMBER STRINGS

    MARLOW RIDER / ALICIA F !

    KREATIONIST

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 554

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :  http://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Jordan franchit le Jourdain

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             Aujourd’hui, on la vénère. Jadis, elle foutait les chocottes. Jordan fut la vendeuse d’une petite boutique de fringues située tout au bout de King’s Road, un coin qu’on appelle World’s end. En 1976, le NME nous expliquait que les Sex Pistols s’étaient formés dans cette boutique de fringues, alors on s’y rendait rituellement, mais on n’osait pas entrer, à cause de cette grosse blonde qui ne semblait pas aimable. Au-dessus de la vitrine minuscule était accroché le mot SEX en très grosses lettres de vinyle rose, hautes d’environ un mètre. Jordan se tenait adossée dans l’entrée, maquillée de noir, vêtue de noir, et portait un brassard nazi. Pour être tout à fait honnête, on se sentait un peu largué. On ne voyait pas la relation qui pouvait exister entre le punk-rock et les gadgets fétichistes que vendait Jordan dans cette échoppe perdue au milieu de nulle part. SEX se situait très exactement dans l’esthétique des boutiques spécialisées qu’on voit encore aujourd’hui à Pigalle.  

             Jordan vient tout juste de casser sa pipe en bois. Aussi allons-nous lui rendre hommage, car c’est elle la vraie punk, comme le dit si bien Derek Jarman : «As far as I was concerned, Jordan was the original. Du point de vue de la mode, tout vient d’elle, même Vivienne et la boutique. Sans Jordan, la boutique n’aurait pas marché. She was the original Sex Pistol. Tous ceux qui entraient voyaient comment elle était habillée, voyaient son allure, et tout venait de là. Elle était the Godfather, the Godmother, si vous préférez. She was the purest exemple of all.»

             Alors qu’ailleurs les mouvements naissaient dans des clubs (Greenwich Village puis le CBGB à New York, l’Avalon Ballroom et le Fillmore à San Francisco, le Troubadour et le Whisky A Go-Go à Los Angeles, The Cavern à Liverpool), le London punk trouve son épicentre dans une minuscule boutique de fringues, et c’est bien ce qui rend l’épisode à la fois déroutant et fascinant. Une fois qu’on arrivait devant cette vitrine, on comprenait qu’il ne s’y passait rien. Hormis Jordan adossée dans l’entrée, on ne distinguait pas grand monde à l’intérieur, à peine quelques clients, et un mec derrière le comptoir, Michael Collins. Le punk était à l’image de cette boutique, une bulle, une ephemera, et pourtant, le London punk allait secouer la vieille Angleterre encore plus violemment que ne l’avaient fait auparavant les Rolling Stones.

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             On connaît Jordan sous trois noms : Pamela Rooke (son nom de jeune fille), Jordan Mooney (son nom de Jordan mariée), et Jordan tout court. Deux ans avant sa malencontreuse disparition, elle avait publié son autobio, un gros book fortement recommandé, car comme on l’a souvent constaté, ce sont les seconds couteaux qui font la véritable histoire du rock. Jordan raconte l’histoire du London punk de l’intérieur, c’est-à-dire de derrière le comptoir de SEX, et c’est passionnant. Est-il bien utile de rappeler que le London punk (1976/1977) fut le dernier grand spasme de l’histoire du rock ? Le book a pour titre Defying Gravity: Jordan’s Story. Vu que la couverture s’orne d’un portrait de Jordan avec un sein à l’air, on croit que c’est ce sein qui défie les lois de la gravité. Pas du tout, Jordan explique vers la fin de son récit qu’adolescente, elle dansait pour défier les lois de la gravité. Oui, elle a commencé comme ballerine. Le book est gorgé de photos superbes et sexy, notamment celle que reprend l’illusse, où on la voit déambuler sur King’s Road vêtue d’un T-Shirt FUCK et d’une jupe transparente.

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             Dans son book, Jordan fout plus le paquet sur la mode que sur la musique. Pour elle, les fringues que fabriquait Vivienne Westwood marchaient de pair avec le son révolutionnaire des Pistols. Le premier concert qu’elle voit quand elle est ado, ce sont les Faces à Edmonton - dressed in satin and ostrich feathers - Elle ne s’étend pas trop sur le son, mais elle flashe sur le look de Rod The Mod - His look was kind of viable - Elle rappelle qu’on pouvait acheter ce genre de fringues chez Biba, à Londres.   

             Pour une poignée de lycéens français, le Londres des années 70 était la Mecque : les disques, les concerts, les gonzesses, les rues, tout y était parfait. Kensington Market (plus que Biba) pour les fringues, Rock On et Goldborne Road pour les disques, le Marquee pour les concerts, et pour draguer, les discothèques, où on dansait sur du glam et où les filles était faciles. Les séjours londoniens étaient d’une densité à peine croyable, surtout quand les groupes punk ont commencé à jouer partout en 1976.

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             Pamela se rebaptise Jordan en 1973. Elle s’inspire de Jordan Baker, l’un des personnages de Gatsby le Magnifique, roman culte de Francis Scott Fitzgerald.       

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             Dans ce gros book, les rois de la fête sont bien sûr Malcolm McLaren et sa compagne Vivienne Westwood. Jordan les qualifie d’unlikely couple, c’est-à-dire de couple pas comme les autres - L’une des grandes énigmes, à mes yeux et aux yeux de tous ceux avec qui j’ai parlé pendant la rédaction de ce livre, c’était ce couple : comment deux personnalités aussi opposées avaient-elles réussi à former un couple ? - Au début, la boutique s’appelait Paradise Garage et appartenait à Trevor Miles. McLaren y vendait quelques disques rachetés sur le Ted Carroll’s Rock On stall in Goldborne Road indoor market. Fin 1971, McLaren et Vivienne reprennent le pas de porte à leur compte. À cette époque, McLaren est obsédé par le rock’n’roll anglais des fifties et notamment Larry Parnes et son écurie de rockers, Billy Fury, Marty Wilde et tous les autres. Il rebaptise la boutique Let It Rock et vend des fringues de teds, jusqu’au moment où il change de cap et rebaptise l’endroit Too Fast To Live Too Young To Die et se met à vendre des cuirs de bikers, des vestes en peau de panthère, des pantalons fuseau et des American zoot suits. Il fait peindre un crâne et deux tibias sur l’enseigne pour que ça ressemble au dos d’un cuir de biker.

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             La boutique attire tous les gens intéressants. Jordan rappelle que Chrissie Hynde bossait at No 430 avant elle et un jour son boyfriend Nick Kent est arrivé dans la boutique pour la frapper à coups de ceinturon : il la soupçonnait de le tromper avec un client de la boutique. Steve Jones fait partie des clients et Jordan énumère ses frasques : vol d’un tuner dans le backstage d’un Roxy Music gig, vol de deux guitares chez Rod the Mod à Winsdor (ce que dément Jonesy dans son autobio, arguant que Windsor était un peu trop loin de Londres pour un petit voleur comme lui), et son plus gros coup nous dit Jordan, c’est le barbotage de toute la PA de Ziggy le soir du concert d’adieu à l’Hammersmith Odeon, en juillet 1973. Parmi les clients de la boutique, on trouve aussi les Dolls, de passage à Londres lors de leur première tournée en 1972. Sylvain Sylvain raconte que son copain d’enfance Billy Murcia avait les poches pleines de mandrax. Sylvain disait à Billy de faire gaffe avec les mandies, et Billy le rassurait en lui disant qu’il les cassait en deux pour n’en prendre qu’une moitié à chaque fois. Après s’être engueulé à l’hôtel avec Johansen, Billy est allé dans une party à Earl’s Court où il a fait un malaise et s’est évanoui. Les gens ont essayé de le ramener à lui mais n’y sont pas parvenus. Sylvain dit que c’est un tragique incident. Marty Thau remit les Dolls dans l’avion avant que les flics ne mettent leur nez dans cette histoire. Comme chacun sait, McLaren va proposer ensuite à Sylvain d’être le frontman des Sex Pistols. Après la fin des Dolls, McLaren et Sylvain passent quelques jours ensemble à la Nouvelle Orleans. Sylvain : «Malcolm était incroyable. Il appelle Allen Tousaint et lui dit que je vais être the next big thing in England,  il me vend à Toussaint et Toussaint croit que Malcolm est Brian Epstein, car il est persuadé que tout ce qu’il dit est vrai.»

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             Quand il revient à Londres en mai 1975, McLaren ramène des idées neuves - A new momentum to push his vision to the limits, nous dit Jordan. Désormais, la boutique s’appelle SEX. Sa réputation grandit. Jordan : «Un groupe de quatre jeunes gens commençait à fréquenter la boutique. Ils s’appelaient tous John. John Beverley, sometimes known as Sid, John Wardle, qui allait devenir Jah Wobble, John Grey et John Lydon qui se distinguait du lot avec ses cheveux teints en vert et son T-shirt Pink Floyd qu’il avait customisé en rajoutant le célèbre «I HATE» au feutre.» Vivienne est plus impressionnée par John Beverly qu’elle voit comme le chanteur des Pistols : «Sid était un type tellement adorable, mais il ne savait pas faire la différence entre le bien et le mal. Il était dangereux, mais si intelligent et drôle. Et manipulateur. Il s’arrangeait toujours pour qu’on l’aime. On ne pouvait pas faire autrement.» Mais McLaren est intrigué par John Lydon. C’est donc lui qu’il invite à venir rencontrer les autres Pistols dans un pub, après la fermeture de la boutique à 7 h. McLaren avait déjà proposé le job de chanteur à Midge Ure, nous dit Jordan, mais, thankfully, Ure n’était pas intéressé.

             Sid va commencer à bosser à la boutique, en remplacement - He was an expert at doing absolutely fuck all - Quand un client lui demandait quelle taille faisait la fringue, il répondait que c’était écrit dessus. Ou le prix ? Il répondait «I dunno. Don’t ask me.»  

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             Quand McLaren organise les premiers concerts des Pistols, c’est principalement l’occasion pour lui d’orchestrer le chaos. Il met en pratique les idées subversives du Situationnisme de Guy Debord, un théoricien du chaos qui le fascine. Jordan raconte le concert au 100 Club en mars 1976 - The gig was a fiasco - John et Glen Matlock s’engueulent, alors John sort de scène en plein milieu d’un cut et McLaren le rattrape à l’arrêt de bus et lui ordonne de remonter sur scène. McLaren évite le split de justesse et le groupe joue le set en entier. Il faut savoir que sur scène, ils répétaient, on les voyait donc essayer des trucs, ça leur venait du cœur, d’où cette colère - Marco Prioni qui assiste à ce concert est conquis : «Ils étaient mon groupe favori, parce que cette attitude n’existait pas auparavant, Rotten’s attitude.» Pour Bertie Marshall, le show des Pistols était un anti-show, tout s’écroulait sur scène. Pour les fins connaisseurs, les Pistols deviennent le real deal. Pas les Clash. Paul Cook : «Les Clash semblaient bien plus manufactured que nous, avec leurs slogans, leurs blousons de cuir, leurs cols relevés et tout ça.» Simon Barker : «Les gens pensaient que les Clash étaient des working-class heroes, mais Jasper Conran leur faisait leurs fringues et Sebastian Coran était leur roadie.» Pour Jordan, les Clash et les Pistols avaient deux styles très différents - J’avais un problème avec les Clash, ils semblaient si nostalgiques, les fringues avec les slogans peints, le chapeau melon de Bernie et les Jackson Pollocks, ils ressemblaient à des décorateurs - Jordan évoque aussi le fameux concert au Chalet du Lac en 1976, au Bois de Boulogne, avec les Damned, les Pink Fairies et Roogalator.

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             Juste avant le fameux festival punk du 100 Club en septembre 1976, McLaren fait signer un contrat aux quatre Pistols. McLaren ramasse 25 % de leurs cachets et 50 % du merch. Glen Matlock veut montrer le contrat à un avocat avant de signer, mais les trois autres signent, donc il signe. En octobre 1976, les Pistols entrent en studio pour enregistrer «Anarchy In The UK». Jonesy est ravi de bosser avec Chris Thomas qui a produit le premier album de Roxy Music. C’est Thomas qui va mettre au point le fameux wall of sound des Pistols.

             Et puis la presse s’empare du phénomène, et ça devient horrible. Paul Cook : «On était dans un restau, un bar d’hôtel et la presse était là. ‘Vas-y Steve, balance ce pot de fleurs !’ Alors Steve le balançait. ‘All right, here you are!’ Et ça faisait la une des journaux le lendemain. ‘Pistols destroy pot. Whooops ! There goes another !’ C’est là que l’histoire s’est transformée en dessin animé. Mais ce n’était plus drôle du tout. C’est même devenu sérieux. On nous tapait dessus. Les Teds et les punks voulaient s’entre-tuer.» 

             Dans le Jordan book, des témoins racontent que Vivienne déclenche les bagarres, elle est tellement bourrée qu’elle ne se rend plus compte de rien - Au Nashville she caused a fight that went on the front cover of Melody Maker, at Andrew Logan’s party, she got punched by John Rotten - She loved it, actually, nous dit Simon Barker - Et tout s’accélère. En janvier 1977, Matlock est viré, remplacé par Sid. Mais comme il ne sait pas jouer, c’est Matlock qui joue en mars pour une audition A&M. Jordan rigole et ajoute : «He was paid a £2,966.68 severance fee.» Paul Cook : «Sid voulait être as outrageous as possible, plus que n’importe qui d’autre. That’s what fucked it up. C’est John qui l’a amené dans les Pistols, il avait un copain dans le groupe and then Sid totally took over and the chaos took over. La tension est montée tout de suite entre Sid et John. Sid trouvait que John n’était pas assez outrageous, qu’il devait être le king punk rocker et semer la chaos partout. Et ce n’est pas ce qu’on voulait à l’époque. C’était même la dernière chose qu’on voulait.»

             McLaren tire bien les ficelles. Jordan : «Le groupe avait reçu £125,000 en six mois (de la part d’EMI et d’A&M), mais ils percevaient toujours un salaire de £40 par semaine.» En mai 1977 les Pistols signent avec Virgin qui verse une avance de £15,000 pour financer l’enregistrement de l’album, suivi de £50,000 un mois plus tard. C’est une pluie d’or.

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             Ce retentissement médiatique est unique dans les annales. Ce groupe parti d’une boutique de fringues de rien du tout génère des profits considérables. Le parallèle avec Elvis s’impose : lui aussi parti de rien, il se met à générer des profits astronomiques. Dans les deux cas, l’explication porte un nom, celui de manager. McLaren pour les Pistols d’un côté, le Colonel Parker pour Elvis de l’autre. Pareil pour Brian Eptein et les Beatles. Ou l’art de faire monter la mayonnaise. Le Colonel Parker choisit the soft way, il séduit l’Amérique des grosses épouses réactionnaires, pareil pour Epstein. McLaren préfère scandaliser la vieille Angleterre.

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             Mais la vieille Angleterre se rebiffe réagit brutalement. La presse anglaise lance une croisade anti-punk : «Punish the punks.» Jordan nous dit qu’un matin Jamie Reid est attaqué au coin de sa rue par des mecs qu’il ne connaît pas : nez et jambe cassés. Le samedi suivant, c’est au tour de John Rotten et de Chris Thomas d’être attaqués près du studio où ils enregistrent. Les mecs crient «We love the queen» et frappent Rotten à coups de machette. McLaren poursuit sa stratégie de sabotage en s’engueulant avec Virgin à propos du choix des titres pour l’album. Il profite de l’occasion pour sortir son bootleg, le fameux Spunk, avec les démos enregistrées par Dave Goodman en 1976. Quand Richard Branson entend parler du bootleg, il précipite la parution de l’album officiel qui sort en octobre 1977. Puis c’est la tournée américaine, et comme le dit si bien Paul Cook, «everything was so fucked-up», avec un Sid qui overdosait aussitôt après le dernier concert à San Francisco.

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             SEX ferme en décembre 1976 et devient Seditionaries en janvier 1977. Vivienne demande à tout le monde de donner un coup de main à coudre et pour Jordan, c’est l’enfer. Elle déteste ça. Alors elle arrive en retard et Vivienne la vire. Quoi ? Jordan n’accepte pas d’être virée et revient. Le principal reproche qu’on fait à Vivienne et à ses fringues, c’est le prix. Elle vend ses fringues extrêmement cher et pour ça, Jordan a un argument : c’est de l’art, donc ça vaut cher - You have to be a genius to make those clothes - En fait, c’est cette énergie de la reconnaissance qui sous-tend tout le book : Jordan est persuadée que Vivienne a du génie et elle se dit fière de bosser pour elle.

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             Et puis voilà l’épisode final de la saga Pistols : The Great Rock’n’Roll Swindle. Questionnée à ce propos, Jordan répond qu’elle ne voulait pas être impliquée dans ce projet - Early on I heard the rumblings of it when it was started to be filmed and it was obviously going to be really shit. There was no way I wanted to be in it - Même chose pour Paul Cook : «Julien Temple a fait The Filth And The Fury, je pense que c’est le meilleur film qu’on ait pu faire sur nous. Mais moins on parle de The Great Rock’n’Roll Swindle, mieux ça vaut. C’est une catastrophe pour le groupe, c’est horrible. John hait se film et il ne supporte pas l’idée d’y avoir été impliqué, ce que je comprends parfaitement.»

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             La deuxième fin de la saga Pistols, c’est celle de Nancy Spungen à New York. Quand elle apprend la nouvelle, Jordan éclate de rire. C’est Vivienne qui la lui donne au téléphone et elles piquent toutes les deux une méchante crise de rire - Nancy had caused so much trouble and bad feeling, it felt like a relief that she had gone - Vivienne fait aussitôt un T-shirt avec la mention : «She’s dead, I’m alive, I’m yours», qu’elle met en vente dans sa boutique. Elle dit aux gens qui lui achètent le T-shirt qu’elle se préoccupe plus de Sid que de Nancy. Quand on lui fait remarquer que ce T-shirt est de mauvais goût, elle répond que c’est logique, vu qu’il est fait pour choquer.

             Après que les cendres soient retombées, Paul Cook et Jonesy songent à redémarrer le groupe : «Quand on composait des chansons sans Glen, ça donnait ‘Bodies’, ‘EMI’, ‘Holidays In The Sun’, aussi on aurait pu faire un great album. Mais il aurait fallu le faire sans Malcolm. On aurait aussi pu le faire sans Sid, car de toute façon, Steve avait joué toutes les parties de basse sur Never Mind, ça n’aurait pas été un problème. On aurait pu le faire tous les trois, John, Steve et moi. Mais on a préféré Malcolm à John. On ne voulait pas revivre ce qu’on avait déjà vécu. John était déjà avec une autre équipe, il était déterminé. Il avait a good band around him.»

             La relation intense qu’entretiennent Jordan et Vivienne sous-tend tout le récit. Quand Jordan tourne dans Jubilee, le film de Derek Jarman, Vivienne le prend très mal. Elle fait un T-shirt qui porte la mention «The most boring and therefore most disgusting film». Un témoin de l’époque pense que Vivienne était assez possessive avec Jordan qui était sa star. Elle ne voulait pas qu’on la lui barbote. Autre illustration : quand Jordan se marie avec Kevin Mooney, Vivienne lui fait un beau cadeau de mariage : virée ! - I’ve got a wedding present for her - the sack ! - Vivienne était outragée par l’idée du mariage. Elle ne pouvait pas accepter l’idée qu’un être aussi singulier que Jordan pût se marier. Trente ans plus tard, Jordan demande à Vivienne pourquoi elle a aussi mal réagi. Vivienne répond qu’elle traversait alors une très mauvaise passe, car McLaren venait de la quitter pour se maquer avec une couturière/designer allemande. C’est là que Vivienne explique qu’elle a vécu un enfer avec McLaren, «a horrible relationship, just leave at that» - I was extremely loyal to him but he just had to hurt you every day - He was an awful, awful person to live with - Quant au mariage proprement dit, Vivienne est contre pour des raison éthiques : «Elle nous a trahi en se mariant. On fait partie des gens qui ne se marient pas. Question de principe. On ne veut pas alimenter le système en acceptant ce type de relation réglementaire. J’étais réellement en colère après toi», dit-elle à Jordan.

             Quand Jordan se marie avec Kevin Mooney qui fut le bassman d’Adam & the Ants, elle se marie aussi avec l’hero. Elle en parle très bien : «Il n’existe rien de plus dangereux. Aux plans  physique comme psychologique, pendant et après. Tu joues avec ta vie chaque fois que tu te shootes. Tu ne sais pas ce qu’il y a dedans. C’est potentiellement létal. L’hero n’est jamais une dope solitaire. Tu trouves toujours quelqu’un qui veut t’initier et qui ensuite te fournir. Il veut rester en ta compagnie quand tu en prends, et ça forme des petits groupes de gens qui meurent quand ils se retrouvent seuls. Leur truc c’est de dire : je vis en enfer, so I want you, you and you to join me. Ce dont je me souviens du junkie time, ce sont des gens terrorisés par la venue de l’aube, terrorisés par la moindre contrainte sur leur vie.» Jordan et Kevin montent un groupe et reçoivent une avance de 50.000 £ de la part du label, qu’ils craquent en dope en moins d’un an - Bought lots of drugs, lots of clothes, lots of things - Et quand ils se sont retrouvés à sec, Kevin a vendu les fringues et les bijoux de Jordan, mais sans le lui dire, prétextant qu’il les faisait mettre à l’abri. Elle découvre le pot aux roses par des gens qui ont vu ses fringues portées par d’autres gens et quand elle en parle à Kevin, il lui répond que ce qui est à elle est à lui. En entendant ça, Jordan comprend qu’elle doit se barrer vite fait pour sauver sa peau. Elle retourne s’installer chez ses parents et ne veut plus entendre parler de ce mec. La première chose qu’elle fait en arrivant, c’est de se désintoxiquer - C’est l’une des choses dont je suis la plus fière : je me suis débarrassée de Kevin et de l’hero en même temps - Dans son élan, elle repense à tous les gens qui lui étaient chers : «Dee Dee Ramone, Johnny Thunders, Jerry Nolan and of course Sid - All died because they could never get away from it. They were stuck

             Vivienne et McLaren apparaîtront une dernière fois ensemble, en tant qu’associés, en 1983, lors d’un défilé de mode. Et Vivienne se barre aussitôt après en Italie avec son nouveau mec, Carlo d’Amario, «au grand chagrin de Malcolm», nous dit Jordan. Après le départ de Vivienne, la boutique de King’s Road est restée fermée pendant un an.

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             Le dernier épisode de la saga McLaren/Vivienne, ce sont les funérailles de McLaren. Quand Vivienne commence à prononcer son discours, Bernie Rhodes l’interrompt brutalement : «Oh shut up Vivienne. It’s always about you.» Jordan se dit choquée par cette intervention. Vivienne répond à Rhodes qu’elle a du mal à mettre ses pensées en ordre et que c’est dur, alors Rhodes répond : «It’s Bernard actually», alors Jordan excédée se lève et lance : «Bernard. You’ve never been Bernard!». L’injure suprême, surtout venant de Jordan. L’anecdote comique des funérailles, c’est le message adressé par Steve Jones et que lit Joe Corré : «Dear Malcolm, as-tu emmené les sous avec toi ? Est-ce qu’ils sont dans le cercueil ? Est-ce que ça t’embête si je viens demain te déterrer pour les récupérer ?»

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             Pour conclure, nous dirons que le book est vraiment bon, Jordan porte un regard sans complaisance sur toute cette histoire extraordinaire. C’est l’un des meilleurs témoignages de cette époque, avec l’autobio de Jonesy (Lonely Boy) et la massive bio de McLaren (The Life & Times Of Malcolm McLaren: The Biography) dont on va reparler incessamment sous très peu.

             Ce texte est pour Jean-Yves. Il me disait l’autre jour qu’il avait eu le courage d’entrer chez SEX, mais qu’il avait peur de Jordan et de se ramasser «un coup de gros nichon». Il voulait juste voir le juke-box.

    Signé : Cazengler, Jordanse avec les loups

    Jordan. Disparue le 3 avril 2022

    Jordan Mooney. Defying Gravity: Jordan’s Story. Omnibus Press 2019

      

    Les Saints à l’air - Part Two

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             Dans la vague d’albums qui a submergé le monde entre 1976 et 1977, se trouvait l’(I’m) Stranded des Saints. Ces albums avaient pour particularité d’être à la fois des premiers albums et d’être des albums géniaux. Allez, tu les connais : Ramones, Heartbreakers, Damned, Sex Pistols, Richard Hell, Television, Clash et tu pouvais foutre tout le reste à la poubelle. Par leur classe et leur agressivité, les Saints étaient un peu les chouchous, avec un son qui s’enracinait dans les Them et les Shadows Of Knight et qui développait en prime une sauvagerie jusque-là inconnue.

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             En fait, le single «(I’m) Stranded» est arrivé un tout petit peu avant, en éclaireur. On en trouvait quelques-uns à Londres. Ho le poids du beat là-dessus ! Le son tombait du ciel. Les Saints jouaient au heavy sludge d’awite. Les awite de Chris Bailey sont restés les plus purs du marigot, avec ceux d’Iggy Stooge. Ce fut un hymne, au même titre que «New Rose», «Anarchy In The UK» et «London’s Burning». Tout ça marchait ensemble. Le rock renaissait de ses cendres. Depuis, on a jamais revécu un tel phénomène. Never ever. Et l’album est arrivé comme un rouleau compresseur, même power que le premier album des Stooges, avec la voix de Chris Bailey à la surface du chaos, un album saturé de wild sound. Même feu sacré, Ed Kuepper joue le wall of sound on fire dans «One Way Street» et puis à la suite il y a cette reprise des Missing Links, «Wild About You», l’emblème du gaga-punk, avec le chant à l’aise et derrière, la fournaise définitive, et des poussées de fièvres qui resteront aux yeux de tous des modèles du genre. Ils bouclaient l’enfer de ce balda avec «Erotic Neurotic», un cut wild and frantic complètement ratatiné par Ed Killer le solo flasheur. Et ça repartait de plus belle en B avec «No Time» et l’une des pires intros de l’histoire des intros, une intro signée Razor Sharp Ed K - Got no time/ For messin’ around - Kym Bradshaw hantait ce fleuve de lave avec un bassmatic innervé. S’ensuivait l’un des meilleurs blasts de l’époque, la reprise du «Kissin’ Cousins» d’Elvis, wild as fuck. Razor Sharp Ed K refaisait des siennes dans «Demolition Girl», encore un claqué de blast dévastateur. Elle portait bien son nom, la Girl, elle démolissait tout. Tout ça se terminait avec une cerise sur le gâtö, «Nights In Venice». Razor Sharp Ed K sonnait exactement comme Ron Asheton, même envie d’en découdre, même volonté de détruire la ville. C’était d’une violence sonique rarement égalée, avec un Razor Sharp Ed K qui grattait sa cocote et qui arrosait an même temps. Napalm fire, baby, comme chez les Stooges, c’mon ! L’ho no de Chris Bailey était une œuvre d’art et l’Ed K n’en finissait plus de nous plonger dans sa bassine de friture. Avec «Night In Venice», les Saints mettaient le chaos K.O.

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             L’idéal pour se faire une idée précise du power des Saints est d’écouter un live. Il en existe  un paru en 2009, le fameux Live At The Pig City Brisbane 2007. C’est un concert de reformation, avec Razor Sharp Ed K, Ivor Hay et Chris Bailey. Attention, ce live est une poudrière, alors éteins ton mégot avant de le lancer. On y retrouve tous les blasts qui ont fait la légende des Saints, à commencer par «No Time» que Chris Bailey présente ainsi : «The last time we played this song here, we got kicked out !». C’est du heavy Saints, fast as fuck. Il amène «Stranded» au one two three four, c’est une bombe, Chris Bailey se prête bien au jeu, il développe ça au c’mon. Ils tapent aussi «This Perfect Day» tiré du deuxième album, Eternally Yours. Pour l’ouverture de bal, ils ont opté pour «Swing For The Crime», tiré de Prehistoric Sounds, joué en mode overdrive de full blast, Chris Bailey tombe du ciel, comme l’aigle sur la belette. Il reste l’un des pères fondateurs du garagisme, avec Van The Man. Il calme un peu le jeu en grattant «The Prisoner» à coups d’acou sur son Ovation et refout le feu à l’Australie avec «Know Your Product». Et puis voilà l’apocalypse selon Saint-Chris, «Nights In Venice», pour commencer, on se croirait chez les Stooges, même démesure, même violence intrinsèque, ils tentent de rallumer les vieux brasiers, c’est Ivor Hay qui mène le bal ici, il bat comme mille diables et puis ils enchaînent avec «River Deep Mountain High», c’est un peu le real deal de Chris Bailey, on a tous flashé sur ce double 45 tours paru à l’époque, mais la version live est encore plus spectaculaire, c’est une véritable fournaise que Chris Bailey élève au rang de mythe, avec toute la folie de wild gaga dont il est capable, pas de pire cover dans l’univers yeah yeah yeah et soudain, il élève le niveau du River Deep comme s’il voulait rendre hommage aux dynamiques de Totor le titan. 

             On ne peut pas dire que la presse officielle se soit ruinée en couvertures pour les Saints. Elle préfère investir dans Pink Floyd et Led Zep. Le seul article consacré aux Saints paru ces dernières années se trouve comme d’habitude dans Vive Le Rock. Douze pages, mon gars, et la couve en prime, alors t’as qu’à voir ! Pour un groupe culte, c’est le moins qu’on puisse faire.

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             Duncan Seaman commence par citer un journaliste de Sounds qui écrivit à propos d’«(I’m) Stranded» : «Single of  this and every week». C’est vrai que ce single est resté pour beaucoup de fans le meilleur single de l’année depuis toutes ces années. Seaman s’empresse aussi de rappeler qu’Ed Razor Sharp Kuepper et Chris Bailey ne sont pas australiens, mais respectivement allemand et irlandais, leurs familles ayant émigré en Australie après leurs naissances respectives. Ils ont grandi à Brisbane et sont devenus proches car ils avaient en commun une passion pour la musique et les cheveux longs. Au commencement, ils forment un trio avec Ivor Hay et en 1975, il se rebaptisent The Saints en l’honneur de Leslie Charteris. Et puis tout se met en place rapidement, car Chris Bailey dispose de l’atout majeur : the good rounded and pretty powerful voice. Les influences déterminantes arrivent comme la cerise sur le gâtö : Stooges, MC5, Velvet et Dolls. Chris Bailey aime bien causer des influences. Pour lui les Ramones évoquent les Archies et les Ronettes, alors que les Saints renvoient directement sur Eddie Cochran et Little Richard : d’un côté, la grande pop américaine, de l’autre the wild & frantic rock&roll. Dans la foulée, il cite les Pretty Things et les groupes anglais that had the same twist on American R&B. On entend presque le son de sa voix. C’est la même chose quand on lit Lanegan : on l’entend.

             Chris Bailey rappelle aussi qu’il haïssait Brisbane - It was like the worst part of Texas, it was just a horrible, hot wasteland - Ivor Hay rappelle que croiser un flic dans la rue quand on avait les cheveux longs était systématiquement source de problèmes.

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             Puis arrive l’épisode déclencheur : l’enregistrement auto-financé du premier single, pressage à 500 exemplaires et révélation miraculeuse dans la presse anglaise. Avec le Spiral Scratch des Buzzcocks, «(I’m) Stranded» reste le sommet du DIY de 1976/77. Pas besoin de record company pour sortir un single révolutionnaire. «(I’m) Stranded» sort six mois avant «New Rose» et John Peel le passe encore et encore dans son radio show. EMI London alerte EMI Australia et les Saints se retrouvent en studio à Brisbane avec le Néo-Zélandais Rod Coe pour enregistrer leur premier album. C’est torché en deux jours, one or two takes, mixage compris. Wham bam thank you mam ! Les Saints n’ont pas l’expérience du studio, aussi jouent-ils à la revoyure. Chris Bailey : «So we basically stood up and played live.»

             Les louanges commencent à pleuvoir : Nick Cave qui voit les Saints sur scène en Australie en 1977 dit que c’est the best band I’ve ver seen. Quant à Robert Forster, il affirme avoir été «pulvérisé» quand il a entendu «(I’m) Stranded» pour la première fois. Brad Shepherd des Hoodoo Gurus traite les Saint d’«atomic bomb going off.»   

             C’est en juin 1977 que les Saints montent s’installer à Londres. Et là, les choses commencent à mal tourner. EMI veut les voir porter des costumes. Quand on voit la pochette du premier album, on comprend que l’idée ne peut pas plaire aux Saints. Fuck it ! Les Saints commencent à tourner en Angleterre et au début, ils adorent ça, mais ils s’aperçoivent très vite que le mouvement punk est devenu une mode et qu’ils n’en font pas partie - We weren’t part of that - Puis Kym Bradshaw quitte le groupe. Comme les Saints repartent tourner en Australie, Kym choisit de rester à Londres. Il va jouer dans les Lurkers. Quand les Saints rentrent à Londres, il parvient à rétablir le contact et à maintenir de bonnes relations avec ses anciens collègues.

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             Fin 1977, ils entrent en studio pour enregistrer leur deuxième album. Chris et Ed produisent. Eternally Yours constitue avec le premier album le sommet de l’art des Saints. «Know Your Product» t’embarque la bouche aussi sûrement que le ferait un boulet d’abordage. Pas de pire punk dans la stratosphère - Cheap advertising/ You’re lying/ It’s never gonna get me what I want/ All that smooth talking/ Brain washing/ It’s never gonna get me what I need - et c’est salué aux trompettes de la renommée. C’mon ! L’autre coup de génie de l’album c’est le «No Your Product» de bout d’A, un brin stoogy, qui monte terriblement en pression avant de retomber sur la barbarie du beat. Personne ne peut rivaliser avec les Saints en Angleterre. «Lost And Found» est vite embarqué en enfer et «Private Affair» vaut pour du pur jus de punk’s not dead, ah qu’elle arrogance dans la décadence - We got new thoughts/ New ideas it’s all so groovy/ It’s just a shame that we have/ Seen the same old movies - Encore du hard beat des Saints en B avec «This Perfect Day» - What more to say - Chris Bailey reste intraitable. C’est la section rythmique Algy Ward/Ivor Hay qui vole le show sur «(I’m) Misunderstood». Une fois n’est pas coutume.  

             Algy Ward est le nouveau bassman. L’enregistrement d’Eternally Yours dure trois semaines, mais le son est beaucoup plus ambitieux. On commence à prendre les Saints au sérieux. Bizarrement, l’album n’obtient pas le succès escompté. Ivor Hay pense qu’ils sont victimes de leur singularité. Le public punk les boude. Ils sont vraiment bizarres les gens : on leur colle un album génial dans les pattes et ils font la gueule, ça ne leur plaît pas. Les Saints ne sont pas politically correct comme les Clash qui sont alors considérés comme des superheroes en Angleterre. Les Saints sentent qu’on les méprise - The Saints were seen as kind of on the side line - ou pire encore, «colonial copysts of some sort». Alors les tensions apparaissant dans le groupe. Chris Bailey et Ed Kuepper ne voient plus les choses de la même façon. 

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             Paru en 1978, Prehistoric Sounds est le dernier album de Razor Sharp Ed K avec les Saints.  Les deux coups de génie de cet album sont les deux reprises de r’n’b, «Security» et «Save Me» - All I need babe is security yeah - Chris Bailey y va de bon cœur - So darling how can I forget - Il est le plus puissant raver shaker d’Angleterre, il fait du punk r’n’b, c’est un cas unique dans l’histoire du rock - I want security/ Without it I’m at a great loss/ I want security yeah/ I want it at any cost now/ I don’t want no money/ No no no no - Son no no no est criant de vérité. Personne ne ramone le raw r’n’b aussi bien que Chris Bailey. Il reste dans le punk de raw avec «Save Me», sa version prend feu, c’est du punk r’n’b de dévastation massive, rien d’équivalent en Angleterre - Love leaves you cold and hurt inside/ Those tears of mine/ They are justified - Et il lui demande de le sauver. Chris Bailey défonce les annales du raw. Le reste de l’album est plus Sainty, c’est-à-dire très chanté, seriné au deepy deep de glotte frontale. Chris Bailey se complaît dans le heavy balladif des relations tourmentées, il exploite massivement le filon de l’incommunicabilité des choses. On finirait bien par s’en lasser. Il devient très tranchant avec «Every Day’s A Holiday Every Night’s A Party». Il n’a jamais été aussi profond dans sa façon de chanter. Il chante à fond de cale. Personne ne chante comme lui. Il prend sa meilleure voix de crapaud pour croasser «Crazy Goldenheimer Blues» et il dégringole l’«Everything’s Fine» d’ouverture de bal de B. «The Prisoner» est encore un outstander - You’re the man in a cage/ I see you everyday - Ah quel fantastique refrain ! - You’re a prisoner/ Just like everybody else - Et il revient à sa chère incommunicabilité des choses avec «This Time» et l’I’m talking to you/ But you’re in a trance/ You’re talking to me/ But you ain’t got a chance. C’est ainsi, on n’y peut rien.

             C’est la fin des haricots pour les Saints : EMI ne renouvelle pas le contrat. Les Saints n’ont plus de manager, ni de label, ni de revenus. C’est le split. Chris Bailey reste à Londres, Ivor et Ed rentrent en Australie, pour ne pas crever de faim. 

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             Pour les fans des Saints, le mini-album Paralytic Tonight Dublin Tomorrow fait figure de relique. Parce qu’on y trouve «Simple Love - And your simple love/ Will always/ Sa-ave me - et «(Don’t Send Me) Roses», deux cuts qu’on reprenait lorsqu’on rendait hommage aux Saints sur scène. Pas mal de désespoir dans ces deux cuts, Chris Bailey semblait y jeter tout son poids - What I can’t understand/ Is why we all make plans - et ça coulait tellement de source - Don’t make no apologies - Quand on a joué ça pendant quinze ans, on en connaissait toutes les ficelles, mais franchement, il fallait être cinglé pour jouer ces deux cuts sur scène. Les gens n’y comprenaient rien et ça les ennuyait. Chris Bailey bouclait son balda avec l’excellent «Miss Wonderful» et attaquait la face obscure avec l’«On The Waterfront» cuivré à bras raccourcis. Il chantait à la force du poignet, il y mettait le paquet et ça pouvait devenir très spectaculaire. 

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             Après la tempête des trois premiers albums vient le calme de The Monkey Puzzle. On entre dans la longue période New Rose. Rescapée de Paralytic, «Mrs Wondeful» fait l’ouverture de balda. Mais il n’y a plus d’Ed, plus de Kym, plus d’Ivor, rien que des nouveaux dont un certain Barrington aux guitares. Chris Bailey s’oriente désormais sur les heavy balladifs, «Always» donne le ton, très ambitieux par la textures du contexte. «Let’s Pretend» est aussi un plaisant balladif d’if I could have been you. Chris Bailey joue ça aux arpèges sur son Ovation. Il a mis beaucoup d’eau dans son vin. Il voudrait bien s’énerver sur «Monkey (Let’s Go)» qui lance la B, mais ça joue à la petite cocote sous le boisseau, avec un très beau son de basse et le riff de «Summertime Blues» comme cerise sur le gâtö. On retrouve aussi le «Simple Love» de Paralytic et il finit en foutant le souk dans la médina avec «Dizzy Miss Lizzy».

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             Suite de l’ère New Rose avec Out In the Jungle, sans surprise et sans déconvenue. Ils restent cultes, malgré des albums moins denses. Hormis la pochette signée George Crosz, le coup de génie de l’album est le «Come On» qui ouvre le bal de la B, car nous voilà back to the roots, back to the push, the Sainty push, come on, Big Bailey le démolit comme un come-on man, inutile de vouloir lui résister, come on ! On se croirait sur Eternally Yours. Même panache, même sens aigu de la punkitude. On attendait aussi des miracle des deux cuts sur lesquels joue Brian James, à commencer par «Animal». Il y claque des petits riffs secs et nets dans la belle fournaise du New Roser et collègue d’écurie. Les deux font la paire. On entend Brian James jouer des queues de solos dans la souricière. On le retrouve sur «Beginning The Tomato Party», un cut plus long, monté sur un délire tribal qu’orchestre Iain Shedden. Ça joue dans l’écho du bon temps roulé, avec un Brian James qui se fond dans le moule du Bailey. Il joue de jolis petits riffs derrière le rideau, c’est un Stooge-addict qui sait se tenir en société. Big Bailey aimerait bien faire son «Sister Ray» avec Tomato, il ramène du sax free, mais Tomato refuse d’obtempérer. C’est à «Follow The Leader» que revient l’honneur d’ouvrir le bal des vampires à grands renforts de trompettes de Jéricho. Big Bailey semble toujours chevaucher en tête, foncièrement déterminé à l’emporter, chez lui, c’est inné. Follow the leader ! Mais le cut qui rafle véritablement la mise, c’est «Senile Dementia», une mélasse fabuleusement heavy qui sonne comme un atroce ressac d’hold on. Quelle puissance ! Un sax free monte dans la marée et finit par emporter la bouche du cut. 

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             On a longtemps accusé la pochette d’A Litlle Madness To Be Free d’être ratée. Après les fastes des deux premiers albums, c’est vrai qu’elle a quelque chose de choquant. Le problème c’est que le contenu de l’album est en osmose avec la pochette, avec des cuts comme «Walk Away» qui sonnent comme des vieux débris de balladifs inconsolables. Big Bailey cultive son goût pour la neurasthénie. Il est même parfois plus fatiguant que Nick Cave. Avec «The Hour», il repart sur les traces de «Simple Love», avec du telephone et du ciel plombé, à l’image des photos qui ornent le recto et le verso de la pochette. L’album devient glauque. Big Bailey durcit un peu le ton avec «Angels», mais ça reste du tout venant. Il ne parvient plus à s’arracher du sol. Il se contente de continuer de chanter au meilleur raw de Desolation Row. La B n’est guère plus brillante. Ils font avec «Imagination» une espèce de musique à la mode, bâtarde de reggae et de radio friendly. S’ensuit l’à peine plus joyeux «It’s Only Time». Cet album pue la panne d’inspiration. Chris Bailey s’enfonce dans un marécage de non-compos, il fait des efforts désespérés autant que désespérants pour garder la tête hors de l’eau. «Someone To Tell Me» se veut puissant, mais ça n’est puissant qu’en apparence. Pas de quoi casser trois pattes à un canard. Les trompettes de Jéricho font leur retour avec «Heavy Metal», il tente le tout pour le tout avec du simili-Eternally Yours et il boucle cet album pénible avec le grand «Ghost Ships». L’intro trompe énormément, car il s’amène en mode troubled troubadour d’arpèges d’ovation. Il faut attendre le deuxième couplet pour le voir hisser les voiles de son merveilleux Ghost Ship, c’est puissant, bien sonné des cloches de misaine, il renoue enfin avec cette ampleur qui fit jadis sa légende.

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             Live In A Mud Hut donne une idée très précise de ce que sont les Saints sur scène en 1985. Ils jouent essentiellement des cuts tirés de The Monkey Puzzle («Let’s Pretend», «Roses», Always») et le «Ghost Ship» qu’on trouve sur Out In The Jungle, certainement l’un des meilleurs balladifs de Chris Bailey. Il y va franchement, la heavy pop sent bon l’air du large. On dira la même chose de «Follow The Leader», c’est même à l’époque la pop la plus lourde d’Angleterre, avec des accords scintillants. Si on cherche une illustration sonore de l’élégance, c’est «Follow The Leader». Tout est monté sur le même modèle, comme le montre «Always» : mid-tempo puissant et bassline voyageuse, avec cette voix qui flotte à la surface. Chris Bailey réussit le tour de force de donner de la profondeur au refrain de «Roses». Comme chacun sait, la profondeur est l’apanage des grands interprètes. Il termine en faisant claquer l’étendard des Saints («Know Your Product»), mais sans les trompettes. Il ramonent ça comme ils peuvent.

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             Sur l’All Fools Day paru en 1986, on trouve trois Sainty hits, «Just Like Fire Would», «Hymn To Saint Jude» et «Temple Of The Lord». Par Sainty hit, il faut entendre grosse compo, gros battage d’accords et grosse présence vocale. De ce point de vue, «Just Like Fire Would» reste emblématique. Chris Bailey fait claquer son Fire au vent. Ivor Hay est de retour et comme il adore cogner, alors on l’entend bien. Et pour couronner le tout, des cuivres somptueux radinent leur fraise. Chris Bailey embarque son «Hymn To Saint Jude» au not coming back again et nous fait la grâce d’un superbe final. Le style de Chris Bailey reste un étonnant mélange de pathos et d’élégance, de gravité et d’éclat. Il s’inscrit d’office dans l’intemporalité des choses, il veille à ce que chaque syllabe soit bien grasse. En B, on tombe sur un étonnant «Big Hits (On The Underground)» salué aux trompette de la renommée. Ah quelle déboulade ! Chris Bailey reste dans son cher pré carré avec «How To Avoid Disaster», un balladif up-tempoïdal drivé par une bassline voyageuse. Il se promène lui aussi à l’intérieur de sa mélodie chant. Il revient au heavy Saint des Saints pour «Temple Of The Lord». Comme il veut en découdre, il ramène ses trompettes et ses hein hein, Ivor Hay propulse tout ça au beat des forges et ça bascule très vite dans l’énormité.

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             On trouve encore une version de «Ghost Ships» sur Prodigal Son. Ah il faut le voir allumer le deuxième couplet - Cold is the wind that blows in my mind - Et il chute sur I don’t know about tomorrow, ce qui est une belle fin de non-recevoir. L’autre stand-out track de Prodigal, c’est «Sold Out», car salué aux cuivres - Sold out/ Like a miner I’m digging for gold - Il n’en finit plus d’affirmer sa différence - I could never believe what I was told - Encore une belle dégelée avec «Grain Of Sand», battu sec et net dans l’écho du temps. Choix de son idéal pour un grain de sable. Chris Bailey s’est complètement débarrassé de sa punkitude. Le voici devenu troubled troubadour.

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             Paru en 1996, Howling pourrait bien être le plus bel album des Saints. Il repose sur quatre piliers : l’effarant morceau titre, le somptueux «Something Somewhere Sometime», l’infernal «You Know I Know» et l’imbattable «Second Coming». Dès le morceau titre, ce démon de Chris Bailey entre dans le Saint des Saints, c’est heavy à un point qu’on n’imagine pas. Ça y va au heavy bassmatic et ça chante au heavy Chris Bailey. C’est atrocement bon. Encore une fois, il n’existe aucun équivalent de ce son dans le monde. Aucun chanteur n’est allé aussi loin dans le marigot. «Something Somewhere Sometime» nous éberluait tellement à l’époque qu’on décida de le reprendre. Il n’existe pas beaucoup de cuts qui atteignent ce niveau de perfection à la fois mélodique et tempétueuse - Took some wine to turn my mind from you/ And it did do - Il faut voir comme il amène bien sa chute - C’est la vie ! - Alors on tombe dans le tourbillon des petits accords de mi-manche à la Chris Bailey, on s’explose la rate avec les descentes de guitare, c’est le cut de génie par excellence. On retrouve toute la clameur du riffing dans «You Know I Know» - Not have to say what’s on my mind - C’est le grand retour du punk Bailey - Confused by abuse of ecstasy - Ça joue au gras double de sixties boomers - You’ve gone and bought another face - Comme toujours, les lyrics sont tirés au cordeau. Big Bailey ! Et l’apothéose arrive avec «Second Coming», où il règle ses comptes. Encore une fantastique descente du barbu, on a un riffing de rêve, salué aux arpèges de disto. Te voilà de nouveau plongé dans le Saint des Saints, tu as même en prime le fin du fin, l’une des meilleurs chansons de Big Bailey avec un son définitif, ça prend feu au coin du couplet - Everyone was waiting for the salvation singers/ No one was waiting for me - Big Bailey en a gros sur la patate, c’est bien qu’il l’écrive et qu’il le clame - At the wheel of the hearse/ Sat my sole recollection - Cette façon superbe qu’il a de broder sur le thème de l’incommunicabilité des choses de la vie - We talked it over/ And I thought we’d reached an understanding/ But really all we had/ Was a lack of expectations - Cette voix et surtout cette diction, et par dessus tout cette phraséologie aristocratique - And time still flying by/ And I don’t mind - Les seuls en Angleterre qui soient habilités à lâcher un I don’t mind sont Big Bailey et John Lydon. ‘Cause they mean it. L’album propose deux autres énormités, «Only Stone» et «Good Friday». L’«Only Stone» dégorge de son, Big Bailey y fracasse encore une fois le ciel des Saints. Et ça continue avec «Good Friday» - And I can feel it/ I can feel it in the air/ I can move it/ Between my fingers - Comme celle de Lanegan, c’est l’une des voix qui marquent les cervelles au fer rouge. Chaque fois, Big Bailey jette tout son poids dans la balance, «All my words get blown away», clame-t-il dans «Blown Away». 

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             Encore un album cher au cœur des fans : Everybody Knows The Monkey, grâce ou à cause de «Fall Of An Empire», qui fait partie des plus gros coups de l’immense compositeur que fut Chris Bailey. On disait même à l’époque que «Fall Of An Empire» était avec «River Deep Mountain High» l’un des plus grands hits de tous les temps, victime lui aussi de l’incompréhension du public - It’s in the air/ It’s the mood of the moment - Le power des Saints, c’est un peu comme un phénomène naturel, une réalité indiscutable. Chris Bailey lance des vagues de pur génie à l’assaut de son Empire - I’m talking down - Et il remonte - Close your eyes/ Consider yourself in the scheme of thing/ Yeahhhhh - Il amène ça sur le terrain de l’innocence, mais what a sludge ! - And I don’t care - Boom. On voulait reprendre «Fall Of An Empire» à l’époque, mais c’est impossible sans organiste. L’autre monstruosité de l’album s’appelle «Everything Turns Sour». Sainty en diable - When you’re standing in the shadow/ With no way to get across - Ça cisaille dans la mortadelle, Chris Bailey retrouve tout le power de l’Empire, il ramène des éclairs aussi bien dans le son que dans les lyrics. Mais l’ensemble de l’album souffre de la présence d’Empire. On ne peut pas  surmonter un chef-d’œuvre comme Empire, humainement, c’est impossible. Chris Bailey revient avec «Vaguely Jesus» sur son vieux balancement de Saint homme - Lying on the floor/ Being vaguely Jesus - La plupart des autres cuts sont compliqués. Chris Bailey le sait. Il tente de reprendre le contrôle du Saint Empire avec «Working Overtime». C’est un combat de tous les instants. Oui il s’agit bien d’un Saint Empire. En Angleterre, à part les Pistols, nobody did it that way, c’est-à-dire des compos qui fondent une religiosité. Punk Bailey est de retour avec le «What Do You Want» d’ouverture de bal des vampires - What do you want from me - Il te pose la question. Ça joue au heavy sludge. Le cut entre en osmose avec la plus disturbing des pochettes, tout y est mal gaulé, la typo et puis cette bouille de godmichet qui regarde en coin. What do you want ? 

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             Comme l’indique son titre, Spit The Blues Out est un album de blues. Chris Bailey opte pour du classic boogie blues, mais le chante à sa façon. Quand on entend «Who’s Been Talking», on croit entendre le vieux shuffle de Ten Years After : c’est exactement le même son - My baby bought a ticket - On peut faire confiance à Chris Bailey pour le baby et le bought. Ils sont bien lestés. Il ne se passe pas grand chose dans le balda. Rien de nouveau sous le soleil de Bernanos. Le morceau titre ouvre le bal de B et fait la différence avec son joli départ de be my demolition demon/ Come and rob me off my reason. C’est une grosse compo, avec une mélodie chant.

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             En 2005, un nouvelle bombe atomique tombe sur l’Europe : Nothing Is Straight In My House. Chris Bailey retourne au sources du Sainty punk, et ce dès «Porno Movies». Il est entouré d’une équipe de démolisseurs. Il veut rétablir le Saint Empire des Saints et lègue à la postérité un bien beau blast. Le fan n’aura guère le temps de souffler sur cet album, tout est dégringolé de prime abord et en particulier le morceau titre. Le seul au monde à pouvoir faire du heavy Saints, c’est Chris Bailey. Sa heavyness confine au génie pur - I ain’t coming back - Même lorsqu’il creuse sa tombe, ça l’amuse - I’m digging a hole/ Do you want to join me in ? - C’est sa façon d’annoncer qu’il want to rise again («Digging A Hole»). Il amène «Paint The Town Electric» au beat glam. Sa voix continue de résonner dans les profondeurs du rock. Il chante jusqu’à l’overdose. Nouvelle énormité avec «Taking Tea With Aphrodite», sans doute le meilleur gaga d’Europe, gratté aux meilleurs accords de l’époque, avec un chanteur qui ne peut pas s’empêcher de ramener sa sensibilité de troubled troubadour. Il trimballe encore son aristocratie dans «Garden Dark», jusqu’aux early hours, yeah ! C’est un hommage déguisé à l’«All Along The Watchtower» repris par Jimi Hendrix, des échos de guitare tirés de cette version mythique sonnent dans le creux de l’oreille. Il termine avec «Nothing Straight (Slight return)», amené au heavy sludge, c’est le sludge définitif des Saints, monté en épingle, sans doute en hommage à Ron Asheton, car voilà une dégelée fondamentale qu’emporte le courant.

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             Fort bel album que cet Imperious Delirium daté de 2006. Les photos de pochette sentent la misère, mais diable que de punch, et ce dès «Drunk Babylon», ce dragged-out wild punk blast. Pas de meilleure description de cette attaque frontale - One shot/ You get - avec un solo de gras double encapsulé dans le couplet chant ! Fucking blast de punk out. Ils ne sont que trois. Caspar Wijnberg bassmatique et Peter Wilkinson bat le beurre. Big Bailey calme le jeu avec «Declare War» - I you declare war on me/ Where shall I stand ? - Il nous épuise avec ses problèmes matrimoniaux. Il nous ramène à Paris avec «Trocadero», il chante à fleur de peau - Truckin’ down the Trocadero - C’est une absolue merveille, suivie d’une autre merveille, «Je Fuckin’ T’aime», même s’il joue avec les clichés de motor bike et d’all night long, il rafle la mise, et en plus il s’amuse avec la langue - Je fucking t’aime/ Plus belle chanson/ On y va mes enfants/ I think I kown what you want/ Alright ! - En se moquant du rock, Chris Bailey fait du génie pur. Il reste dans le Big Bailey avec «Other Side Of The World» et reprend le fil de son autobiographie avec «So Close» - So close to breaking down/ So low/ I was living underground/ Stepping out/ Out into the town/ With nowhere left to go - Encore une vraie déboulade des Saints avec «Drowning» - Me and Alex Harvey are feeling good/ But we are drowning - Il envoie tout balader à coups de wah - With Keith Moon in a motor boat/ Driving through the Hilton Hotel/ Still drowning - Puis il revient au heavy punk des Saints avec «Enough Is Never Enough», il l’allume, enough is never enough, c’est gratté dans l’épaisseur du gras double, with music ringing in my ears. Il semble avoir laissé tomber les balladifs cacochymes. Il embarque son «Learning To Crawl» au Bailey drive - C’mon plant my flag in the burning sands/ And wait for it to come to me - C’est vite balayé par du solo d’outer Saints. Il termine avec «War Of Independance» en mood heavy Saints - See you theer/ Who knows - Ce sont quasiment ses adieux.

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             Le dernier album qu’enregistre Chris Bailey en 2012 s’appelle King Of The Sun. Au dos de la pochette, on le voit assis. Il porte un petit bouc. L’écoute est spéciale, car il s’agit apparemment des derniers enregistrements de cet homme qu’on a depuis le début admiré et même adulé. Bon alors autant le dire tout de suite, ce n’est pas un grand album. Le morceau titre et «A Millions Miles Away» restent du Bailey classique, avec les trompettes à la sortie et toujours cette grosse présence vocale. Il reste égal à lui-même. Les deux cuts qu’on sauve sont «All That’s On My Mind» et «Mini Mantra Pt1». Il lance le premier au hey now - Hey now/ Don’t think that this is over - Il lance un pont sur la rivière Kwai - Hey now/ I knew you would never believe me - Avec le Mini Mantra, il perd encore la tête - Where is my mind - Retour à la heavyness, c’est joliment tourné et un killer solo s’étale dans la durée. Voilà un cut digne des early Saints. Dommage que le reste de l’album de soit pas de ce niveau. Adios Chris Bailey, tanks for the ride !

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             Allez, une dernière tournée pour la route, avec cette grosse compile parue en 1999, 7799 Big Hits On The Underground. On la ramasse surtout pour les deux portraits de Chris Bailey qui apparaît maquillé, fard vert sur les paupières et rouge à lèvres. Il rédige aussi un petit texte à l’intérieur. Cette compile permet de revisiter tout l’art sacré des Saints. Le seul défaut est l’absence de leur version de «River Deep Mountain High», parue sur le fameux double 45 t, One Two Three Four. Ça commence avec l’incontournable «(I’m) Stranded», puis «No Time» et on saute dans l’explosion thermonucléaire de «Know Your Product». On connaît tout ça par cœur, mais chaque fois qu’on l’écoute, le cœur bat la chamade comme au premier jour. Rien de plus punk que ce Product. Peu de groupes ont su développer un tel power. «No Your Product» est aussi de la dynamite, comme chacun sait. Chris Bailey y est emporté par la vitesse du long long time. Et puis tiens, voilà cette version démente de «Save Me», tirée de Prehistoric Sounds. Quelle violence ! Il fond comme une tablette de chocolat blanc entre les cuisses d’Aretha - Save me/ I want you to save/ Me - C’est l’apanage des Saints, la Soul-punk de save me right now. On retrouve plus loin l’intro légendaire de «Ghost Ships». Comme c’est un double CD, tu as quarante cuts, alors t’as qu’à voir. On tombe à la fin du disk 1 sur une version absolument démente de «Simple Love». Le disk 2 repart de plus belle avec tous ces standards que sont «Temple Of The Lord», «Grain Of Sand», où il chevauche un dragon en tête de la brigade légère, puis revient la grosse prestance de «Before Hollywood» et plus loin, on retombe nez à nez avec l’effarant «Howlin», un cut alarmant d’excelsior pathologique. Ça fait du bien d’entendre ça une dernière fois, get the fuck out, Chris Bailey s’y montre assez définitif. On redécouvre aussi cette merveille qui s’appelle «Only Dreaming», c’est vite fait bien fait, good day/ ay/ ay - And Christ I was only dreaming - Explosif ! Son yeah est encore une preuve de génie, il tape encore une fois dans le twilight. S’ensuit l’implacable «Fall Of An Empire», dont on a déjà dit si grand bien. Il atteint là le sommet de son art, le sommet du smart, de l’I don’t care et du close your eyes. Boom ! Redécouverte encore de «Good Friday», tout repose sur le cataplasme de la voix, il a une façon de retomber sur l’accord qui est unique au monde, tu peux tâter le flesh du Good Friday. Ah il faut le voir articuler tout ça. S’ensuit l’abominable «What Do You Want» claqué au early power des Saints. Chris Bailey entre dans la danse avec une sorte de bienveillance. Il s’inscrit dans la mythologie des Saints, c’est-à-dire la sienne, et soudain le chant prend feu, yeah ! Encore une compile qui va toute seule sur l’île déserte. 

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             En marge de Saints, Chris Bailey a enregistré quelques albums solo, qui à l’époque firent bien fantasmer les fans, à commencer par Casablanca. En réalité, il ne s’y passe pas grand-chose. Chris Bailey continue d’y explorer le labyrinthe des aléas relationnels avec «Rescue» - I want you/ To rescue me - Il fait un peu de heavy blues avec «Insurance On Me» - You know I love you baby/ You know I love you true - et l’album décolle en fin de balda avec «Curtains». Il ramène une guitare électrique dans le heavy battage de curtains et ça prend tout de suite une certaine ampleur. En B, il tape une version acou de «Follow The Leader» qu’il sature de guitares. 

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             Paru en 1984, What We Did On Our Holidays est un album live enregistré lors d’une tournée australienne. On y trouve des covers superbes, comme par exemple le «Bring It On Home To Me» de Sam Cooke. Chris Bailey jette tout son poids dans la balance. Il enchaîne avec un autre classique de la Soul, «I Heard It Through The Grapevine». Il adore les grands hits black, cette fois il attaque à l’insalubrité délinquante du garagiste, c’est très gonflé de sa part, il faut le voir malaxer les syllabes de la Soul - Oh I’m just about to lose my mind - Il y a un solo de trompette sur le tard du cut. Il fait aussi une belle version d’«In The Midnight Hour» et pique une crise de fast rock’n’roll avec un «All Night Long» digne de figurer sur Eternally Yours. Il se prend au jeu, frise l’égosillement et lance de fabuleuses nappes de cuivres. C’est aussi sur cet album qu’on trouve sa belle version d’«Amsterdam». Le voilà sur les traces de Bowie et de Scott Walker !

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             Très beau portrait du Big Bailey sur la pochette de Demons, paru en 1990. Il a des faux airs de Russell Crowe. Le stand-out track de l’album s’appelle «Bridges», gratté aux heavy chords de walking down the boulevard. Il pose bien les éléments du pathos, c’est le roi du genre, le prince des pâtés de pathos - There are no more bridges/ To burn/ No more lessons/ To learn - C’est heavy, brillant et mélodiquement parfait. Avec le morceau titre qui ouvre le bal des vampires, il déblaye la place. Il arrive comme un roi dans un palais qui est sa musique. Il étale ses lyrics à la face du monde. Il le fait avec un aplomb assez rare dans l’histoire du rock anglais. Et toujours les fucking trompettes ! Il adore ça ! S’ensuivent des cuts assez problématiques, le pauvre Bailey se fourvoie dans le radio friendly («Return To Zero») et avec «Fade Away», il continue de jouer sa carte d’aristocrate perdu dans les montagnes. Retour au heavy power balladif avec «Running Away From Home», c’est bardé de son et d’intentions. Il rend deux hommages sur set album : «Edgar Allan Poe» et «Marie Antoinette».

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             Toujours dans sa période New Rose, Chris Bailey enregistre Savage Entertainment en 1992. Deux raisons essentielles d’écouter cet album : le morceau titre qui relève du coup de génie et «Do They Come From You» qui relève du big atmospherix. Oh ces climats ! Big Bailey est très impliqué dans l’expression de sa grandeur, il flirte en permanence avec le génie, il maintient la pression par derrière avec des trompettes. Oh il adore les trompettes, surtout les trompettes de la renommée. Quant au morceau titre, c’est un hit - We all need some savage entertainment - Il pousse bien le bouchon, ça vire à l’énormité - I’m not satisfied with my electric whore - Encore une fois, il opte pour le décervellement - To take my brain away - «What Am I Doing There» sonne comme un ressac, il plonge dans ses incertitudes et reste mélodique - Don’t make me disappear/ I could get lost - La perdition est son thème de prédilection. Tout est très littéraire chez Big Bailey, c’est sa nature profonde. Il ramène de l’accordéon dans «Road To Oblivion» et redevient le troubled troubadour le temps d’un «Key To Babylon». Son «Hotel De La Gare» est purement autobiographique, ça se sent au sipping brandy/ on the balcony et à l’early morning madness. Il joue tous ses cuts au heavy gratté de poux. Il façonne une esthétique de l’underground parisien des années 90. Il va toujours chercher l’utter et il pose sa voix comme un cataplasme sur son gratté de poux. Il l’étale bien, sa voix, comme s’il utilisait une spatule, il tartine jusqu’au bout de la nuit.

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             On sent une petite baisse de tension sur 54 Days At Sea paru deux ans plus tard. Rien ne change sous le soleil de Bailey, il ramène son vieux pâté de pathos. Il s’en va se noyer au large avec sa belle voix profonde, il reste dans son sempiternel système de désespérance. Il fait un peu de heavy pop avec «On The Avenue», il chante d’une voix claironnante et dans «Unfamiliar Circles», son it’s alrite est toujours égal à lui-même - I’m only wandering round/ In unfamiliar circles - Avec «Drowned In Sound» il passe au heavy mid-tempo et propose avec «She Says» une belle dégelée de fin de non-recevoir. On est difficilement admis à entrer dans cet album. Il termine avec «In The Desert». Le voilà paumé dans le désert, comme l’avenir du rock. Il va son chemin, c’est tout ce qu’il lui reste à faire. Why the music is so loud ? Il s’en sort toujours avec son grain de voix. Il imprime l’imprimatur du rock underground, mais au fond, il doit être furieux d’être resté underground, sans un rond.

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             En 2011, on vit apparaître dans les bacs une étrange pochette blanche sur laquelle figurait le dessin d’un homme portant un masque de tête de cheval, et au dessus, dans une étiquette noire était portée la mention «Chris Bailey & H. Burns. Stranger.» En fait, il s’agit d’un album collaboratif, chacun chante ses cuts, les coquins alternent, Chris Bailey d’un côté et un certain Renaud Brustlein de l’autre. Bon d’accord, ce mec chante bien, mais on n’est pas là pour ça. On est là pour Chris Bailey, qui, fidèle à sa vocation de poule aux œufs d’or, nous en pond quelques uns, cot cot, à commencer par un «Visions Of Madonna» qui n’a rien à voir avec Johanna. C’est du classic Sainty sound, avec le beau swagger d’accords princiers. Il boit encore du vin - I took a drink/ The wine tasted like water - Il revient plus loin avec l’excellent «Muse» - I got a bitter sweet companion/ That girl is everything I need - Puissant coup de Bailey ! Il nous en pond encore deux en B, cot cot, dont un amusant «Hey You» où il bâtit un couplet entier avec ses vieux clichés Sainty : ghost ship, a perfect day, don’t send me roses, I could be stranded et il plonge vers la fin dans le big atmospherix d’it’s all too crazy now. Il termine avec «Stranger». On note une certaine majesté. C’est le mot clé de Chris Bailey.

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             Pour aller vite, on peut se contenter d’une bonne compile de Chris Bailey : Encore, car on y retrouve «Savage Entertainment» (quasi-Dada, il se marre et fait jouer un accordéon), «Just Like Fire Would» (swamp de la rue Sarrazin), «The Prisonner» (Avec Ed), et les vieilles reprises de What We Did On Our Holidays, «In The Midnight Hour» et «Amsterdam». Comme souvent dans ce type de compile, on trouve des inédits et là attention, ce sont des petites bombes, à commencer par une version de «Can’t Help Falling In Love With You», fantastique hommage à Elvis, un véritable objet d’art. On en trouve même un autre : «Suspicious Minds», hommage d’un géant à un autre géant - Oh what can you see/ What you’re doing to me - C’est du mythe à l’état pur, Big Bailey navigue à la même hauteur qu’Elvis, avec des moyens plus modestes. Il tape aussi une version mirifique d’«I Hear You Knocking», c’est le ballsy Bailey qui revient - I hear you knocking/ But you can’t come in !    

             En mémoire de Jean-Jean, brillant émule de Chris Bailey. Repose enfin en paix, mon pauvre vieux.

     

    Signé : Cazengler, Chris Balai

    Saints. (I’m) Stranded. EMI 1977

    Saints. Prehistoric Sounds. Harvest 1978

    Saints. Eternally Yours. Harvest 1978

    Saints. Paralytic Tonight Dublin Tomorrow. New Rose Records 1980

    Saints. The Monkey Puzzle. New Rose Records 1981

    Saints. Out In the Jungle. New Rose Records 1982

    Saints. A Litlle Madness To Be Free. New Rose Records 1984

    Saints. Live In A Mud Hut. New Rose Records 1985

    Saints. All Fools Day. Polydor 1986

    Saints. Prodigal Son. Mushroom 1988

    Saints. Howling. Blue Rose Records 1996

    Saints. Everybody Knows The Monkey. Amsterdamned Records 1998

    Saints. Spit The Blues Out. Last Call Records 2000

    Saints. Nothing Is Straight In My House. Liberation Music 2005

    Saints. Imperious Delirium. Wildflower Records 2006

    Saints. Live At The Pig City Brisbane 2007. Shock 2009

    Saints. King Of The Sun. Highway125 2012

    Saints. 7799 Big Hits On The Underground. Last Call Records 1999

    Chris Bailey. Casablanca. New Rose Records 1983

    Chris Bailey. What We Did On Our Holidays. New Rose Records 1984

    Chris Bailey. Demons. New Rose Records 1990

    Chris Bailey. Savage Entertainment. New Rose Records 1992

    Chris Bailey. 54 Days At Sea. Mushroom 1994

    Chris Bailey & H. Burns. Stranger. Vicious Circle 2011

    Chris Bailey. Encore. Last Call Records 1995

    Duncan Seaman : Wild about you. Vive Le Rock # 89 - 2022

     

    L’avenir du rock

     - John Paul Keith et les autres (Part Two)

     

             Bien malgré lui, l’avenir du rock se retrouve coincé pour le week-end dans une maison de campagne avec des amis de longue date. Il savait bien au fond de lui qu’il valait mieux décliner cette invitation. Mais dans la vie on ne fait pas toujours ce qu’on veut. Comme l’un de ces fameux amis insistait lourdement, prétextant que les autres pourraient lui en vouloir de faire faux bond, il a fini par céder. Alors vous connaissez bien ce type de situation : ça commence en général par l’«apéro dînatoire» du vendredi soir censé établir les fondations d’une convivialité à toute épreuve, puisqu’elle va devoir durer 48 heures. C’est atrocement long 48 heures quand il faut écouter des gens qui n’ont rien à dire et qui bavachent à longueur de temps. Ne parlons pas des grosses épouses réactionnaires ! On boit, on mange, on entend vaguement de la musique sans jamais savoir ce que c’est, un chat amputé du cerveau n’en finit plus de miauler pour réclamer des bouts de viande alors qu’on est à table, ça parle bien sûr de choses vues, oh pas celles de Victor Hugo, non, celles de la télé, ce poison moderne qui ramollit les cervelles au point qu’on les entend faire flic floc dès que ça bouge un peu pour servir le pinard, et puis François coupe le gigot, alors pour alimenter la conversation, Paul demande à Juliette si elle n’a pas un autre couteau, puis chacun ramène son petit grain de sel sociologique, à commencer par Paul qui prend sa meilleure voix de maître à penser du Quartier Latin pour déclarer : «Ceux qui n’ont pas d’argent ils n’ont qu’à s’arranger, ou pour en avoir ou pour s’en passer», ce qui ne plait pas à ce vieux militant d’extrême gauche qu’est Vincent qui lui jette son verre à la figure, alors Paul arrache l’os du gigot des mains de François et frappe Vincent à la volée, faisant gicler des dents jaunies qui vont rouler sur le chêne massif de la table de ferme en faisant cling clong, et l’avenir du rock observe la scène avec une compassion mêlée de dégoût, se répétant à longueur de temps qu’il n’est pas bon de vieillir, que ça rend les gens décidément très cons, et que de toute façon la vie est ainsi faite, et qu’il va falloir trouver un prétexte pour mettre les bouts, quitter cette assemblée pathétique, tout juste bonne à servir de prétexte à l’une des divagations scénaristiques d’un réalisateur des années soixante-dix. Une fois calmés et dessoulés, Vincent, François, Paul et les autres se rabibocheront, mais sans l’avenir du rock qui leur préfère définitivement John Paul Keith et les autres.

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             John Paul Keith ? Pas de problème. Cet excellent Memphis cat fit une première apparition en Normandie en mars 2019. Le voilà de retour pour une deuxième apparition.

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    Il joue en trio, accompagné par un jeune bassman new-yorkais et un jeune beurreman bostonien. Ils jouent la carte du tight triumvirat. Pendant 90 minutes, ils règnent sans partage sur l’empire des sens. Ils sont pro jusqu’au bout des ongles et se payent le luxe de passer par toutes les fourches caudines, celles du rock, de la pop, du jazz, du groove, du heavy groove, de la southern Soul, du Texas swing, du Memphis beat, du jumpy jumpah. Ils jouent tout ça les doigts dans le nez, avec une aisance confondante qui nous laisse comme deux ronds de flan, c’est même parfois trop beau !

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    Énorme boulot pour le public que de se montrer digne d’un tel ramshakle. On appelle ça l’inversement des rôles. Ça se produit de temps en temps : on croit assister au spectacle d’un petit mec tombé là par le hasard des tournicotages et on se retrouve à deux mètres d’un très grand artiste qui en plus ne la ramène pas. C’est peut-être ça qui perturbe le plus la compréhension du Français moyen : zéro frime chez John Paul Keith. Il donne une espèce de leçon de maintien sur scène, il montre comment on peut être virtuose et rester normal dans son comportement, jamais de grimaces, jamais de posture, pas la moindre faute de goût, ce mec est à sa façon un dandy du Memphis beat et en matière de rebondissements mirifiques, il est prolifique.

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    Comprenez qu’avec John Paul Keith on est à l’exact opposé des Clapton et des autres rois du m’as-tu-vu. Il tape en plus dans un répertoire riche et varié, il rend des hommages spectaculaires à des gens aussi divers que Dutronc, Don Bryant et surtout Buddy Holly dont il restitue avec une délectation non feinte le crazy power. Par souci d’identité, les groupes et les artistes s’enferment généralement dans un style musical. John Paul Keith fait exactement le contraire, il va dans tous les styles, mais avec une unité de ton : le son extrêmement incisif d’une Tele pailletée. Ses solos sont tous vivaces et classiques à la fois, il fait honneur aux géants du jump avec des progressions d’accords qu’on croyait réservées aux big bands des années 50, il recrée ces fantastiques climats avec une section rythmique qui joue la carte du minimalisme, et, n’ayons pas peur des grands mots, ça devient littéralement fascinant. Ils se payent même le luxe du big atmospherix par le seul jeu des dynamiques internes.

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             Il tourne en Europe pour la promo de deux nouveaux albums, The Rhythm Of The City et un album live, A World Like That. Live At B-Side. L’album studio est enregistré et mixé par Scott Bomar qui a repris le flambeau du Memphis Sound (Electraphonic) avec Boo Mitchell (Royal Studios). Dans sa passionnante autobio, Howard Grimes rendait hommage à Bomar : «Je ne suis pas en colère après Hi, ni après Stax, but Scott Bomar at Electraphonic est la seule personne qui m’ait payé rubis sur l’ongle. Ça m’a choqué qu’il me paye pour la session de Cyndi Lauper. Il a juste dit que je le méritais. Bosser avec Scott, c’est un peu comme bosser avec Willie Mitchell. Electraphonic is the only place left that feels like the glory days.» On est donc entre gens sérieux. Écouter le dernier album de John Paul Keith c’est exactement la même chose que d’ouvrir le dernier livre de Robert Gordon - Robert Gordon ? Oh he’s a friend of mine, lâche John Paul Keith avec un grand éclat de rire - Il démarre The Rhythm Of The City avec un vieux groove de round midnite in Memphis, «How Can You Walk Away». John Paul Keith chante au petit sucre candy, soutenu par des chœurs de filles fabuleuses et il passe son solo dans l’écho du temps, mais pas n’importe quel écho du temps, mon gars, celui de Memphis, cet écho mythique qui résonne encore dans les disques Sun. «The Sun’s Gonna Shine Again» sonne comme un coup de génie. John Paul Keith s’en va groover sur le côté ensoleillé de la rue (hello Gildas), et comme Jimmy Webb, il est on his way. On a là une pop incroyablement lumineuse, oui John Paul Keith a du génie, il dégouline de facilité, il retombe sur le shine again avec la souplesse d’un chat, logique pour un Memphis cat, c’est une merveille, well I know, il s’explose littéralement dans la clameur d’un summer day in Memphis. S’ensuit le morceau titre, un heavy groove de qualité supérieure, si infiniment supérieure. Même si on connaît ce son par cœur, on sent bien qu’il existe une différence de niveau. C’est un peu comme quand on écoute Lazy Lester ou Ted Taylor, ce n’est jamais tout à fait la même chose. Quand il part en mode rock’n’roll avec «Love Love Love», John Paul Keith se paye le luxe d’un gros virage jazzy. Quand il tape un power-groove («Keep On Keep On»), il s’infiltre dans le drive par tous les trous. Son «I Don’t Wanna Know» est une pop de Southern Soul à la Dan Penn et son «Ain’t Done Loving You Yet» rend à la fois hommage à Big Star et à Buddy Holly. Il en restaure le double éclat, c’est très étrange, il a une façon très personnelle d’exploser la pop. Puis il rend hommage aux géants du jump avec «If I Had Money». Il est rompu à toutes les disciplines, il sonne exactement comme Pee Wee Crayton ou Amos Garrett, il vaut bien tous les cracks du jack, il se veut clean dans le clear, il joue dans les règles du meilleur lard avec du shuffle d’orgue et des coups d’horn claqués derrière les oreilles du beignet, ces mecs jouent avec tes nerfs, méfie-toi, ils sont beaucoup trop bons pour être honnêtes. Et pour boucler cet album qui te cale dans ton fauteuil pour mieux t’emporter la tête, il envoie «How Do I Say No», un heavy mix de real deal, de groove et de tell me tell me save me girl, John Paul Keith est un seigneur des annales du groove, un binoclard de génie comme le fut Buddy avant lui, il a du son, il a Bomar, il a sa stature et il finit en mode Dan Penn.

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             Et voilà A World Like That. Live At B-Side, un bien bel album live qui sert d’écrin à cette absolue merveille qu’est l’«How Can You Walk Away» tiré de The Rhythm Of The City. John Paul Keith y groove le chant de l’intérieur du menton. Il tape le «Something So Wrong» d’ouverture de bal au heavy groove, vite fait bien fait, avec toute la mécanique des relances de la prescience, il chante comme Buddy et c’est extrêmement excitant. Il tire aussi l’excellent «The Sun’s Gonna Shine Again» de The Rhythm Of The City et laisse son groove partir en balade. Ça devient assez magique, comme exposé au soleil de Jimmy Webb. Les cuivres recuisent cette merveille. Ah il faut le voir plonger à la voix de Memphis cat dans le lagon d’argent du Memphis Beat ! Sur «The Rhythm Of The City», il fait pas mal d’étincelles. Les éclats d’accords qui brisent le rythme sont ceux des Beatles. C’est là que John Paul Keith pique sa crise hendrixienne et il pousse le bouchon si loin qu’on le perd de vue. L’autre stand-out track est le final cut «How Did I Say No» qu’il prend en mode big band - What I was supposed to do ? - Il a raison de se poser la question. C’est à ce genre d’éclat qu’on mesure le génie de ce petit mec. Un détail qui vaut son poids d’or du Rhin : John Paul Keith dédie l’album à Howard Grimes : «In loving memory of Howard Grimes. 1941-2022. THE REAL RHYTHM OF THE CITY.»

             Merci à la Nouvelle Machine qui nous aide à enterrer le souvenir de Pandemic.

    Signé : Cazengler, Jean Pauv Kon

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    John Paul Keith. Le Trois Pièces. Rouen (76). Le 2 mai 2022

    John Paul Keith. The Rhythm Of The City. Wild Honey Records 2021

    John Paul Keith. A World Like That. Live At B-Side. Wild Honey Records 2022

     

     

    Inside the goldmine

    - Quand le Kevin est tiré, il faut le boire

           En France, on transforme aisément un Jean en Johnny, mais attention, ce n’est pas forcément le Johnny qu’on croit. Non, ce Johnny-là se réclamait de Johnny Thunders, pas du Johnny national. Il tenait à le préciser pour éviter les incidents diplomatiques. Et comme il était d’un naturel batailleur, il valait mieux les éviter. Johnny commit à l’époque de ses 18 ans une fatale erreur : il s’engagea dans l’armée, persuadé qu’il allait pouvoir partir à Tahiti, mais il fut envoyé dans un camp d’entraînement de parachutistes, quelque part dans le Sud-Ouest. Il voulut bien sûr démissionner mais on le roua de coups ce qui le convainquit de rester dans le rang. Garde à vous ! Six mois plus tard, la cervelle bien lavée, il débarquait au Tchad et participait aux missions de nettoyage des villages qui soi-disant alimentaient la guérilla. L’armée utilisait toujours les anciennes méthodes, celles des guerres d’Algérie et du Vietnam : éradication des populations soupçonnées de soutenir l’ennemi. Alors Johnny obéissait aux ordres. Pour ne pas devenir complètement fou, il écoutait chaque nuit la seule cassette qu’il avait emportée dans son paquetage, celle du premier album des New York Dolls. Lorsqu’il fut démobilisé, il n’était bien sûr plus le même. Il se remit à porter son vieux perfecto et nous découvrîmes qu’il planquait dans sa botte un couteau de combat. Dès qu’il croisait un noir dans la rue, il sortait son arme et nous n’étions pas trop de quatre pour le ceinturer et le ramener au calme. Certaines nuits de beuverie, il cherchait une épaule compatissante pour y pleurer à chaudes larmes. «Quand le vin est tiré, il faut le boire», disait-il, à quoi il ajoutait : «Jusqu’à la lie», pour que la métaphore soit bien compréhensible. Il ne s’est bien sûr jamais remis de cet épisode méprisable et il passa le restant de sa vie à tenter de concilier l’inconciliable, c’est-à-dire le quotidien et ses souvenirs. Il fondit une famille, vit de nombreux psychiatres, reprit du service dans un groupe de rock et finit enfin par perdre la boule pour de bon.

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             Le destin de Kevin Junior n’est pas beaucoup plus joyeux. Luke la main froide nous rappelle dans sa column que cet Américain basé à Chicago rencontra à une époque Nikki Sudden et Epic Soundtracks, qu’Epic et lui devinrent inséparables et qu’il cassa sa pipe en bois relativement tôt, à 47 ans, non pas à cause du Tchad mais de l’hero. La main froide situe donc le petit Kevin comme the final part of the Nikki Sudden-Epic Soundtracks axis of burning talent and horrible early death. Avant d’aller s’installer à Londres pour bosser avec son pote Epic, le petit Kevin avait enregistré deux albums avec son groupe, the Chamber Strings. La main froide se montre élogieux avec ces deux albums - The culmination of his influences (Carole King, Alex Chilton, Brian Wilson, power pop, country, gospel, blue-eyed soul, the Go-Betweens) - et donc, on se fait un devoir de les écouter, car ce sont des influences qui font baver.

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             Le premier date de 1997 et s’appelle Gospel Morning. Big, big, very big album, c’est enregistré à Chicago mais dès «Telegram» on se croit en Angleterre. Le petit Kevin et ses amis proposent une pop brillante, ils sont les rois de l’anglicisme, on se croirait dans la roulotte de Ronnie Lane. Le petit Kevin joue la carte des renversements mélodiques avec «Everyday Is Christmas», bam bam bam, ça regorge d’excellence, les descentes de chant sont superbes, la main froide a raison de s’émouvoir. Le petit Kevin dispose de pouvoirs surnaturels, comme le montre encore «Dead Man’s Poise», il tire son Dead man dans la psychedelia à coups de retours de manivelles et ça devient vite énorme. Globalement, c’est trop anglais pour être honnête, ces mecs louvoient au pied des falaises de marbre, power absolu & pureté mélodique, voilà les deux mamelles du petit Kevin. Il abat «The Race Is On» aux power chords. Quel allant et quelle allure ! Il fait son Nikki avec «All Of Your Life», c’est tellement Nikké que ça casse la baraque. Il passe directement au coup de génie avec «Cold Cold Meltdown», encore très Nikké dans l’esprit, c’est un balladif jacobite bien embarqué aux guitares, avec des échos de Sway dans le son, d’où l’intensité de la Stonesy. Quand on écoute «Thank My Lucky Stars», on pense immédiatement aux pleins pouvoirs. Le petit Kevin se les octroie tous, il a le répondant d’un magicien, il est exactement dans la même veine que Nikki : la romantica dans ce qu’elle peut offrir de plus jouissif. Ses balladifs sont visités par les esprits, tout est traité dans la dignité du big sound. Dans les bonus se trouvent une reprise du «Baby It’s You» des Shirelles repris par les Beatles et Johnny Thunders, puis d’«I Pray For Rain» de Dan Penn dont le petit Kevin est un fan transi.

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             Le deuxième album date de 2001 et s’appelle Months Of Sundays. Le petit Kevin apparaît à la fenêtre, sous un parapluie. Il rend deux hommages pour le moins spectaculaires à Brian Wilson : «The Fool Sings Without Any Song» et «Beautiful You». Il va vite au sucre avec le premier,  il connaît tous les secrets du swagger des Beach Boys. Il est d’un niveau qui se situe au-delà des niveaux. Il tape dans l’exergue d’excelsior. Ce que confirme «Beautiful You». Direction Pet Sounds, il avoisine la pire excellence instrumentale, celle de Pet Sounds. Il tape encore dans une pop de rêve avec «Last Lovers». C’est tout de suite parfait. Il semble plonger dans la pop avec une obsession superbe, sa pop jaillit comme une fontaine, une pop qui rivalise en qualité et en pureté avec celles de Brian Wilson et de Todd Rundgren. Il rôde bien, trop bien. Cette pop est tellement parfaite qu’on dresse l’oreille. Il drive le groove d’«It’s No Wonder» à la Junior pour en faire une merveille absolue, il sait groover à l’infini et se faire orchestrer. Ah qui dira la violence de son excellence ? Il est partout et il est bon, il est plein de son et plein d’esprit. Il attaque la pop de «The Road Below» comme le ferait Nikki, même poids jeté dans la balance, même élégance du gratté de poux. Il taille encore bien sa route avec «Our Dead Friends» - Our passing friends - et termine avec une version acou de «Last Lovers», histoire de montrer un peu mieux à quel point cette chanson est parfaite. Le petit Kevin navigue dans son rêve d’excellence, il faut s’abandonner à lui.

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             Il existe aussi une petite compile parue sur Sunthunder, le petit label espagnol qui hébergea Kuss en fin de parcours. Comme les deux albums des Chamber Strings, Ruins (A Collection Of Rareties B-sides & Outtakes) vaut à la fois le détour et le rapatriement. On y trouve un hommage superbe à Johnny Thunders, «It’s Not Enough», c’est en plein dedans, les guitares croisent au large comme des requins. D’ailleurs l’hommage à Johnny Thunders n’est pas innocent : ils ont un petit côté lookalike. Autre belle cover : «Whiskey In The Jar», clin d’œil à Phil Lynott, avec du solo à la coule de moule. Fantastique énergie. On croise aussi sa reprise du «Baby It’s You» des Shirelles, son «I Pray For Rain» de Dan Penn et on retrouve des cuts qui datent du temps de Chicago, comme «Thank My Lucky Star», «Dead Man’s Poise» gratté au raw to the bone, «Last Lovers» et un «Telegram» bardé de barda, absolument génial, car il tartine de la Soul dans sa pop. Le «Common At Noon» d’ouverture de bal date de l’époque de son premier groupe, The Rosehips. Le petit Kevin y chante au doux du chant sur des glissés de cordes à la Small Faces et des arpèges lumineux. Il prend son «Kevin Junior» par dessus la jambe et son «Ragdoll» qui date aussi des Rosehips est visité par des guitares extraordinaires. Tiens, voilà «Contact High» qui date de l’époque d’un autre groupe, Mystery Girls. C’est du Junior débouling, il arrive dans le chant comme un chien dans un jeu de quilles. Ce mec est une véritable aventure. Il monte sur tous les coups.

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             La main froide recommande aussi l’écoute de l’album posthume d’Epic Soundtracks, Good Things, enregistré chez Epic à West Hampstead en 1996, sur un quatre pistes, avec le petit Kevin - There are still a few copies out there. Seek one and you will never be without - C’est le petit Kevin qui écrit les liners en 2004. Il raconte que le projet est resté shelved, c’est-à-dire dans un placard pendant 8 ans. Il raconte aussi la tournée européenne qu’ils ont faite à deux et puis la mort d’Epic. No hard drugs, broken heart. Un mystère. Puis le petit Kevin se décide enfin à faire profiter le monde des démos enregistrées en 1996, il transfère les bandes sur Pro Tools et c’est ça qu’on entend sur le CD. Epic et lui font sur cet album du pur Nikki Sudden, c’est le petit Kevin qui gratte les notes fantômes d’«I Do Declare» et avec «Dedications», ils passent tous les deux à la wild psychedelia de West Hamspead, le petit Kevin gratte à l’ongle sec des solos qui vont se perdre dans l’air du temps. Avec «I Got To Be Free», ils créent une fabuleuse ambiance, avec des chœurs latents. Puis Epic craque «Maybe You’re Right» à la voix d’introspection tranchante et derrière lui le petit Kevin fournit les chœurs d’artichauts. Comme Fred Neil, Epic fait du lard puissant, il va chercher des valeurs avec «Good Things Come To Those Who Wait», il cherche l’envol. Encore de la pureté à gogo avec «House On The Hill», il retape dans le mille à l’accent tranchant, Epic est assez épique, c’est encore un privilège que d’entrer dans le groove d’Epic, dans cet excellent «A Lot To Learn». Il y développe un groove à la petite perfe de West Hampstead. Il termine avec «You Better Run», une vraie petite pop de better run, une pop anglaise qui ne mène nulle part mais qui a pour particularité d’être infectueuse.

    Signé : Cazengler, Kevin Geignard

    Chamber Strings. Gospel Morning. Bobsled Records 1997

    Chamber Strings. Months Of Sundays. Bobsled Records 2001

    Kevin Junior. Ruins (A Collection Of Rareties B-sides & Outtakes). Sunthunder Records 2009

    Epic Soundtracks. Good Things. DBK Works 2005

    Signé : Cazengler, Kevin Geignard

    Chamber Strings. Gospel Morning. Bobsled Records 1997

     

     

    MARLOW RIDER / ALICIA F !

    QUARTIER GENERAL

    ( Paris / 06 – 05 – 2022 )

     

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    Longtemps que je n’avais mis les pieds à Paris. Beaucoup de monde sur les terrasses des cafés, l’on sent que toute une jeunesse rattrape le temps perdu, cette joie de vivre est la meilleure introduction possible à un concert de rock’n’roll.

     MARLOW RIDER

    Heureusement que l’on était debout sinon c’était tout droit la chaise électrique. D’ailleurs Tony débute le set par Debout. Fred Kolinski est assis lui, royal derrière ses fûts, en grand ordonnateur du désastre, étrangement calme, imperturbable, manie le tonnerre avec flegme, vous déclenche l’apocalypse sans même feindre de s’intéresser à la conséquence de ses coups, sûr de lui, l’onde sonore qui embrase la scène témoigne pour lui.

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    ( Photo : Peter Dumber )

    Pas de panique, les deux autres oiseaux devant lui ont de la répartie. Chemise festive et regard sombre Amine Leroy slappe sans remord. Vous rentre dans la cathédrale sonique érigée par Kolinski comme s’il était chez lui, normalement il devrait être écrasé par l’ampleur de l’architecture, point du tout, Amine s’emploie à la consolider, à l’étayer méthodiquement par des rangées de piliers que ses slaps sèment comme des champignons géants à pousse rapide. Consolide l’armature.

    Elle en a besoin. Tony Marlow a sorti sa Fender blanche. Je dis blanc pour réunir en seul mot toutes les teintes que le balayage luminescent des spots lui prête Ne la ménage pas. C’est sur le troisième morceau, une attaque creaminelle de Sunshine of your love que l’on comprend que ce soir le marlou est dans une forme éblouissante. Va nous tisser toute la soirée des dentelles de pierres qui finissent par s’épanouir en vapeur mauve. Tous les yeux de l’assistance sont fixés sur ses mains. En pure perte d’ailleurs, à peine s’il bouge un doigt par-ci par-là, vous triture des riffs stalactites, vous tombent dessus comme des coups de massues préhistoriques sur des crânes de mammouths, ou alors vous verse dans les oreilles une friture de stalagmites qui s’évadent de vos tympans pour ricocher aux quatre coins de la pièce. La guitare de Tony a décidé d’habiter le monde. Vous y englobe dedans, crée l’atmosphère nécessaire à votre survie, vous emmène sur une autre planète où tout est plus beau, elle colorise vos rêves, élargit et allège vos pensées, vous emporte dans un ailleurs psychédélique. Les échos de la voix veloutée de Tony dansent devant vos yeux, des mots vous traversent comme des vols d’hirondelles venues de mystérieuses et lointaines contrées, elle nous envoûte, notre âme devient un paysage choisi.

    Marlow s’enfuit, à plusieurs reprises il descend de scène et d’une démarche chaloupée disparaît au fond de la salle, même pas besoin de le suivre des yeux, il suffit de les fermer pour voyager et voler dans l’astral des sonorités, quand il revient de ses escapades les riffs sont encore plus acérés, trempés dans l’acier des joies explosives.

    Ce qui est sûr c’est que le trio prend un plaisir fou à jouer. S’installent dans une sorte de démesure créatrice étonnante. Sont au taquet, nous offrent les morceaux du prochain album, les séances sont prévues dès le lendemain, ces nouveaux titres leur brûlent les doigts, sont partis, le set irradie une incroyable puissance, sont habités par une grâce titanesque.

    Z’ont dû jouer une heure et demie, Chris Theps ordonnateur des lieux fait un signe discret, ce sera le dernier morceau, Among the zombies, prémonitoire car lorsque la pluie de soufre et de feu se terminera, il ne nous restera plus qu’à retourner nous enterrer dans la tombe de l’existence quotidienne.

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    ( Cette photo appartient au set d'Alicia, elle est comme les trois ci-dessous de Franck Bonilawski )

    ALICIA F !

    Alicia F ! nous a refait le coup de la fusée d’Einstein, tant que vous êtes dedans tout est parfait, lorsque vous en sortez, vous vous rendez-compte que le monde a vieilli.

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    Au début de l’expérience, vous ne vous en doutez pas, tout semble normal, un groupe de rock comme on les aime, batterie, basse, guitare, le kit maximal de survie en zone urbaine. Fred Kolinski immobile, figé en une attitude papale, prêt à déchaîner la foudre de sa malédiction urbi et orbi sur l’assistance, Tony Marlow a échangé sa tunique contre un T-shirt et s’est muni en guise de trident neptunien de sa Flying V Gibson, arme redoutable pour les petits poissons que nous sommes, quant à Matthieu il arbore outre son T-shirt météorite en grosses lettres noires sur le corps de sa basse la meurtrière inscription, telle une revendication oriflammique originelle, la rune magique prête à ravir le cœur des adorateurs de Gene Vincent, Pistol Packin Mama…

    Elle se glisse à la manière furtive d’un mamba noir sur la scène, si ce n’est le rouge vipérin de ses lèvres, elle paraît inoffensive, profitez de ces quelques secondes de rémission, le temps de jeter un coup d’œil sur la setlist et de s’emparer du micro.

    Décollage immédiat. Le triangle bermudien qui l’entoure, les trois boosters de poudre noire, lancent tout de go l’impulsion sonique, mais l’ogive nucléaire c’est la voix d’Alicia.  Tout est donné d’emblée, l’attitude, le chant, l’accompagnement, cette extraordinaire coalescence du signifié et du signifiant, n’en déplaise aux grammairiens académiques, est au fondement du mystère du rock ‘n’roll. Ou vous y atteignez, ou vous restez définitivement hors-champ. Pas de juste milieu, le signe et le sens ne doivent former qu’un à la manière dont le poing et la frappe, le geste et l’intention, s’amalgament pour activer un uppercut.

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    Blitzkrieg Bop pour ramoner les consciences. Avertissement sans frais le set sera bop et point pop. Mais déjà nos yeux ne quittent plus Alicia. Elle n’occupe que l’espace de son corps. La main sur la pliure intime du pantalon de cuir, négligente et souveraine désignation du lieu métaphysique du rock ‘n’ roll, Alicia bouge selon l’immobilité rayonnante circonscriptionnelle de son corps, jamais un pas en-dehors de son aura de chair. Ramassée en elle-même, insaisissable, elle saute sur-elle-même, tressaute et sautille, la reine ne danse avec personne d’autre qu’elle-même. Auto-suffisante. S’adresse à nous par l’entremise de ses gestes vindicatifs, ses Hey oh !  Let’s go ! sont autant des appels que des mises en garde. Désirs et menaces. Alicia impose sa règle. Et ses règles, Montly Visitors, morceau saignant et bannière sanglante de sa féminité revendiquée, le rock appartient aux filles. Dans le dernier tiers du set, elle reprendra Cherry Bomb de Joan Jett, la garce qui aimait le rock’n’roll. Sur I wanna be your dog, elle sera louve lascive, allongée à terre, les jambes secouées de frissons-pâmoisons, la main tel un croc inquisiteur sur l’entrejambe de Tony, couchée à ses pieds, quémandeuse, exigeante, maîtresse de cérémonie.

    Les boys ne chôment pas. Assurent un accompagnement métronimique, les titres s’enchaînent, racés jusqu’à l’os, en offrent une épure quasi-idéelle, qui frôle la perfection, verbiage inutile, tout et tout de suite, pas d’oiseuses discutailleries, Matthieu allonge des notes noires, brèves et incisives, vous font une boutonnière au cœur chaque fois qu’elles vous percutent, Fred y va d’une percussion serrée, filigranique pourrait-on dire, une véritable machine à coudre, cogne des pointillés pour suivre le vocal d’Alicia qui ne laisse aucun répit, les mots se suivent, comme une file d’ours noirs sur la banquise mazoutée, surviennent en langue de serpent, à peine sortie que déjà rentrée dans l’oubli du gosier, l’auditeur attentif à la prochaine piqûre venimeuse d’un nouveau vocable knock outé, le Marlou se débrouille pour fourrer des soli étincelles, entre deux syllabes, économie de moyens et maximum de rendement auditif.  

    Une reprise pyramidale de Paranoid, car le rock côtoie la folie, I’m eigtheen – Alicia rencontre Alice au temps du lapin pressé de sa jeunesse – des originaux, un Kill ! Kill ! Kill ! assassin ou Skydog Forever en hommage vibrant à Marc Zermati.

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    Svelte et menue, Alicia, elle a tout compris, la simplicité et la subtilité, les racines et l’outrance, une enfant montée en graine de violence, une adolescente à la poursuite de ses rêves, une grande dame du rock ‘n’roll qui nous est née, et que nous attendions depuis longtemps.

    Damie Chad.

     

      

    WELCOME IN MY F… WORLD !

    ALICIA F !

    ( Damnation Records )

     

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    Alicia Fiorucci : lead vocals / Tony Marlow : guitar + Backing vocals / Fredo Lherm : bass + Backing vocals / Fred Kolinski : drums, percussions + Backing vocals

    Hey you ! : pas pour rien le poing d’exclamation, un, deux, trois, c’est parti, Alicia pose les limites, joyeusement en fille qui n’entend pas que l’on étende la marmelade sur ses tartines à sa place, elle y va gaiement, Kolinski se fait un plaisir de métamorphoser sa batterie en hachoir mécanique, et le morceau déboule à la vitesse d’un boulet de canon. Marlow se paye un court solo en fil de fer de barbelé, et vous n’avez pas fini d’apprécier que c’est déjà terminé. Beau bonbon acidulé, entre sucre et piment de Cayenne. Cherry bomb : deuxième affirmation féministe empruntée à Joan Jett, plus musclée que la première qui n’était pas spécialement un modèle de coolitude, ici nous avons droit à la perfidie hargneuse, ah ! ces tse ! tse ! tse ! de la langue aussi dangereux que le cliquètement d’une queue de crotale, Alicia chante avec le plaisir de celui qui pousse un rocher pour qu’il écrase son ennemi au bas de la falaise, pas sadique, sadien. Sachez entrevoir la différence. Freedom’s running : une chasse à courre, le renard s’appelle liberté, là n’est pas le problème,  au lieu d’alerter la SPA profitez de la galopade, Alicia en tête, vous conduit le vocal comme un traineau tiré par deux cents malamutes, et les boys n'y vont pas avec le dos de l’instrument, jouent comme si leur vie en dépendait, remarquez comment Fredo fronce les sourcils de la basse, l’occasionne ainsi de sacrées bousculades, le Marlou a chaussé sa guitare de sept lieues, et le Kolinski descend la pente sur ses skis, Alicia termine en tête. Même pas essoufflée. Du grand art.  N’empêche que ses trois premiers titres sont des empêcheurs de tourner le disque en rond. A peine en avez-vous écouté un qu’il vous faut retourner en arrière pour le réécouter. City of broken dreams : un peu de douceur dans ce monde de brutes, rien que le titre donne envie de pleurer, Alicia se sert de sa voix comme d’un archet qu’elle passe sur les fibres émotionnelles de votre coeur, de la guitare de Marlow tombent des larmes et les deux Fred se retiennent pour ne pas exploser. Une façon très américaine de poser la voix sur le refrain. Monthly visitors : c’est reparti pour une partie de quilles tirées au canon, Anita hisse sans pudeur et sans honte le drapeau rouge de sa féminité, femme jusqu’à son rouge à lèvres, Marlow en profite pour un solo écorché qui saigne, c’est tellement bon que l’on regrette que ces fameux visiteurs ne passent pas toutes les semaines. Speedrock ! : tiens une tonalité country, attention les cats, presque du rockatbilly, normal c’est un morceau à la gloire de Speedrock son chat qu’Alicia a recueilli tout petit et affamé aux abords d’un concert (de rock, est-il besoin de préciser), chant félin, et les boys lui concoctent un arrangement aussi glissant et ondoyant que les tuiles d’un toit sous un ciel pluvieux. Promenade idéale pour les matous. Because I’m your ennemy : Alicia sort ses griffes. Elle a raison, mais à la manière dont elle mord les mots l’on comprend qu’elle cherche la bagarre, d’ailleurs derrière les boys pressent d’un peu trop près l’assistance, l’est descendue dans la rue avec son gang et ça cagnarde sec, l’écoute de ce morceau est fortement déconseillée aux enfants pourraient avoir envie de devenir des blousons noirs une fois grands, surtout que la voix insidieuse d’Alicia et les bousculades tomiques de Kolinski sont très impressionantes. Silver fox : jusqu’à présent Alicia donnaient l’impression d’être contre tous, la voici tout contre un seul, un conseil n’y touchez pas, il pourrait vous en cuire parce que ce titre déménage sec, met autant de force à vouloir ce qu’elle veut qu’à ne pas vouloir ce qu’elle ne veut pas. Kill, kill, kill : un peu de politique n’a jamais fait de mal à personne, cette vision éruptive de notre monde se termine toutefois par un mot d’ordre sans appel, ne vous étonnez pas que ce morceau soit rentre-dedans, sur une rythmique bulldozer. Les killers ne sont pas toujours où l’on croit. Une conviction dans le chant qui emporte tour. Aileen : une balade en l’honneur d’Aileen ( Wuormos ), tueuse en série, une vie cabossée, dérangeante, prostituée, exécutée en 2002, dans l’esprit de certains morceaux de Bob Dylan, parce que parfois le rock sait être intelligent. Et courageuse. Gimme a break : profitons de ce titre pour souligner l’importance de l’utilisation des backing vocals dans ce disque. Ici Alicia s’amuse : une voix davantage de gorge sur certains passages afin de mieux faire remarquer la clarté de ses montées vers des aigus modérés. Un bon rock des familles disruptives, une véritable piste d’envol pour les musiciens qui bourrent très dur le mou. Skydog forever : une autre ballade, hommagiale adressée au maître de Skydog, Marc Zermati, une présence chère pour Alicia, sur la fin du morceau l’on entend la voix tutélaire du rock et du punk national et international. Osmose parfaite entre les jeux de voix et le tapis volant de soie pure que tissent les boys.

             Le premier album d’Alicia F est une petite merveille. Qui fera date. Une balade entre punk et country, mais quel que soit le genre abordé, toujours très rock ‘n’ roll.  Si Tony a composé les musiques, Alicia a écrit les lyrics, pas étonnant que le disque lui ressemble tant. Alicia trimballe et expose ses propres mythologies, c’est sans doute cela qui fait que cet album tranche par son authenticité comparé aux parutions du moment.  Alicia F, une foutue sensibilité rock ‘n’ roll !

    Damie Chad.

    P. S. : si vous avez lu la chronique il aurait été plus malin de commencer par ce post-scriptum qui reprend le très court de texte de présentation qu’elle a écrit : ‘’ Ca cause de pisse , de merde, de crevards, de sang de règles, d’une tueuse en série. Mais aussi de liberté, de l’amour à mon "Cat ", de monsieur Skydog et d’un chat mignon. En passant par les incontournables sentiments propres à la comédie humaine comme la jalousie, l'hypocrisie, la "faux cusserie. Welcome To My F... World" un album riche en émotions! " .

    C’est comme la couve, elle se passe de commentaire.

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    *

    Kreationist est un one man band, l’artiste qui le compose – notez la double polysémie de ce verbe - se présente sous le nom de Vidi. N’est pas seul sur les deux disques que nous chroniquons. L’a fait appel à un couple de jumeaux stellaires et tutélaires. Rimbaud et Verlaine, les Castor et Pollux de la grande lyrique françoise, indissociablement associés dans leur mort.

    Attention nous sommes ici dans les franges du metal, dans une de ces marches vers l’extrême qui semblent se fuir elles-mêmes pour mieux se retrouver dans le point d’ancrage de leur propre perte.

    INDULGENCE

    KREATIONIST

    ( Artic Ritual Records / 13 décembre 2019 )

    La couve pose problème. Certes l’identification du personnage est facile : Arthur Rimbaud, une de ses représentations les plus célèbres. Extraite de la toile de Fantin-Latour intitulée Coin de table parfois surnommée ( à tort ) Le dîner des vilains bonhommes. Sur les sept hommes représentés sur le tableau la gloire littéraire ne s’est attachée qu’aux deux premiers, le jeune Arthur ( le seul qui soit opportunément situé au coin de la table ) et son ami-amant Paul Verlaine. L’iconographie n’est guère mystérieuse. Le titre de l’album davantage. Disons que la notion d’indulgence semble de prime abord mal-appropriée pour évoquer de près ou de loin la personnalité de Rimbaud. Sans doute est-il emprunté à un article de Verlaine ( Arthur Rimbaud / Chronique ) dans lequel il récuse les accusations d’indulgence dont il aurait fait preuve envers Rimbaud dans un précédent papier, comme si ce Rimbaud qui a écrit des vers si extraordinaires avait besoin d’indulgence !

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    Les amis : le morceau finit comme il commence, des coups de batterie, ces coups de bâton qui ouvrent les pièces de théâtre et qui ici aussi indiquent la closure. Lever et baisser de rideau d’une fantasmagorie rimbaldienne. Ensuite la musique déroule ses anneaux tel l’anaconda originel des mythologies amazoniennes dont les violents coloriages des tatouages de la peau sont censés représenter le spectacle du monde, la voix de Vidi n’est pas divine, elle se fond dans la pâte sonore, les trois strophes du poème sont dites mais point énoncées, quel secret murmure-t-il entre les strophes, l’on ne perçoit bien que les phonèmes ‘’sa-ge’’ comme s’il s’agissait de détenir sans le divulguer le secret de toute sagesse poétique. Ce poème fait partie de l’ensemble de ces vers de Rimbaud écrits en l’année 1872, soit après Le Bateau Ivre qui date de 1871, faut-il les entendre après ses premières poésies comme une nouvelle tentative poétique de Rimbaud pour fixer tous les vertiges de ses sensations par le vers qu’il ne poursuivra pas et qu’il abandonnera au profit de la prose d’Une Saison en Enfer et des Illuminations… Faut-il expliquer le silence ultérieur de Rimbaud par justement ce constat qu’il fit de ne pas réussir à forger un vers à sa démesure et qu’il ait perçu l’adoption de la prose comme un échec encore plus mortifiant. Tête de faune : ces trois quatrains, un thème rebattu de la poésie française, n’ont rien de poétiquement révolutionnaire, à première vue, car sous la tête du satyre se cache la figure de Verlaine, cette apparition faunesque Vidi l’entrevoit selon une orchestration similaire au premier morceau, mais il est des notes qui klaxonnent et qui percent les tympans comme de joyeuses sonneries de cor enjouées, la voix légèrement moins basse, davantage audible même si dans le blanc qui sépare les strophes elle revient noyée sous un désordre orchestral, qui se déploie de plus en plus pour terminer en une espèce d’exultation finale. Pièce heureuse, l’on sent l’exaltation quasi érotique de l’adolescent Rimbaud. Vidi ne dit pas, il profère. L’esprit : fait partie de cette même et deuxième tentative poétique que Les amis. Cette fois c’est le vocal accentué et presque crié qui conduit la musique. Un chant de désespoir, Rimbaud clame l’inanité de ses anciennes visions de ces folies déréglées, n’en est pas moins brûlé de l’intérieur par une soif d’absolu qu’il lui est impossible d’étancher. Les mêmes coups violents de batterie que dans Les amis terminent le morceau. Jouent le même rôle que les coups du destin beethovenien dans la cinquième symphonie. Exultation romantique fracassée. La première soirée ( Part 1 ) : double changement d’atmosphère, tam-tam-bourinade quasi africaine, agrémentée d’un groove électrique induisant l’intrusion par rapport aux trois premiers poèmes d’une modernité musicale actuelle peu révolutionnaire, pour le texte on ne dira jamais assez combien le jeune Rimbaud est redevable aux odelettes de Théodore de Banville, l’on peut dire que le génie de Rimbaud a consisté à essayer de donner un sens métaphysique à la gratuité, donc insatisfaisante, du concept funambulesque mis en œuvre par cet ‘’aîné’’ prestigieux pour le jeune lycéen. Qu’est-ce que cette première soirée que le récit d’une idylle érotique entre une jeune demoiselle qui n’a pas peur du loup et un adolescent tout fier de jeter sa gourme… afin d’enlever à ce texte tout ce qui tient de l’exercice imitatif de style, Vidi mélodramatise le vocal, lui confère une dimension burlesque correspondant assez bien aux vantardises d’un jeune mâle qui de fait doit son triomphe davantage au bon vouloir de la jeune femelle qu’au rut présupposé sauvage de notre jouvenceau. Ne pas oublier que malgré   ses proclamations victorieuses Rimbaud est un maître de l’auto-dérision. La première soirée ( Part 2 ) : cette deuxième partie n’est que la suite du poème dont la première partie n’était consacrée qu’aux quatre premières strophes, voici donc les quatre dernières,  suite acoustique qui prend non plus le pied de la belle mais le contre-pied de la première interprétation, le même thème mais ici la bravache du garçon prend le dessus, presque un Casanova désargenté, mais la musique acquiert une densité lyrique bien plus forte, les arbres qui se penchent malinement à la fenêtre, tout près, tout près, semble ne plus faire qu’un avec l’action copulatoire, comme si l’acte sexuel du Don Juan en herbe mettait en branle une osmose souveraine avec la nature et l’univers, mais après l’instant extatique de la décharge, la simple et sempiternelle œuvre de chair accomplie l’acoustique revient, tel le sifflotement victorieux de l’amant satisfait.  Le faim : retour aux poèmes de 1872, il existe une autre version de Faim intitulée Fêtes de la Faim dans laquelle Rimbaud s’essaie à une version qui tend à rapprocher le poème d’une chanson notamment par l’introduction des onomatopées dim ! dim : dim ! dim ! qui ne sont pas sans évoquer les cloches des églises - ne pas y voir une critique de prélats dodus mais plutôt la recherche d’une écriture illuminante empruntant sa puissance à la naïveté brutale des arts populaires, si je fais allusion à cette version c’est que dans l’introduction musicale du morceau le lecteur ne manquera d’entendre dans la noirceur instrumentale s’élever le clairon dim-dimesque de ces trilles sonnantes, que l’on peut rapprocher de leitmotivs wagnériens du pauvre, repris par la suite en sous-main au piano,  une manière pour Vidi d’exposer  au travers de l’infatuation lyrique le déchaînement de cette soif d’absolu qui le dévore. Et dont la faim le tenaille. Faute de poésie céleste, mange de la terre.

    Quatre poèmes suffisent à Vidi pour silhouetter une image intérieure de la démarche de Rimbaud. L’œuvre est à écouter dans sa continuité. Elle risque de désorienter les auditeurs français nourris aux interprétations des poèmes de Rimbaud et Verlaine qui prennent un sacré coup de vieux. Nous excluons toutefois la version d’Une saison en Enfer du même Ferré mais s’accompagnant en solitaire au piano.

     

    DANS L’INTERMINABLE

    KREATIONIST

    ( I, Voidhanger Records / Novembre 2021 ) 

    Après Rimbaud, Verlaine ! Mme principe pour la couve, un tableau emprunté à un peintre du dix-neuvième siècle. Verlaine n’y figure pas. La toile offre cependant un contraste parfait avec L’Indulgence. Les fresques allégoriques de Puvis de Chavanne ne sont guère en odeur de sainteté artistique de nos jours. Elles empruntent trop, pour nos goûts de modernes chasseurs tohu-bohuques à un discours symbolique trop explicite. Intitulée Le rêve, le tableau nous montre en même temps un dormeur et son rêve. Notre modernité aurait effacé le dormeur et nous aurait dessiné les éclats  d’un cauchemar labyrinthique peuplé de monstruosités freudiennes… Or Puvis de Chavannes le représente sous le blanc virginal de leur céleste apparence trois jeunes femmes apportant au bienheureux endormi les symboles de l’amour, de la gloire et de la richesse. Quelle fadeur !

    Encore faut-il apercevoir sous la grâce diaphane de cette triple apparition, la mise en abyme de la scène mythologique de Pâris sommé d’élire la plus belle de trois déesses, lorsque l’on se souvient des dix années de guerre de Troie engendrées par le choix de Pâris, l’on comprend la fadeur mortuaire des teintes qui représentent le Rêveur couché à même le sol.

    Le titre de l’album est propice à la rêverie. Nous y reviendrons. C’est quoi qui est interminable, la vie, la mort, le rêve, la poésie, cochez la case qui vous convient le mieux.

    jordan,saunts,marlow rider,alicia f !,kreationist,kevin junior + chamber strings

    Mandoline : le titre est prometteur en plus extrait des Fêtes galantes, les premières notes nous détrompent vite, certes le rythme est relativement   tourbillonnant mais comme brouillé, ouaté, séparé de nous, un piano trop nostalgique l’interrompt de temps en temps, mais la musique ne s’arrête pas et tourne infiniment, Vidi chante à mi-voix, il susurre, il expire, l’on ne tarde pas à comprendre tout cela est du passé depuis longtemps, Vidi nous en rapproche autant qu’il nous en éloigne, des échos d’un temps oublié qui ne saurait s’effacer ni perdurer non plus, ombres bleues de la mort figées dans le temps. Il pleure dans mon cœur : intro emphatique, précipitations, ce doux murmure de la plus douce des Romances sans paroles, Vidi la dit avec rage, un piano se pose sur sa souffrance, comme des éclats de mitraillette, la rancœur prend le dessus, la haine affleure sous les mots, maintenant presque une musique de film qui ronronne, tout cela importe-t-il vraiment. Kreationist nous mouline Verlaine au nihilisme. Colloque sentimental : ( + Flika ) retour aux Fêtes Galantes, la même rage qu’au précédent, cette fois-ci pas de tergiversation pas, nous sommes au royaume de la mort, deux ombres parlent, un dialogue qui sonne faux, Flicka a l’air d’une débutante qui passe une audition pour un rôle mineur dans un théâtre de province de douzième catégorie, à la douceur de Verlaine Vidi a substitué sa violence, le temps emporte et décharne toutes les illusions de l’élan vital. Walcourt : rythmique binaire, musique forte et presque joyeuse si ce n’est ce leitmotiv en catimini qui n’a l’air de rien, et ce paysage charmant décrit avec ce doublement psalmodié de nombreux mots, Vidi chante comme on dégueule, comme on gerbe, un piano ouvert sur l’apparente beauté du monde, exaltation rythmique épanouissante, trop beau pour être gai, la musique s’arc-boute sur elle-même et s’arrête brusquement. Nous ne faisions que passer. Interlude : titre verlainien en diable, de la musique avant toute chose, morceau musical, reprend l’atmosphère des titres précédents, Vidi veut-il nous laisser retrouver souffle, pas très longtemps en tout cas. Extase langoureuse : encore une de ces Romances sans paroles qui disent toute la tristesse du monde, ce qui est passé depuis moins d’une seconde est définitivement perdu, la musique fonce en avant comme si elle voulait rattraper le bonheur en allé, ce vide qui nous constitue. Le morceau le plus rock du disque. La bonne chanson ( XI ) : même vitesse, même empressement, ce n’est plus le passé qui n’est plus, c’est le futur qui n’est pas encore, n’est-ce pas la même chose, la même absence, des ondées d’inquiétude parfument le background musical, le vocal essaie de forer le mur du temps qui nous enserre. Soleil couchant :   encore un extrait de Romance sans paroles, débute par un long prélude pianistique, doucement la musique prend de l’ampleur, à croire que c’est un poème sans mots, d’ailleurs qu’attendre de beau et de bon d’un poème saturnien, est-il vraiment utile d’en chanter les paroles, tout soleil couchant n’est-il pas comme une prémonition de notre déclin, la musique se fait douce, de l’ouate, un pansement pour nous consoler, et puis cette évocation encolérée au soleil. Couché. Dans l’Interminable : ainsi écourté le titre prend une dimension métaphysique, si vous rajoutez le vers suivant Ennui de la plaine, cette romance sans parole semble toucher terre. Hélas une terre vide. Est-ce pour cela que la musique semble prise d’une frénésie d’urgence, d’une pamoison d’espoir infini, hélas si brutalement achevée !

             Pour cet opus consacré à Verlaine, Kreationist n’a choisi que des textes provenant de ces quatre premiers recueils, ce qui est obligatoirement réducteur quant à la totale préhension de son cheminement poétique. Vidi nous offre toutefois une lecture toute personnelle des premiers textes de Verlaine embués d’une sourde nostalgie qu’il a magnifiquement transcrit par son metal doom atmospheric empruntant à bien d’autres styles musicaux tout en gardant une grande unité de ton.

    Ma préférence se porte toutefois sur L’Indulgence de Rimbaud, ce personnage arborant une bien plus grande dimension êtrale.

    Damie Chad.